[ #HistoiresExpatriées ] Qu’est-ce qu’on écoute au Sénégal ?

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(édition n°1703/2019)
(avec pour marraine Camilla, expatriée au Vietnam)

Thème proposé :

QU’EST-CE QU’ON
ÉCOUTE
AU SÉNÉGAL ???

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Qui est déjà allé au pays de la Teranga l’a forcément remarqué : au Sénégal, on entend de la musique partout, tout le temps. (Je ne reviens pas sur l’ambiance sonore et musicale que j’ai vécue lors de ma parenthèse expatriée puisque j’ai déjà raconté pas mal de choses à ce sujet dans plusieurs éditions précédentes. En résumé : contrairement à une légende populaire, la musique n’adoucit pas forcément les mœurs… elle peut même finir par taper sur le système !)
Les sénégalais sont toujours partants pour faire la fête, la moindre occasion est propice, tous les prétextes sont bons. Et puis ils savent bouger leur corps comme personne, ils ont le rythme dans la peau, ce n’est pas une légende. Il n’y a qu’à voir les tous petits bouts de choux danser instinctivement pour se rendre compte à quel point c’est inné chez eux.
Musique et danse sont étroitement liées, l’une ne va pas sans l’autre et vice versa.

Là-bas, le mbalax a pris le pouvoir musical il y a presque une quarantaine d’années, supplantant les musiques afro-cubaines qui dominaient jusqu’alors.

Mais kézaco au juste le mbalax (prononcer « mbalaRR » avec un son R final venant du fin fond du gosier et raclant bien la gorge) ?
Il s’agit ni plus ni moins que du genre musical emblématique du Sénégal depuis les années 1980, dont le tempo endiablé vibrant au son des percussions entraîne et déchaîne les populations locales dansant frénétiquement (et suggestivement) dessus.
C’est tellement tonique et physique qu’à chaque fois que je les vois danser (pieds nus dans le sable bien souvent, toujours par une chaleur digne des enfers), ça m’épuise ?.

Difficile de décrire avec des mots le son (et les sensations qui vont avec), mais je dirais que quand on écoute pour la première fois du mbalax, on mesure le sens littéral de l’expression « roulements de tambours ». Ça donne vraiment l’impression d’une superposition/succession de percussions s’enroulant en spirale sans fin. On ressent aussi physiquement la musique, même sans bouger, c’est comme si le rythme des battements de son cœur se mettait « au diapason » des boum-boum. Bref, rien qu’en regardant et écoutant du mbalax, il n’est pas rare de se retrouver presque essoufflé et avec « le palpitant qui s’affole »…

 
 
 
L’instrument caractéristique utilisé pour le mbalax est appelé sabar (nom générique qui désigne aussi une fête et une danse parfois très suggestive…). C’est un tambour en forme de mortier, taillé dans un morceau de bois massif creusé, sur lequel est tendue une peau de chèvre avec des chevilles de bois et des cordes permettant de l’accorder. Le musicien tape dessus avec une main et une baguette. Il en existe de diverses tailles donnant les différents sons de la gamme, du grave à l’aigu.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Le reggae et le rap des jeunes générations tentent de voler la vedette au mbalax depuis quelques années, mais, pour l’heure, sa suprématie n’a pas encore été anéantie tant il reste une référence en Afrique, et le rythme de base de la musique sénégalaise.

Avant de proposer une mini sélection de chanteurs sénégalais à découvrir (je garde ça pour la fin… le suspense va être insoutenable !), je vais d’abord présenter quelques autres aspects du rapport à la musique locale ainsi d’une petite poignée d’instruments typiques dont ils sont indissociables.

Il n’est pas forcément évident de faire la distinction entre toutes les percussions. Pour la plupart des occidentaux, les sonorités d’Afrique de l’Ouest sont avant tout synonymes de « tam-tam » (terme générique fourre-tout), dont le djembé est le représentant emblématique.
Au Sénégal, c’est l’instrument touristique par excellence puisque beaucoup y sont fabriqués dans le seul but d’être vendus en guise de souvenir (alors que ce n’est pas du tout originaire du Sénégal en réalité. Cherchez l’erreur…).
Le djembé est sculpté en forme de calice dans un tronc d’arbre évidé. Une peau de chèvre est tendue dessus par un tressage de cordes nouées. Le musicien joue uniquement avec ses deux mains. Certains djembés sont agrémentés de sonnailles fixées sur les côtés pour rajouter un son métallique aux percussions.

bouger au son des djembés

Autre instrument africain typique connu : le balafon. Il s’agit d’un xylophone dont les différentes lames de bois sont attachées sur un châssis en bambou. Frappées avec des bâtons avec une boule, elles résonnent grâce à des calebasses de tailles variables percées de trous et fixées juste en-dessous.

 

La musique, bien plus qu’une distraction

Au-delà de l’aspect festif un peu simpliste propre à notre vision occidentale, la musique, les chants et les danses sont inhérents à la culture africaine depuis la nuit des temps.

D’une part, ils sont un mode d’expression et de communication à part entière.
Que ce soit lors de célébrations pour une naissance, un rite initiatique (tel que le passage à l’âge adulte par exemple), un mariage, un décès, que ce soit à l’occasion de commémorations des ancêtres et des esprits à travers des danses rituelles sacrées, que ce soit au moment des plantations puis des récoltes (pour donner du courage et de l’énergie pour les travaux agricoles harassants) ou du départ puis du retour de campagnes de pêche en pirogue, que ce soit pour fêter une réussite ou pour conjurer une défaite, ou que ce soit juste pour manifester la joie d’être vivant et ensemble, l’ambiance musicale est omniprésente. Elle anime, rythme, apaise, fait partie intégrante de chaque petit et grand moment de la vie sénégalaise quotidienne, traditionnelle et spirituelle dont elle est indissociable.

D’autre part, la musique et les chants constituent l’un des fondements des traditions et de leur transmission, notamment par le biais des griots et des griottes (pas les cerises… mais les femmes griots qui ne sont pas exclues de cette fonction. C’est suffisamment rare pour être souligné.).
Faute d’écrits au Sénégal, comme dans la plupart des contrées africaines, la transmission est orale. Les griots sont donc d’abord la mémoire vivante de l’histoire, des rites et coutumes. Ils racontent, chantent et transmettent ainsi les récits et savoirs ancestraux.
Les griots sont surtout des personnages très importants de la vie sociale traditionnelle. Leur parole est écoutée et respectée. Il ne s’agit pas du tout de folklore. Ils sont consultés comme des médiateurs, des conciliateurs, des guides, des conseillers.
Les griots ont aussi une fonction culturelle essentielle en pouvant être à la fois musiciens, chanteurs, poètes, conteurs, un peu comme une sorte de « ménestrel-fou du roi-troubadour » africain (mais avec une dimension beaucoup plus sérieuse).

L’instrument de musique typique très utilisé par les griots est la kora, dont le son est, pour le moins, particulier.

Il s’agit d’un instrument à cordes, un mix très singulier entre une harpe et un luth.
La kora est composée d’une demi-calebasse faisant office de caisse de résonance, sur laquelle est tendue une peau de vache. Le tout est traversé par un long manche en bois reliant 21 cordes fixées à un petit chevalet sur la calebasse. Des bouts de bois y sont arrimés, dont deux servant de poignées.

Pour parvenir à produire un son digne de ce nom, les cordes doivent être pincées avec une grande dextérité. Cet instrument est difficile à pratiquer.

Le griot peut utiliser aussi un tama (ou tamani) qu’il glisse sous l’aisselle. Il s’agit d’un petit tambour en bois creusé, sculpté en forme de sablier, avec une peau de varan (ou de serpent) tendue à chaque extrémité par des cordes reliées de chaque côté. Par pression du bras, ces cordes permettent de changer les sonorités par les variations de tension de la peau de reptile sur laquelle le musicien tape avec le bout des doigts et un bâton recourbé.


 
 
La musique au Sénégal constitue donc à la fois un véritable mode de vie et un patrimoine culturel ancestral très riche.

 
 

Quelques artistes emblématiques

En Afrique de l’Ouest, les artistes musicaux sénégalais sont tellement nombreux et localement connus qu’il m’est impossible de tous les citer (d’autant plus que j’en connais vraiment très peu, n’étant pas vraiment amatrice du style. Les goûts et les couleurs…).
En revanche, ceux à la renommée internationale sont un peu plus rares. Et là, je me souviens de quelques-uns d’entre eux du temps où je vivais au Sénégal. Ma sélection est donc très vintage !

J’en ai choisi quatre qui brillaient à l’époque de ma parenthèse expatriée, à commencer par Youssou N’DOUR et son magnifique duo avec Neneh CHERRY (morceau qui l’a propulsé sur la scène musicale mondiale) sorti en 1994, à peine quelques mois après que j’ai débarqué au Sénégal… (une coïncidence ? Peut-être pas, qui sait ? ?)

 

 
Bon, je reconnais que cet ancien tube planétaire (que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître) n’est pas du tout représentatif du style musical sénégalais, mais comme j’aime cette chanson (et que je fais ce je veux sur mon blog ?), je l’ai quand même choisie.
#SouvenirsDuSiècleDernier
Pour la petite histoire, Youssou N’Dour a signé la musique originale du célèbre dessin animé « Kirikou et la sorcière », et il a également chanté sur la bande son de « Kirikou et les bêtes sauvages ». Ces musiques se rapprochent davantage du style africain (même si elles sont très occidentalisées).
 

Youssou N’Dour est un immense artiste, véritable monument de la culture musicale sénégalaise depuis plus d’un quart de siècle. Ce n’est pas pour rien s’il est auréolé d’une multitude de prix reçus aux quatre coins du monde pour sa musique. Il a même été nommé « artiste africain du siècle » en 1999, c’est dire l’importance du personnage…

Né en 1959, il ne fait certes pas partie de la jeune génération, mais il reste néanmoins incontournable là-bas. On entend inévitablement sa musique quelque part à un moment ou à un autre. Il faut dire qu’il est considéré comme le « Roi du mbalax », rien que ça !
 

Youssou N’Dour l’a rendu très populaire. Il a également su exporter cette musique en l’occidentalisant pour l’adapter à nos oreilles non initiées (les versions « pur jus local » sont parfois déroutantes)… un peu moins de percussions, un rythme trépidant entêtant un poil tempéré, tout en conservant farouchement ses paroles en wolof, parfois saupoudrées néanmoins de français et/ou d’un peu d’anglais.

Dans la vidéo ci-dessous, un exemple de chanson de style mbalax arrangé à la sauce occidentale :
 
 
 
 
 
Avant l’émergence de Youssou N’Dour, un groupe de frères originaires de Casamance (région singulière du sud-ouest du Sénégal), a ouvert la voie aux rythmes africains en Europe : les Touré Kunda. Le nom signifie « la famille Éléphant » en dialecte soninké.
Leurs musiques varient entre les sonorités de leur terre natale et le reggae dont leur tube « Emma » a eu un franc succès à l’époque.

 
 

 
 
 
Autre artiste emblématique du Sénégal : Ismaël LO.
Sa musique est un savant mélange de « folk » et de mbalax, et se distingue par l’utilisation d’une guitare et d’un harmonica. Cela lui a d’ailleurs valu le surnom de « Bob Dylan africain ».
 

 
Sa chanson la plus connue à l’international fut « Tajabone » grâce au film de Pedro Almodovar « Tout sur ma mère » dont elle fait partie de la BO.
 
 
 
 
 
Enfin, voici un exemple de musiques aux sonorités afro-cubaines avec l’artiste Baaba Maal.
Il est natif de Podor, au nord du Sénégal à la frontière avec la Mauritanie. Sa musique puise son inspiration dans le yela, style musical pulaar de l’ethnie des toucouleurs, un mix chant/danse au rythme des pileuses de mil.
 
Baaba Maal fait partie des rares chanteurs sénégalais ayant eu une vraie carrière internationale. Il a, par exemple, collaboré avec Peter Gabriel, ou encore assuré la première partie de concerts de Santana. Mais le tube en solo qui l’a propulsé sur la scène musicale mondiale en 1994 (quelle coïncidence décidément… Cette année restera gravée) est « African woman ».
 
 
 

 
Avec ce florilège de sonorités sénégalaises, il ne vous reste plus qu’à vous initier ! Montez le son et laissez-vous emporter par ces musiques qui font battre le cœur au rythme des percussions…
 
 
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édition n°16 : Un mot, une expression…
édition n°15 : La cuisine…
édition n°14 : Mon intégration…
édition n°13 : Le système médical…
édition n°12 : Les rapports humains…
édition n°10 : Le corps ailleurs…
édition n°7 : Votre coin de France.(je n’ai pas participé à ce numéro)
édition n°5 : Mon ailleurs la nuit…
édition n°4 : Ma nouvelle routine…
édition n°3 : Pourquoi es-tu partie ?
 

Toutes les autres participations abordant ce thème sont listées en fin d’article ici.

 

8 Comments on “[ #HistoiresExpatriées ] Qu’est-ce qu’on écoute au Sénégal ?

  1. Pingback: Sur quel rythme mangez-vous ? #HistoiresExpatriées - L'occhio di Lucie

  2. Aahah ne t'en fais pas, je n'y aurais pas pensé non plus avant de me prendre un vent de Youtube x)
    Oui c'est très intéressant même si, comme le japonais et toi, ce n'est pas du tout ma tasse de thé x)

  3. ah zut ! c'est vrai que je n'ai pas pensé aux restrictions géographiques pour youtube ! Mais bon, tu as quand même pu te faire une idée, c'est l'essentiel. C'est vrai qu'en Afrique, il y a des instruments très singuliers.

  4. Voilà un article très complet !
    Je ne suis pas fan de ce style de musique mais j'ai écouté quelques extraits des vidéos que je peux voir (la majorité des vidéos sont bloquées au Cambodge, génial quoi ahah), c'est impressionnant le rythme qu'ils ont dans la peau moi je reste bouche bée, je ne pourrais jamais danser aussi longtemps qu'eux, surtout avec cette chaleur !

    Je connaissais le djembé mais je ne connaissais pas celui avec la peau de reptile, j'ai découvert des choses. Idem pour le gros xylophone je ne connaissais pas ! Ils ont vraiment des instruments bien à eux les Sénégalais x)

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