[ #HistoiresExpatriées ] Un mot, une expression : ≪ Graoul… Niofar ! ≫

 
https://occhiodilucie.com/
 
(édition n°1602/2019)
(avec pour parrain Patrick, expatrié en Slovénie)

Thème proposé :

UN MOT, UNE EXPRESSION

DE MON PAYS D’ADOPTION

 
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En réfléchissant au thème des #HistoiresExpatriées proposé ce mois-ci, la première expression “emblématique” qui m’est venue spontanément à l’esprit est Amoul solo !. Il s’agit ni plus ni moins que de l’équivalent wolof du célébrissime Hakuna matata ! qui signifie ≪ Y’a pas de problèmes ! ≫.
Pendant toute ma parenthèse expatriée, s’il y a bien deux mots qui revenaient et ponctuaient systématiquement chaque échange ou discussion, c’est ≪ Amoul solo ! ≫. Oui parce qu’au Sénégal (comme dans beaucoup d’autres contrées africaines), il n’y a jamais de problèmes, il n’y a que des solutions car tout y est possible (ou du moins, pas grand-chose n’y est impossible).

Force est de constater que les sénégalais ont un véritable don inné pour “l’autodémerdance”. Certainement par la force des choses, ils ont l’art de la débrouille et la manière de s’en accommoder. Ils ont cette incroyable capacité de trouver une solution (plus ou moins improbable) à chaque problème, ainsi que des plans B, C ou D à n’importe quel impondérable (plus ou moins surréaliste). C’est inscrit dans leurs gènes (à moins que ce ne soit plutôt une forme d’instinct de survie). Et si jamais il ne semble pas y avoir de solution, c’est que ≪ Amoul solo ! ≫. CQFD…

 

Mon avis sur la question (uniquement basée sur l’expérience que j’en ai faite en vivant un temps là-bas) : à chaque fois qu’on me disait ≪ Amoul solo ! ≫, par réflexe je grinçais un peu des dents car j’avais fini par comprendre que, la plupart du temps, cela voulait dire que tout n’allait pas se dérouler tout-à-fait “comme prévu” ? ! Mais ça, c’est normal, c’est Sénégal, alors ≪ graoul…≫ parce que niofar ! ≫.

 ≪ Graoul… Niofar !

Ce sont plutôt ces mots en wolof (dont je ne connais pas l’orthographe exacte) que j’ai choisis pour participer aux #HistoiresExpatriées de ce mois-ci.

Ces mots, je m’évertue à les rabâcher à chaque fois que des grains de sable grippent les rouages de la vie (qui est tout sauf un long fleuve tranquille, contrairement à ce que prétend une légende populaire…).
Ces mots, je les répète inlassablement à Philéas (je les lui ai carrément écrits au marqueur indélébile sur le clavier de son ordinateur portable du boulot) et à mes ados aussi (#AuSecoursMamanNousSouleAvecÇa), comme un leitmotiv destiné à ne jamais oublier que tout est relatif, qu’il faut toujours essayer de (re)mettre les choses en perspectives en prenant du recul.

Graoul… Niofar ! ≫   
C’est pas grave… On est ensemble ! ≫.

Ces mots sont emblématiques du Sénégal. Je dirais même plus : ils font partie de sa substantifique moelle.
Derrière cette expression à première vue légère, anodine et insouciante se cache, en réalité, toute une philosophie de vie, diamétralement opposée à notre conception occidentale.

Au pays de la Teranga, là où ≪ Le temps n’est pas pressé car il transporte l’éternité. [“La vie devant soi” d’Émile Ajar, alias Romain Gary], la culture du moment présent règne en maître absolu.
Le peuple sénégalais vit au jour le jour (voire même parfois “à l’heure à l’heure” comme je l’ai déjà raconté dans de précédentes éditions). Peu importe ce qui arrivera plus tard ; après avoir trouvé comment honorer la “dépense quotidienne” (de quoi nourrir toute la tribu pour la journée), ce qui est essentiel c’est d’être ensemble NIOFAR, ici et maintenant. Tout le reste, c’est pas grave GRAOUL

Là-bas, quoiqu’il arrive, on se serre les coudes face à l’adversité. L’esprit de solidarité et de partage fait office d’assurance-(sur)vie, alors chacun vit l’instant T sans penser ni se préoccuper du lendemain et encore moins du surlendemain. Personne n’est jamais dans l’anticipation. Demain est un autre jour où, de toute façon, le soleil se lèvera à nouveau pour tout le monde. Alors à quoi bon s’angoisser pour un futur encore inconnu, forcément incertain et totalement imprévisible ? Après tout graoul… Niofar ! . On verra bien, inshallah !

 

 
Pour un toubab, plonger dans cet univers si dépaysant l’espace d’un voyage-vacances est la plupart du temps enthousiasmant et envoûtant. Cela revient à s’octroyer une bulle d’oxygène, un sas de décompression, une parenthèse de simplicité, d’insouciance et de lâcher-prise extrêmement bénéfiques
Après un petit temps d’adaptation, on parvient, comme par magie, à se délester de tous les soucis polluant l’esprit, on réussit à s’affranchir du carcan des contraintes du mode de vie à l’occidentale et ça fait un bien fou ! 
Cela permet de prendre du recul, remettre les choses en perspective, appuyer sur le bouton “reset” et rentrer chez soi regonflé à bloc en sachant apprécier tout ce qu’on a. 
 
Une petite anecdote à ce propos.
Je me souviendrai toute ma vie de la réaction totalement inattendue qu’avait eue mon fils au retour du premier voyage au cours duquel on avait embarqué nos kids en brousse au Sénégal. Il y avait d’ailleurs soufflé sa sixième bougie ? (plantée sur un morceau de pain…) à cette occasion.
Pendant la dizaine de jours de notre périple, l’opération “faire sa toilette” se réalisait dans l’obscurité à l’aide d’un tuyau crachant péniblement un faible filet d’eau froide (extrêmement pratique et efficace pour se rincer les cheveux quand on a une longue tignasse !), avec lequel on tentait d’évacuer au préalable toutes les bestioles grouillant sur le sol tout en poussant des petits cris horrifiés. Mais ≪ graoul…≫ parce que niofar ! ≫…
Dès le retour à la maison, il avait couru à la salle-de-bain avec sa grande sœur (sans qu’on ait besoin de leur répéter dix fois d’aller se laver, ou qu’on les menace de représailles, avant qu’ils daignent s’exécuter…). On l’avait alors entendu s’écrier, avec des trémolos d’intenses émotions dans la voix : 
Regarde ! Une vraie douche, sans bestioles à chasser, avec une vraie “poignée” pour se mouiller et de l’eau chaude qui coule fort ! Je suis trop heureux chez moi…
#LePouvoirDeLaThéorieDeLaRelativité
 
 
Lorsqu’il s’agit de vivre au Sénégal, c’est une toute autre histoire car les choses sont perçues/vécues (plus ou moins) différemment. 
Naviguer à vue sur cet océan paraissant nonchalant et indolent à nos yeux d’occidentaux speedés, entraîne inévitablement une multitude de situations cocasses, toutes plus improbables et surréalistes les unes que les autres. 
Mais à la longue, des façons d’être et de faire qui “amusent” au départ de l’action peuvent parfois (souvent ?) finir par agacer au plus haut point lorsque notre tempérament de blanc-bec impatient reprend le dessus. Chasser le naturel… 
Ce qui est sûr et certain c’est qu’il est absolument impossible de rester indifférent aux us et coutumes locales. Rien n’oblige à les adopter bien sûr. Mais il est préférable de ne pas oublier qu’en cas de contrariétés pour quelque chose ne se passant pas vraiment comme prévu, au Sénégal, quoiqu’il arrive, graoul… Niofar ! .

 

 

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édition n°15 : La cuisine…
édition n°14 : Mon intégration…
édition n°13 : Le système médical…
édition n°12 : Les rapports humains…
édition n°10 : Le corps ailleurs…
édition n°7 : Votre coin de France. (je n’ai pas participé à ce numéro)
édition n°5 : Mon ailleurs la nuit…
édition n°4 : Ma nouvelle routine…
édition n°3 : Pourquoi es-tu partie ?
 

 

Toutes les autres participations abordant ce thème sont listées en fin d’article ici.

 

 

4 Comments on “[ #HistoiresExpatriées ] Un mot, une expression : ≪ Graoul… Niofar ! ≫

  1. On a tant à découvrir et à apprendre d'autres cultures… Tout n'est pas forcément "bon à prendre" mais au moins cela pousse toujours à la réflexion et la prise de recul. Niofar et vediamo feraient un bon combo tu ne trouves pas �� ?

  2. C'est une philosophie qui me plait beaucoup. Je comprends qu'elle puisse autant t'inspirer ! Ca m'arrive de penser ainsi, quand il y a une situation de conflit, en disant "on est vivants" car finalement c'est ça qui compte ! Niofar le traduit d'une façon beaucoup plus jolie et l'aspect collectif me plaît 🙂 Merci Angélique pour ces récits toujours intéressants !

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