[ #HistoiresExpatriées ] La vie professionnelle ailleurs…

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(édition n°907/2018)
(avec pour marraine Hélène, expatriée au Mexique)

Thème proposé

LA VIE PROFESSIONNELLE

DANS MON PAYS D’ADOPTION
 
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M’expatrier ne faisait pas du tout, mais alors pas du tout partie de mes plans de carrière. Et pourtant, je me suis retrouvée propulsée en pleine immersion au Sénégal lorsque j’ai suivi Philéas début 1994.
 
Durant les premiers mois, alors que nous (sur)vivions à Kaolack, je n’avais aucune perspective professionnelle. Encaisser, supporter et digérer le choc culturel m’occupaient déjà à plein temps !
 
Puis nous avons déménagé et c’est finalement à partir de là que ma vie professionnelle a pu voir le jour. Alors que ce n’était pas gagné d’avance… Tous les expat’ de notre entourage rabâchaient à Philéas qu’il ne fallait pas que j’aie trop d’espoirs, lui expliquant que c’était impossible qu’une femme de toubab (=le blanc) puisse décrocher un job, et à fortiori dans une entreprise sénégalaise.

Sur le papier, ils n’avaient pas totalement tort. C’était d’autant plus “mission impossible” qu’il me fallait dénicher un poste compatible avec mon cursus d’études et surtout agréé par l’Ordre des experts-comptables de Paris (dont je dépendais alors en tant qu’expatriée).

Dans les faits, à peine une semaine après avoir emménagé dans notre nouveau logement, j’ai débarqué à l’improviste dans le seul et unique Cabinet d’expertise comptable/commissariat aux comptes/expertise judiciaire du Sénégal non situé à la capitale (un vrai pionnier, cobaye de la décentralisation). Et au culot, j’ai demandé à être embauchée avec les “contraintes administratives” particulières qui étaient les miennes…
Qui ne tente rien n’a rien ! dit l’adage.
Et bien c’est absolument vrai, je l’ai testé pour vous !

La rencontre improvisée s’est déroulée un mercredi après-midi (après l’heure incontournable de la traditionnelle sieste sénégalaise). Ce jour-là, je stressais autant qu’un jour d’oral d’examen (précision : lors de tous les oraux que j’ai eu à passer dans ma vie, j’ai toujours été paniquée à mort, au point d’en perdre souvent tous mes moyens. Je suis beaucoup plus à l’aise à l’écrit).  
Même pas trente minutes après le début de l’entrevue, j’étais engagée, sans autre formalité qu’un enthousiaste 《 OUI 》. Il m’a juste fallu tirer un trait sur le volet “rémunération au tarif réglementaire français” car qui dit “emploi sénégalais” dit aussi “salaire sénégalais”. Enfin… pas tout-à-fait, puisque je me suis quand même vue proposer un peu plus du double de l’équivalent du SMIC sénégalais d’alors. Youhou✌️! Un véritable casse-tête financier mensuel pour mon employeur, une grosse concession pour moi en acceptant d’être payée à peine plus de 16% du SMIC français de l’époque.

Le jeudi matin, j’ai été conviée pour être chaleureusement présentée à mes nouveaux collègues, découvrir le Bureau où j’allais devoir sévir, et procéder à quelques déclarations administratives. J’ai également été informée de la première mission dans laquelle j’allais être plongée dès mon arrivée officielle, et là j’ai cru défaillir… Je devais participer à l’animation d’un séminaire de formation de cinq jours… moi qui me liquéfie à la seule idée de devoir parler en public devant plus de deux personnes ! L’angoisse absolue !

Le lundi suivant, après une nuit quasiment blanche à cause des conditions climatiques saisonnières, tel un zombie léthargique je commençais mon nouveau boulot (par un sacré défi pour moi)et découvrais aussitôt, par la même occasion, un autre monde !

1995

Si ma première semaine de mission m’a semblé être digne d’un bizutage en caméra cachée, ça aura au moins eu le mérite de me permettre de découvrir d’un bloc les us et coutumes auxquels j’allais devoir m’adapter rapidement. Finalement, je n’ai pas juste été une intervenante parmi les autres formateurs… J’ai aussi (et surtout) été la novice-observatrice en apprentissage niveau débutant durant cette semaine de séminaire épique ! Je vous raconte la première journée, toutes les autres y ressemblaient.

Dès l’arrivée, je me suis pliée au rituel des salutations (déjà évoqué ici). C’est tout un art, et rien que ça, il m’a fallu au bas mot une demi-heure pour dire bonjour à tout le monde au Bureau et demander des nouvelles de tout leur arbre généalogique, boutures et greffons compris. #1erRound

Après cette mise en bouche, me voilà partie avec mon nouveau patron et un collègue vers le lieu du séminaire. Comme mon boss n’avait pas de véhicule personnel (rares sont les sénégalais ayant les moyens de posséder une voiture), nous avons pris un taxi de ville, de ceux-là même que je décrivais dans la première édition des #HistoiresExpatriées.

 
Je vous laisse imaginer la scène un peu surréaliste, nous trois habillés sur notre 31, nos porte-documents à la main, débarquer dans notre carrosse délabré ! #2èmeRound

 
 
Arrivés sur les lieux, je reçois une piqûre de rappel de la leçon sur la notion du temps au Sénégal… [cf § “nouveau rythme de vie”]

Il est 8h30. ⌚️⌛️

Il faut attendre que les 37 “élèves” (des adultes) et le Directeur de l’association arrivent avec indolence d’un pas nonchalant.

Il est 9h30. ⌚️⌛️

Le Directeur nous accueille avec un petit discours d’ouverture de session de formation. Puis il nous accompagne jusqu’à la “salle de classe” où, là, il nous présente un à un chacun(e) des participant(e)s à qui l’on serre la main avec le rituel des salutations (version abrégée, on ne les connaît pas assez…).
Mon patron annonce le programme de formation de la semaine, suite à quoi les “élèves” se sont immédiatement réunis pour organiser le planning, les horaires et désigner les différents responsables : thés, craies, éponge, tableau noir, heures des pauses, bonbons à la menthe (!), etc. C’est important et valorisant d’avoir des responsabilités. Alors pour éviter les jalousies, un titre est attribué à chacun, que ce soit au poste principal ou en suppléant. Et s’il n’y en a pas assez, on démultiplie à l’infini : responsable en chef + responsable en chef-adjoint + vice-responsable en chef + vice-responsable en chef-adjoint, etc. Vous voyez l’idée ?

Il est 10h30. ⌚️⌛️

Soudain, le fraîchement nommé “responsable-récréation” claque bruyamment ses doigts en gueulant 《 C’est l’heure de la pause ! 》. Je sursaute. On n’a pourtant encore rien fait. Je reste perplexe et incrédule…

Il est 11h. ⌚️⌛️

Deux personnes apportent une grande bassine métallique (me faisant un peu penser à la cuve haute dans laquelle ma grand-mère stérilisait ses bocaux de conserves) avec un couvercle et la posent dans un coin de la salle avec trois gobelets en plastique posés dessus. Il s’agit de la réserve d’eau de la journée pour étancher la soif des participants. Dans ma tête, je me dis que seulement trois timbales pour abreuver la quarantaine de personnes présentes, ça risque de provoquer des embouteillages à la source au fond de la salle…

On a l’eau (on va échapper à la déshydratation), on a une tripotée de responsables (on ne risque rien), on a fait la pause (on est bien détendu), la formation peut enfin commencer, dans une ambiance… comment dire… très particulière.

Les “élèves” ont manifestement beaucoup de mal à rester attentifs, tranquillement assis à leur place. Ambiance café du commerce à l’heure de pointe. Tout le monde se lève intempestivement et se déplace beaucoup, rentre et sort de la salle, vaque à des occupations personnelles ou simplement à des besoins naturels d’évacuations…

Des femmes partent chercher leur bébé, que quelqu’un est venu leur emmener jusqu’au lieu du séminaire, pour l’allaiter. Leur colis affamé réceptionné, elles retournent s’asseoir avec leur rejeton sous le bras, puis sortent leur mamelle nourricière sans se cacher, y ventousent leur nourrisson et continuent à écouter et poser des questions comme si de rien n’était. Une fois le plein de carburant lacté fait, elle se lève à nouveau et rapporte le petit repu endormi là où il a été livré… Jusqu’à l’heure de la tétée suivante !

Certain(e)s s’activent minutieusement au récurage/polissage dentaire au moyen d’un bâton de bois faisant office de brosse à dent (la méthode locale, avec un bois spécial qui aurait des vertus médicinales, voire même carrément aphrodisiaques ! Argument de poids pour inciter à une bonne hygiène dentaire…). Les frottements génèrent des copeaux stockés progressivement contre une joue. Pour éviter de ressembler à Tic et Tac venant de se faire arracher les dents de sagesse, il arrive un moment, forcément, où toute cette pâte accumulée doit être évacuée. Les personnes concernées se lèvent donc pour aller cracher bruyamment leur boulette de sciure imbibée de salive par la porte ou la fenêtre la plus proche.
En sachant ça, mieux vaut être vigilant en marchant le long d’un bâtiment dans la rue, pour éviter de se prendre un glaviot en pleine poire !

Le responsable des bonbons à la menthe passe régulièrement dans les rangs pour faire sa distribution. Petite attention sympathique, ça rafraîchit, ça fait du bien. #StopÀL’HaleineDeHyène

La journée est aussi rythmée par les abondants et bruyants dégazages sauvages, par en haut et par en bas. #PasDeTrouJaloux. Au début, se retrouver en plein RototoProutParty, ça surprend, ça choque, ça dégoute. Mais comme rapidement on se rend compte que ça fait partie des mœurs, et surtout, qu’après tout, c’est la nature, on s’y habitue et on n’y prête (presque) plus attention. Il faut savoir être ouvert d’esprit (et de tuyauterie). #100%Bio(gaz)

ce conseil était appliqué à la lettre !

 
Toutes ces activités n’empêchent nullement les “élèves” de poser moultes questions, les unes à la suite des autres, sans attendre la fin de la réponse (ni même le début parfois) avant d’en poser une autre. L’auditoire, quoiqu’un poil déstabilisant, est intéressé et intéressant.
Mais durant cette première journée, j’ai eu un peu de mal à tout comprendre et à me faire comprendre aussi #MerciMonAccentDuSudPrononcé. Sans compter que je ne suis pas pédagogue pour deux sous, et que je ne maîtrise pas du tout l’art de la rhétorique. Alors au bout de la dixième fois où j’expliquais la même chose d’une manière différente, puis que mes interlocuteurs me disaient avoir enfin pigé, mais qu’une heure après, alors qu’on était passé à autre chose, un autre participant prenait la parole (et me la coupait au passage) pour m’interpeler : 《 Mais présentement là dis-donc, la cause pour laquelle je pose la question, effectivement, je reviens sur le truc là de tantôt. Bon ! Je n’ai pas compris le qui la déjà là en fait. 》, je me suis sentie complètement larguée. La migraine me pendait au nez… #3èmeRound

Il est 13h. ⌚️⌛️

En plein milieu d’une intervention abordant des points délicats nécessitant un maximum de concentration, car importants pour tout le reste de la formation, le “responsable-récréation” nous refait le coup. Il claque bruyamment des doigts, se lève et crie 《 C’est l’heure de la pause ! 》.  Cette fois-ci, c’est l’appel du ventre.

Il est 15h. ⌚️⌛️

Le séminaire reprend. Les participants sont tous revenus, mais ne sont plus de toute première fraîcheur. Beaucoup d’entre eux semblent ne pas avoir totalement émergé de leur sacro-sainte sieste, au point que certains s’allongent sur la table et se rendorment illico !

Il est 17h. ⌚️⌛️

Tout le monde est bien réveillé, a bu, a allaité, a dégazé, a les dents récurées.
L’attention est redevenue optimale, et ça tombe bien car c’est mon tour d’intervenir.
Je leur annonce que je vais leur parler de la notion de contrôle et d’audit financier, et là, je vois l’expression sur leur visage se décomposer. Je suis mal à l’aise car je pense alors avoir mis les pieds dans le plat en formulant mal ma présentation. Quand on vit dans un pays dont on ne maîtrise pas encore complètement les codes, on est toujours sur le fil du rasoir de la gaffe (ou pire, de l’incident diplomatique) lorsqu’on s’exprime.
Du regard, j’appelle mon boss au secours. Après une petite explication de sa part, tout s’éclaire ?, je comprends mieux. Je découvre que je suis censée rassurer les participants qui pensent tous que lorsqu’il y a contrôle des comptes, il y a forcément arrestation et mise en prison dans la foulée ! 

J’ai alors dédramatisé la situation et tous les “élèves” sont repartis ce jour-là extrêmement soulagés. #DernierRound

 

Cette première semaine de travail, en mission extérieure, m’a plongée dans le bain. J’en suis ressortie lessivée !

La semaine suivante, j’ai découvert ce qui aura été mon quotidien au boulot jusqu’à mon retour définitif en France.

Florilège de mes 9 commandements.

 
 
 De peu, tu te satisferas… 
 
Comme cela faisait déjà quelques mois que je composais avec ma nouvelle routine, j’avais appris à me satisfaire de pas grand-chose. J’ai simplement étendu mon expérience en découvrant le concept du minimalisme dans le milieu professionnel cette fois.

En plus de mon boss dans son bureau, le Cabinet comptait alors huit “stagiaires”, un autre bureau et une autre pièce qui faisait office de salle d’attente (le reste des pièces (chambre/douche) de l’appartement étaient réservées à l’usage privé). Il n’y avait pas de place pour tout le monde, ni suffisamment de tables et de chaises. Alors les “stagiaires” s’entassaient dans le deuxième bureau, tous agglutinés autour de deux petites tables : un angle chacun, pas de jaloux. Sinon, certains allaient parfois s’affaler sur les bancs de la salle d’attente.

J’ai eu un sacré traitement de faveur (ou pas !) car, les premiers mois, j’ai été affectée directement avec mon patron. Du mobilier avait été installé rien que pour moi : un bureau et un “fauteuil” style design années 70, lignes arrondies, couleur marron chocolat fondu avec des tiroirs kaki-caca-d’oie-pétard du plus bel effet. C’était très gênant de débarquer et être favorisée ainsi, mais au final j’étais ravie (pour ne pas dire soulagée) dans un premier temps !
Plusieurs mois plus tard, la cohabitation n’étant pas toujours très simple au quotidien, et certains clients appréciant très moyennement qu’une toubab, de sexe féminin qui plus est, soit présente lors des rendez-vous, j’ai finalement été déménagée dans la salle d’attente avec une chaise et une petite table. J’étais ravie (pour ne pas dire soulagée) une seconde fois !

Sinon, niveau équipements, ensevelis sous deux doigts de sable et de poussières, il n’y avait qu’un ordinateur (à disquettes et sous MS-Dos) et une imprimante (à papier-listing continu et à aiguilles), le must inespéré pour l’époque ! Je rappelle que la scène se déroule en 1994/1995… Les ordinateurs n’étaient pas encore répandus comme maintenant. Alors autant dire que pour le Sénégal, c’était un peu un luxe ! Par contre, il fallait être patient pour pouvoir s’en servir, à tour de rôle, quand il n’y avait pas de coupure d’électricité, sachant que le boss était bien-sûr prioritaire.

 

 La divination, tu découvriras… 

 
Mon domaine, c’est l’expertise comptable. Pour faire court, je jongle avec les chiffres quoi !
Une des missions du métier est d’établir annuellement, pour chaque entreprise, un bilan et un compte de résultat. Pour cela, il faut donc tenir une comptabilité en bonne et due forme. Et qui dit comptabilité dit paperasse… vous savez ce truc qui, au mieux, provoque une crise d’urticaire et, au pire, déclenche une attaque de panique (comme si ça brûlait les doigts ou qu’on finissait en enfer si jamais venait l’idée saugrenue de classer les papelards dès réception). La paperasse… cette chose qu’on s’empresse d’enfouir dans un coin reculé et inaccessible de la maison dans le meilleur des cas, et qu’on jette malencontreusement à la poubelle à l’insu de son plein gré dans le pire des cas ! Sauf que la paperasse, c’est LA matière première, les ingrédients sans lesquels la recette des comptes annuels est impossible à cuisiner ! Comment voulez-vous faire une omelette si vous n’avez pas d’œufs ?

Au Sénégal, bien que les exigences en matière d’obligations comptables existent légalement, dans les faits le concept est très largement méconnu, pour ne pas dire carrément inconnu.
Il faut toutefois remettre les choses dans leur contexte. Dans un pays où la majorité de la population ne doit sa subsistance qu’aux activités liées au micro-commerce ou à l’artisanat local, devoir “rendre des comptes”, quand chacun cherche avant tout à nourrir sa famille au jour-le-jour avant de penser à faire des bénéfices, est le dernier des soucis. La culture de la paperasserie n’existe pas du tout.

Lorsque l’Administration (ou assimilée) leur tombait dessus, certains, moins “toute petite entreprise” que les autres, devaient pourtant se plier à la règle et venaient donc en catastrophe au Cabinet. La plupart du temps, la fleur au fusil… Presque toujours très à postériori, autrement dit avec quelques années de retard…
Rares étaient les clients en mesure de nous fournir des factures et autres justificatifs, des états de caisse, des relevés bancaires le cas échéant.  《 Un compte courant bancaire ? C’est quoi ça déjà ? 》. Oui, l’argent sonnant et trébuchant domine, les espèces priment, c’est la suprématie du black (sans mauvais jeu de mot…) !

Pour essayer de comprendre ce qui me paraissait incompréhensible, j’avais questionné un des rares clients qui parvenait à m’apporter des papiers à me mettre sous la dent.
Il m’avait expliqué que, de toute façon, même ceux qui avaient un compte en banque jetaient les relevés, qu’ils ne regardaient d’ailleurs même pas, ils ne savaient pas à quoi ça pouvait leur servir. Et puis ils n’avaient pas confiance dans les montants car truffés d’erreurs et donc sans aucune valeur probante.
Pour obtenir des factures fournisseurs, il me racontait que c’était compliqué. Par exemple, lorsqu’il allait acheter des fournitures au marché, s’il tombait sur un vendeur sachant bien écrire, et sachant ce qu’était une facture, le marchand refusait de lui en faire une et surtout de la signer par crainte de finir en prison en cas de dénonciation (!?!?!?!).

Alors comment je faisais pour tenir des comptabilités ? Et bien c’était un peu par divination ? ! Avec les maigres informations qu’on me donnait de vive voix, et des bouts de papiers griffonnés, il me fallait deviner, extrapoler et pondre une traduction comptable qui tenait à peu près la route.
Sinon, en plans B, j’avais l’embarras du choix :  frotter une boule de cristal, ou interpréter les lignes de la main du client, ou tirer les tarots, ou lire dans le marc de café, ou lancer des cauris (en Afrique, petits coquillages “révélant” l’avenir) puis les déchiffrer, ou bien encore lire dans les entrailles d’un poulet sacrifié…
BREF, il avait fallu que je me démerdasse (au royaume du système D) ? !

 

 Tuer le temps, tu apprendras… 

 
Ce n’est pas que je me répète, c’est juste un fait : apprivoiser la notion de temps à l’africaine est quelque chose de vraiment particulier ! Dans le boulot aussi, il m’a fallu “faire avec”…

Entre l’insuffisance, et même parfois carrément l’absence, de travail à faire et les cadences locales qui étaient très différentes de celles dont j’avais l’habitude, autant dire que les journées ont souvent été très (très très) longues. J’ai rapidement compris que j’allais devoir déployer des trésors d’imagination pour échapper aux rythmes imposés, plus subis qu’autre chose. Là encore, je me serais arrachée les cheveux un nombre incalculable de fois.

S’il y a bien une chose dont j’étais incapable c’était rester les bras croisés à attendre sans rien faire. La première fois où mon patron m’avait confié une mission à mener à bien, je l’avais terminée tranquillement avant la fin de la première matinée de travail. Enthousiaste et motivée, j’étais allée lui rendre le boulot et, dans la foulée, lui en demander un autre pour l’après-midi. Quelle ne fut pas alors ma stupéfaction (puis mon abattement lorsque j’ai compris que ce n’était pas du tout une blague) quand il s’est écrié 《 Mais comment ça ? Vous avez déjà tout terminé ? Mais là ce n’est pas possible, je vous ai donné du travail pour toute la semaine là. Ben mon vieux, c’est incroyable, j’ai jamais vu ça ! 》. J’en étais restée bouche bée tellement j’avais trouvé la situation improbable.

Le côté positif de tout ça ? J’ai appris l’art de la patience infinie…
 

 D’aucun comportement, tu ne t’étonneras… 

 
Même si je n’ai pas toujours tout compris, j’ai fini par être blasée de certaines habitudes et autres comportements que j’ai pu observés. Mais c’est vrai qu’en découvrant des situations “inédites”, à chaque fois j’avais besoin d’un petit temps d’adaptation en me répétant : 《 No stress, ça doit être normal ici !.
Morceaux choisis, en vrac.

Un beau jour, la Fatou (=la bonne) du Cabinet débarque dans le bureau où j’étais avec, à la main, une espèce de pot en terre rempli de braises ardentes. Surprise, j’avais alors pensé : 《 C’est quoi ça encore ? Elle ne va quand même pas faire des brochettes ici !?!? Il fait suffisamment chaud comme ça… 》. En la voyant sortir un sachet rempli d’un truc non identifié, je m’étais alors dit qu’elle allait peut-être préparer du thé. Mais je me trompais… Elle avait jeté une poignée du contenu de son sachet directement sur les braises, ce qui avait provoqué instantanément une épaisse fumée dans la pièce. On ne se voyait presque plus là-dedans, j’avais du mal à respirer tellement je toussais. Mais personne ne bronchait dans le Cabinet. Je me suis un peu inquiétée au bout d’un moment :

─ Dites donc, c’est normal que la bonne foute le feu au bureau ? 
─  Elle ne met pas le feu, elle parfume la salle !
─   Hein ? Parfumer ? Non mais moi ça m’asphyxie plus qu’autre chose son truc. Sérieusement, c’est quoi ? (ils étaient tous hilares de me voir écarlate sur mon bureau, les yeux exorbités, prise de quintes de toux de tuberculeuse).
─  Mais c’est de l’encens, vous ne connaissez pas ? Vous ne faites pas ça chez vous ? Nous ici, tout le monde en brûle dans sa maison. Celui-là est parfumé à — [je ne me souviens plus quoi]. Ça sent bon non ?
─   Bon… comment vous dire… Là je ne sens pas vraiment le parfum, mais plutôt la fumée. Et mes yeux commencent à crier au secours. Mais sinon, ça va durer longtemps ? Et c’est normal que ça fume autant ? Non parce que là on va tous crever !
─  Non non, rassurez-vous. Bon là c’est vrai qu’elle a un peu forcé sur la dose. Normalement on ne sent que les effluves des herbes brûlées. 》.
Il m’avait fallu ouvrir la fenêtre pour pouvoir reprendre mon souffle. J’étais la risée de mes collègues. Finalement, une fois que la fumée s’était dissipée, c’est vrai que ça sentait bon.
 
 
Régulièrement, clients comme collègues enlevaient leurs chaussures, les balançaient sous une chaise ou une table et se baladaient pieds-nus dans le Cabinet. Phénomène inexpliqué et inexplicable. Mal aux pieds ? Pompes inconfortables ? Arpions en surchauffe ? Les hypothèses restent sans confirmation. Il devait y avoir un peu de tout ça probablement.

Dans le même ordre d’idée, je ne comptais plus le nombre de fois où je me suis retrouvée nez-à-nez avec certaines collègues qui terminaient la journée en soutif ! Bon, à leur décharge, il faut préciser que pendant une grosse partie de l’année il faisait très chaud dans les bureaux, et il n’y avait pas la clim.

Il ne fallait pas s’étonner non plus de voir des gens se pomponner ; faire leurs ablutions ; dérouler un tapis sur les pavés et s’y prosterner pour prier face à La Mecque ; aller s’allonger sur les bancs de la salle d’attente pour piquer un roupillon ; se balader dans le couloir avec leurs chaussettes à la main (?!).
Il ne fallait pas être surpris de croiser parfois un mystérieux inconnu vêtu d’un grand boubou blanc immaculé et d’une sorte de chèche blanc sur la tête (comme certains marabouts) et déambulant en silence tel un fantôme ; de voir la femme de ménage faire la poussière en y soufflant dessus ou en agitant une chiffon en l’air pour la faire tomber par terre ; de se trouver nez-à-nez avec quelqu’un torse nu et le pantalon retroussé jusqu’aux genoux en train de se brosser les dents ; de voir des slips suspendus à la poignée d’une porte ou à la grille d’une fenêtre ; de trouver la fatou à quatre pattes dans la douche en train de faire la lessive.
Et que dire du nombre de fois où mon patron, sorti de la douche avec sa serviette encore autour du cou, ou bien en peignoir sortant de sa chambre, avait dû aller saluer un client dans le couloir avant de le faire patienter dans la salle d’attente jusqu’à ce qu’il soit prêt à le recevoir.
Ou encore de ce jour où, pendant qu’un client attendait l’heure de son rendez-vous, il crachait par terre, devant moi, sans aucune gêne, les résidus de son repas coincés entre les dents (il avait mangé du riz…).
J’en passe et des meilleures, je pourrais en parler pendant des heures…

 

 D’allumer le ventilo, tu t’abstiendras… 

 
La plupart du temps, il faisait chaud, très chaud dans les bureaux du Cabinet. Mon corps avait du mal à le gérer, et ça se voyait à l’œil nu quand ma tête virait au rouge coquelicot, ou que je passais mon temps à m’éponger car mon visage suait tellement qu’on aurait dit Johnny Hallyday en concert. Alors mon patron, inquiet, avait eu pitié de moi…
Un beau jour, des électriciens avaient débarqué avec fracas. Ils venaient poser un ventilateur de plafond. Le chantier du siècle avait débuté, un bordel indescriptible.
De mon côté, ça faisait deux jours que je m’épuisais à trier et classer deux années de paperasse balancée en vrac dans un grand carton apporté par un client. Ma table était minutieusement recouverte de tas de feuilles froissées et de bouts de papiers à moitié déchirés.
En fin de journée, les électriciens avaient voulu effectuer les premiers essais. Quand ils avaient mis le ventilo en marche, ce fut le “drame” ! Dès les premières rotations du terrible engin, la tonne de poussière accumulée sur chaque pale avait été projetée dans toute la pièce, je m’étais retrouvée presque complètement panée ! Et alors que je toussais et éternuais à m’en décoller la plèvre #MerciMesAllergiesRespiratoires, les pales s’étaient mises à brasser l’air de plus en plus vite, au point que la puissance (anormale) du souffle avait eu comme un effet cyclone. Mes papiers avaient été “aspirés” de ma table et s’étaient retrouvés à tournoyer dans la pièce avant d’être propulsés au mur ou au plafond.

 
Par réflexe, je m’étais étalée de tout mon long sur mon bureau dans l’espoir de limiter le “carnage”, et je suppliais :

─ PITIÉ ! Arrêtez-moi cette machine infernale !
─  Oh ? Mais pas de soucis Angélique, je vais vous prêter du poids pour caler tout ça. 》.

Les électriciens avaient éteint le plafonnier. Mon boss posait tout ce qui lui tombait sous la main sur mon bureau pour que je puisse coincer mes tas de papelards. Mais le ventilo avait été rallumé et rebelote. Je m’agitais dans tous les sens dans la pièce pour rattraper mes papiers volants…
Quand j’étais partie ce soir-là, un peu découragée par mes deux jours de boulot anéantis en quelques rotations de ventilateur, j’avais pu récupérer toute ma paperasse, mais mon bureau était enfoui sous une véritable quincaillerie, un bric-à-brac inimaginable !

Le lendemain, je m’étais installée à l’ordinateur pour comptabiliser tous les papiers virevoltants et bien aérés de la veille. Les électriciens étaient revenus faire des tests, réglant aussi la direction du ventilo pour éviter qu’il ne me souffle directement dessus (et me fasse un brushing par la même occasion…). Mais mon patron devait penser que je n’avais pas suffisamment d’air pour me soulager, alors il avait débarqué avec un ventilateur sur pied, une antiquité fonctionnant sur du 110V qui avait instantanément grillé quand il l’avait branchée sur la prise en 220V sans le transfo ! PAF ! Il avait sommé les électriciens de réparer/adapter la relique sur-le-champ, ce qu’ils avaient fait avec une improbable mais incroyable dextérité.

Petit aparté : il faut souligner que les Sénégalais sont de véritables Mac Gyver à l’africaine, les rois absolus du système D, les maîtres incontestés de “l’autodémerdance(selon l’expression consacrée de L.S. Senghor). Quoiqu’on en dise, quoiqu’on en pense, ça force l’admiration…

J’avais dû prendre de nouvelles habitudes pour composer avec les courants d’air qui m’étaient désormais imposés ! Je préférais quand même être sans l’option cyclone…

─ Mais Angélique, il faut utiliser les ventilateurs là présentement ! Ils ont été installés spécialement pour vous.
─  C’est très gentil mais je n’ai rien demandé moi. Je voudrais juste ne pas avoir à courir après les papiers. Alors si ça ne vous dérange pas, je les allumerai quand j’en aurai vraiment besoin. 》.

Ne tenant nullement compte de ma remarque, il avait aussitôt enclenché l’interrupteur du ventilateur de plafond… sans résultat ! Aucune des trois autres vitesses ne fonctionnait non plus. Les électriciens avaient dû revenir “en urgence” pour diagnostiquer la panne… à grands coups de marteau, tellement forts qu’à chaque coup, mes yeux se fermaient par réflexe sans que je puisse m’en empêcher. Mal de tronche d’anthologie ce soir-là…

Le lendemain, lorsque j’avais voulu allumer le ventilo, une énorme étincelle avait jailli du plafond avec un gros PAF!, un peu de fumée et puis plus rien. J’avais alors tout arrêté et n’avais plus jamais rien touché de peur de mettre le feu au bâtiment.

 

 Le bruit ambiant, tu supporteras… 

 
Autre problème récurrent pour moi, les nuisances sonores. Oui, encore. Non, je ne radote pas au fil des éditions d’#HistoiresExpatriées. C’était à croire que le silence n’existait jamais au Sénégal. Plusieurs sortes de bruits régnaient au boulot.

Il y avait d’abord l’ambiance dans le bureau même : une petite radio ondes courtes à piles crachait la bande-son de Dakar FM à fond toute la journée. Les sénégalais que j’ai côtoyés ne semblaient pas pouvoir rester une journée sans écouter de la musique. Je n’ai jamais réussi à savoir pourquoi ils mettaient le son aussi fort, c’était insupportable. J’avais des maux de tête épouvantables à peine un quart d’heure après mon arrivée chaque matin. Pour se concentrer sur une tâche, ce n’était pas simple. Je n’en pouvais plus. Les seuls moments de répit étaient quand les piles étaient vides. Mais ça ne durait jamais très longtemps car l’un des stagiaires était aussitôt mandaté pour aller trouver des piles neuves au plus vite ! Au début, je croyais que mon patron était un peu dur de la feuille, les portugaises un tantinet ensablées, et qu’il mettait fort pour entendre quand l’heure des infos arrivait. Mais non, dès que le journal commençait, il s’empressait de légèrement baisser le volume et se mettait à discuter avec les collaborateurs en s’égosillant pour couvrir le son de la radio.

 

Il y avait ensuite les voisins du dessous. Comme je l’ai déjà expliqué, tout le monde vit plus ou moins dehors, les logements ne sont jamais insonorisés et toujours ouverts aux quatre vents. Alors quand la famille vivant au rez-de-chaussée de l’immeuble a accueilli son énième nouveau-né, autant dire qu’on n’avait pas eu besoin de faire-part de naissance pour savoir qu’ils étaient un de plus chez eux ! Ce pauvre nourrisson hurlait non-stop du matin au soir, c’était à se demander s’il n’était pas laissé seul sans aucune surveillance.
Quelques semaines plus tard, ça s’est calmé. Mais ce sont d’autres enfants de la fratrie qui ont pris le relais. Un jour, un des garçons avait chopé un de ses frères pour le bastonner, et tenter de l’étrangler par la même occasion. La mère était sortie comme une furie dans la cour en hurlant encore plus fort que ses gosses. Pour les séparer, elle avait alors balancé sur eux tout ce qui lui passait par les mains, y compris le balai qu’elle utilisait, mais les chenapans, beaucoup plus vifs et agiles que leur pauvre mère, avaient esquivé les jets d’objets en une pirouette. Toutefois, c’est la maman qui avait eu le dernier mot en réussissant à en attraper un au passage, elle l’avait traîné à l’intérieur pour lui régler son compte. Vu les cris, il avait dû prendre cher…
On aurait été en France, les services sociaux auraient débarqué là avec toute la cavalerie en moins de temps qu’il n’en faut pour les appeler.

Il y avait aussi les chants religieux en arabe d’un malheureux gamin qui passait au Cabinet pour mendier plusieurs fois par semaine. Il avait une voix vraiment très bizarre, cassée, très rauque. Il psalmodiait sans rythme, d’un ton monotone répétitif ; c’était lancinant, irritant, crispant, ça me faisait grincer des dents. Tellement pas harmonieux que la première fois que je l’ai entendu, je ne savais pas ce que pouvait être ce “bruit”, ça m’évoquait vaguement les miaulements nocturnes des chats du quartier. Bref, un jour une des stagiaires lui a donné une pièce pour qu’il s’arrête de chanter et qu’il s’en aille. Sauf qu’après ça, il revenait chaque jour pousser la chansonnette en échange d’une nouvelle pièce, jusqu’à ce que l’un des stagiaires se mette en colère et le fasse fuir définitivement.

 

 D’eau courante, tu te passeras… 

 
Le Cabinet était situé dans une zone de la ville où il n’y avait pas d’eau du matin jusqu’en fin d’après-midi. Pour boire, ça ne me posait pas de problèmes, l’eau du robinet n’étant pas recommandée, je faisais toujours suivre une grande bouteille d’eau minérale. Mais pour les parenthèses enchantées aux toilettes (avec la chasse d’eau à sec après le premier visiteur du jour), c’était une toute autre histoire !

Pour ne pas faire fuir le lecteur, je ne vais pas rentrer dans les détails alléchants de ces moments très intenses et chargés en émotions fortes quand tu ne peux plus te retenir d’aller faire pipi (ou plus en cas d’urgence sanitaire) dans la soupe commune de tous ceux qui t’ont précédée depuis le début de la journée… Tout ce que je peux dire est que c’est dans de telles situations quotidiennes qu’on prend conscience de toute la puissance du mental et de la capacité d’adaptation de l’Être Humain !

 

 Dans la peau de la femme étrangère blanche immigrée, tu te retrouveras… 

 
Parfois, certaines situations ne peuvent être réellement comprises que lorsqu’on les vit soi-même. Quand j’habitais au Sénégal, les rôles ont été inversés : j’ai touché du doigt ce que peuvent connaître les étrangers vivant en France…

Une des choses qui m’aura beaucoup marquée (et blessée aussi) durant ma parenthèse expatriée c’est de prendre conscience un beau jour que, là-bas, je n’étais “qu’une femme blanche, étrangère et immigrée” qui n’était pas chez elle.
Littéralement, ce n’était pas faux bien-sûr. Mais au pays de la teranga (= art de l’accueil bienveillant et de l’hospitalité chaleureuse inscrit dans les gènes des sénégalais), je ne m’attendais pas du tout à ça. Aussi bien d’un point de vue professionnel que dans la vie de tous les jours, finir par y ressentir assez rapidement de la suspicion, de la méfiance, parfois même de l’animosité et du rejet (du racisme ?), et ce bien malgré moi, c’était plus qu’un paradoxe, c’était un comble !

À cette étiquette collée dans mon dos, je pourrais aussi rajouter “non musulmane”, mais je préfère éviter tout malentendu ou polémique… Je me contente donc juste de raconter une petite expérience qui m’a ouvert les yeux sur une réalité qui me dépassait (et sur laquelle je ne porte plus aucun jugement de valeur).
Un client ayant fait appel à mon boss pour assurer une mission de formation à destination de “musulmans très puristes”, a catégoriquement interdit que j’intervienne, après avoir d’abord refusé de simplement me rencontrer. Ne comprenant pas spontanément pourquoi, j’ai alors demandé des explications à mon patron (assez ouvert d’esprit et plutôt tolérant). Il m’avait dit, embarrassé, que c’était parce que j’étais une femme, blanche, et surtout que je n’étais pas voilée. Et que si j’avais dû prendre en charge les séances, il aurait fallu que je me voile intégralement. Très gêné, il avait alors préféré refuser pour moi sans me le dire…

Mes quelques expériences professionnelles négatives font aussi partie des raisons pour lesquelles lorsque j’ai quitté le Sénégal, je suis partie très fâchée contre ce pays, en jurant de ne plus jamais y remettre les pieds (fontaine…). À ce moment-là, définir le Sénégal comme LE pays de la teranga me faisait doucement rigoler car après tout ce que j’y avais vu et vécu, j’en étais venue à penser que cette fameuse teranga n’était qu’un concept marketing touristique opportuniste. Accueil et hospitalité peut-être, mais seulement pour les touristes-porte-monnaie-ambulant alors !  
Depuis cette époque, j’ai revu mon impitoyable jugement à l’emporte-pièce… Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir. Mais OUI le Sénégal est le pays de la teranga.

1995 : dans la peau d’une toubab en boubou. Vous avez le droit de rire, mais pas de vous moquer !!!
 
 
 

 Du rituel des trois thés, tu te régaleras… 
 
Une chose me plaisait beaucoup : chaque après-midi, il y avait toujours quelqu’un pour préparer du thé à la menthe (ou à la pastille Valda s’il n’y en avait pas). J’adorais en boire (même s’il ne fallait pas être trop tatillon sur la notion d’hygiène).
Au Sénégal, c’est tout un rituel, qui dure, dure, dure, le temps de préparer et de boire à tour de rôle chacun des trois thés. Là-bas, on dit que le premier est amer comme la mort, le deuxième est doux comme la vie et le troisième est sucré comme l’amour.

 

 
Au Cabinet, ça commençait à 15h, et les dégustations s’étalaient jusqu’à 17h30 généralement. On en avait bien besoin pour ne pas tous s’endormir sur nos tables ! C’était dur les après-midi dans cette fournaise. Je comprenais pourquoi ils faisaient tous la sieste après manger. Pourtant, je n’ai jamais réussi à adopter cette habitude, la sieste et moi n’avons jamais été très copines…

Trois bons thés et hop on était reboostés ! Surtout si la variété de thé noir préparé était celui appelé le “Saddam Hussein”. C’était le plus fort, tellement bourré de théine qu’en boire trop tard dans la journée risquait de nous assurer une belle insomnie ! Pas trop conseillé si on voulait affronter sans trop de difficultés une nouvelle journée de boulot le lendemain… Comme un jour sans fin…

 
 
 
Une fois de plus, comme pour la vie personnelle, la vie professionnelle dans mon (ancien) pays “d’adoption” n’a pas été un long fleuve tranquille ! Mais cette expérience m’a finalement beaucoup plus appris et apporté que ce que je ne le pensais à l’époque…

 

 

Toutes les autres participations abordant ce thème sont listées en fin d’article ici.

 

 

12 Comments on “[ #HistoiresExpatriées ] La vie professionnelle ailleurs…

  1. C'est quand même une expérience folle, même si elle n'a pas été de tout repos et qu'il n'y avait pas d'eau dans les toilettes ^^

    Je comprends que le quotidien a du être souvent compliqué, mais c'est vraiment un récit passionnant que tu nous livres là …

  2. merci Maëva. Oui, des souvenirs de cette époque lointaine, ce n'est pas ce qui manque ! Mais heureusement que j'ai conservé les milliers de pages que j'ai écrites quand je vivais là-bas. Je tenais alors religieusement mon carnet de bord au jour le jour ! Il y avait tant de choses à raconter à chaud que je n'aurais jamais pu me rappeler de tous les détails sinon… J'avais enfoui beaucoup d'épisodes, mais ça me libère d'oser raconter publiquement tout ça. Avec les années de recul, je peux raconter "en y mettant les formes", car la version d'origine est beaucoup trop politiquement incorrecte, virulente et sans filtre ! C'était tellement dur pour moi que je n'y allais pas avec le dos de la cuillère dans mon témoignage quotidien…

  3. Merci Lucie !!! Contente de t'avoir fait rire, c'est toujours une récompense pour moi.
    Je cogite beaucoup sur le prochain thème du corps… D'autant plus que l'annonce de la présentation m'a fait voir d'autres façons d'aborder le sujet, des angles auxquels bizarrement je n'avais pas du tout pensé de prime abord. Alors c'est un peu "tempête sous un crâne" pour moi depuis 🙂 !!! Mais j'espère bien pouvoir écrire sur le sujet…

  4. C'est toujours aussi dingue de te lire, j'ai beaucoup ri ! On est vraiment transportés dans un autre monde avec tes textes. Vivement la suite (le thème du corps s'annonce intéressant, car déjà tout au long de cet article j'ai pensé à plusieurs reprises combien la pudeur et la notion d'espace personnel semblaient différentes au Sénégal).

  5. oh merci Stéphanie, ça me touche beaucoup ce que tu m'écris ! Et si je suis parvenue à te faire rire avec mes (més)aventures, alors je suis comblée !!! C'est mon objectif premier : divertir (pour ne pas faire fuir :-)…) tout en "exorcisant" tout ce vécu qui, même s'il date maintenant, m'a marquée au fer rouge…

  6. J'adore ton article ! Tu m'as fait rire, tu m'as fait me poser des questions, et tu m'as appris des trucs ! Franchement d'avoir vécu tout ça chapeau. Le choc est rude, et tu le racontes très bien !

  7. Merci de m'avoir lue ��. Je suis ravie si, en plus, tu as apprécié. Je ne pensais pas participer (encore et toujours par peur d'être mal interprétée) mais finalement je me suis jetée à l'eau. Après tout, je ne raconte que ce que j'ai vécu, et ça fait un bien fou �� !

  8. J'ai eu un immense plaisir à te lire. Quelle expérience! Je sens cette ambivalence (qu'il m'arrive de ressentir moi-même) entre ton ouverture à une autre culture et les difficultés de codes à 1000 lieues de ce que tu connais. J'ai vraiment apprécié l’authenticité de ton récit. Merci pour cela.

  9. J'avais déjà entendu des morceaux de ce récit mais par écrit si bien rédigé c'est encore mieux. Bravo Angélique.

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