[ #HistoiresExpatriées ] La cuisine…

https://occhiodilucie.com/
 
(édition n°1501/2019)
(avec pour marraine Perrine, expatriée au Canada)

Thème proposé :

LA CUISINE

 
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Après les agapes et festins gargantuesques de ces fêtes de fin d’année, suivis dans la foulée (pour ne pas perdre le rythme) par les abus de galettes et autres couronnes des rois de ce début janvier, on va friser l’indigestion, voire carrément frôler l’overdose, avec le thème proposé ce mois-ci. Oui, car ça reste dans l’actualité brûlante des papilles (en attendant la saison imminente de la chandeleur avec ses crêpes qui patientent fébrilement en embuscade derrière la poêle…) : la cuisine !

En plus, ce thème est dans l’air du temps ; il paraît que, comme diraient en boucle ma fille et ma plus jeune cousine (comme tous les “adulescents” de leur génération manifestement), La bouffe, c’est la vie !.

C’est marrant quand j’y réfléchis car à l’époque de ma parenthèse expatriée (il y a presque 25 ans maintenant… Moi j’ai l’impression que c’était (avant)hier. Le temps passe à une vitesse, c’est de plus en plus effrayant !), la bouffe était vraiment très loin d’être l’une de mes priorités. À vrai dire, pour schématiser, je “ne mangeais pas” (dans le sens “avec tout le plaisir que ça procure”), je me contentais de me nourrir afin d’accomplir un simple besoin physiologique basique. Je considérais même ça comme une pure perte de temps, mais la raison un chouïa plus rationnelle est sans doute que très peu d’aliments étaient à mon goût. Oui, je faisais partie de ce que l’on appelle pudiquement les gens “(vraiment) très difficiles” (traduire par “(vraiment) très chiants”), ceux que l’on préfère voir en photo plutôt qu’invités à sa table.

Pensée du lecteur ≪ Non mais où elle veut en venir ??

J’utilise le passé pour raconter ça. Pourtant, si je me fie à mon entourage, je devrais écrire au présent. Sauf que de mon point de vue, TOUT est relatif (je ne cesse de le répéter !), même dans le domaine de la bonne chère. Après tout, je ne vois pas pourquoi, si je n’aime pas quelque chose, je devrais être immédiatement taxée de “difficile”, alors que si un truc que moi j’aime ne plaît pas aux autres, eux ne seraient pas instantanément catalogués “chiants pour bouffer” ? (Je m’amuse de temps en temps à l’expliquer ainsi, exemple à l’appui, à ceux qui critiquent mes préférences culinaires, les réactions et réponses embarrassées, mais surtout de mauvaises foi, sont savoureuses…). Pourquoi le proverbe “Les goûts et les couleurs ne se discutent pas !” ne pourrait pas s’appliquer à moi ? J’ai toujours trouvé ça soûlant et très injuste…

Ceci dit, je concède bien volontiers que je ne mange pas de tout, loin de là (mais qui mange vraiment de tout, honnêtement ???). Mon cas pourrait se résumer par “mauvaise française” pour la plupart des gens car je déteste le fromage, tout ce qui est poissons et coquillages, la plupart des plats traditionnels super digestes bien de chez nous tels que choucroute, cassoulet, andouillette, bouillabaisse, tartiflette, fondue savoyarde, cuisses de grenouilles, escargots, etc. Et comble d’hérésie, je n’aime pas non plus le vin et plus généralement je ne bois pas d’alcool (par goût, pas par conviction… Alerte scoop : c’est scientifiquement prouvé, il n’y a aucun risque de rouiller en buvant de l’eau !). Je suis un pur bonheur à inviter à boire et à manger, n’est-ce pas ?

Pensée du lecteur ≪ Et… c’est quoi le rapport avec la cuisine sénégalaise ? ?  

Imaginez un peu ce que pouvait donner ma rencontre avec de la bouffe exotique totalement inconnue pour moi… #PhobieAlimentaire
Avec le temps, j’ai fini par ne plus me considérer comme “difficile” mais plutôt comme “sélective” puisque, si j’ai le choix, je préfère manger ce que j’aime et non pas uniquement ce que les autres aiment… Dit ainsi, ça paraît être d’une logique confondante, mais manifestement ça ne l’est pas pour tout le monde.  (Si je faisais une liste exhaustive de ce que je mange, on se rendrait probablement compte qu’il y a bien plus d’aliments qui ont grâce à mes yeux que ce qu’on pense finalement).

Mais avant de réussir à arriver à ce niveau de (presque) sagesse culinaire, je suis passée par la case Sénégal, une GROSSE étape pour moi avec la phase “désespérance alimentaire” par perte de tous mes repères. C’est là-bas que les choses ont commencé à évoluer et s’améliorer, bien malgré moi, par la force des choses… Comme je n’avais aucune intention de me laisser mourir de faim, il avait bien fallu que je prenne sur moi pour élargir et diversifier un tantinet l’éventail de ce que je pouvais ingurgiter là-bas puisque je n’y trouvais pas tout ce dont (ou plutôt le peu que) j’avais l’habitude de me nourrir en France.

C’est ainsi que j’ai découvert la cuisine sénégalaise.
Depuis cette époque, je mange beaucoup plus de choses que ce dont j’étais capable avant ma parenthèse expatriée.

Note de la narratrice ≪ Et voilà où je voulais en venir !
Pensée du lecteur ≪ Tout ce BlaBla pour arriver là ?
Réponse de la narratrice ≪ Tout-à-fait ! Il faut planter le décor et toujours remettre dans le contexte !
  
Elle est réputée et considérée comme l’une des plus riches et créatives d’Afrique de l’Ouest, grâce aux influences des populations d’horizons divers (cultures arabes et européennes) et aux brassages issus de l’histoire même du pays et des périodes coloniales successives (Portugaises, Anglaises, Hollandaises, Françaises).
Je ne vais pas pouvoir confirmer ou infirmer ça. Je suis bien incapable de comparer avec la cuisine d’autres pays voisins puisqu’à ce jour, je ne connais vraiment de l’Afrique de l’Ouest que le Sénégal (mes passages très furtifs en Gambie et dans le désert en Mauritanie ne comptent pas).

En revanche, ce que je peux dire c’est que le dépaysement a aussi été au rendez-vous pour moi dans l’assiette !

Pensée de la narratrice ≪ C’est bizarre mais quelque chose me dit que cette info ne va pas surprendre grand monde… Je ne sais pas pourquoi ?!

 
Us et coutumes culinaires locales

Autant dire tout de suite que le concept “être difficile pour manger” n’a absolument aucun sens au Sénégal ! Faire sa gnangnan délicate quand il s’agit de partager un repas est tellement inconcevable que cela m’a valu de me retrouver maintes fois dans des situations surréalistes d’incompréhension totale.

Au Sénégal, l’idée de pouvoir choisir et de vouloir diversifier son alimentation, les préceptes des “cinq fruits et légumes par jour”, du “ni trop gras ni trop salé ni trop sucré”, du “boire un litre et demi d’eau” quotidiennement, la question existentielle cornélienne prise de tête “qu’est-ce que je vais bien pouvoir préparer à manger aujourd’hui ?”, etc. tout ça, c’est du blabla, de la science-fiction.

D’abord, là-bas, les sénégalais mangent ce qu’ils ont la possibilité de mettre dans leur gamelle commune, bien contents de pouvoir ingurgiter au moins un vrai repas consistant par jour. (Il n’y a pas de famine au Sénégal. En revanche, il y a quelques soucis de malnutrition infantile, carences vitaminiques et déséquilibres alimentaires. Se rajoute désormais à cela l’épidémie mondiale de malbouffe qui frappe les jeunes générations des grandes villes).

Ensuite, ils ne se vrillent pas les neurones en cherchant à varier les repas. Ça, c’est une préoccupation d’occidentaux ayant les moyens… Au Sénégal, on mange plus ou moins chaque jour la même chose parce que l’immense majorité de sa population n’a pas les moyens de faire autrement. Concrètement, la plupart du temps il s’agit d’un simple “riz gras” ou “riz à l’huile”, ou bien d’un “riz sauce”.

Plus généralement, pour schématiser, l’ingrédient principal d’un plat typique sénégalais est une céréale accompagnée de beaucoup d’huile (de palme ou d’arachide), et éventuellement de légumes, de poisson ou (plus rarement) de viande.
La céréale peut être soit du mil (consommé sous forme de farine, de couscous, en boulettes, en bouillie), soit du “petit riz” (brisure de riz ou riz concassé), soit du fonio (seule céréale sans gluten, très digeste, préparée comme de la graine de couscous). Suivant les régions du pays, on trouve aussi du maïs et du sorgho.

fonio et sauce à l’arachide


 
 
Le tout est agrémenté d’une sauce, la plupart du temps pimentée, à base d’oignons, d’ail, de concentré de tomate et d’huile d’arachide (la spécialité du pays, le Sénégal ayant été l’un des plus grands producteurs d’arachides du monde), et contenant immanquablement du bouillon-cube Jumbo, ou son concurrent Maggi, un incontournable pour donner plus de fumets et d’arômes (artificiels en poudre).

Là-bas, on en incorpore partout, y compris dans une “vinaigrette” improvisée au fin fond de la brousse (!?!? #ÇaSentLeVécu). Il est bon marché. Il y en a de plusieurs parfums, ce qui permet de donner le goût de légumes, de poisson, de crevette ou de viande à un plat qui n’en contient pas (faute de moyens pour pouvoir en acheter).

Philéas déteste ces bouillons cubes au point de ne rien apprécier de la cuisine sénégalaise (et d’interdire formellement son usage à la maison ! Bon, je n’ai jamais cuisiné avec des cubes, ouf…). Ce qui ne l’empêche pas d’aller quand même au pays de la Teranga chaque année ! Il se met alors en mode “survie”, en se contentant de grignoter quelques grains de “petit riz” avec du poisson grillé, le tout arrosé de litres (histoire de ne pas risquer de se déshydrater) de Gazelle, une des bières locales. Son argument imparable (d’une mauvaise foi confondante) pour justifier cet “OktoberFest” made in Africa : la bière est bourrée de levures, une solution naturelle pour protéger les boyaux, donc idéale pour s’épargner les soucis de tuyauterie !

 

Pour les repas, ça se passe par terre, sur les nattes posées au sol puisqu’au Sénégal, on ne s’installe pas autour d’une table pour manger, on s’accroupit ou on s’assoit (comme on peut… mieux vaut ne pas avoir mal au dos, des rhumatismes ou de l’arthrose…) sur un bout de natte, en prenant soin de ne pas y mettre les pieds dessus ! Parfois, il y a des espèces de mini tabourets en bois (tellement riquiqui qu’on ne peut y poser que la moitié de ses fesses), pas forcément plus confortables. 
Par ailleurs, il n’y a pas d’assiettes, chacun trempe sa main droite dans le grand plat commun, dans la zone délimitée pour chaque convive par la maîtresse de maison (ou sa Fatou). Celle-ci découpe avec ses doigts (ou une cuillère) les morceaux à partager équitablement, puis les répartit dans la zone de chacun. Gare à celui qui tente de piquer un morceau en sortant de sa part dédiée. 
J’ai raconté en détails, dans la partie ≪ Rencontres improbables avec “l’autre”… ≫ de ce récit précédent, quelques-unes de mes expériences de repas traditionnels pris chez l’habitant. À lire ou à relire sans modération !

Les repas se prennent traditionnellement ensemble, généralement en famille (plus ou moins élargie), ou alors en groupe lorsque l’on n’est pas près des siens. Se nourrir seul dans son coin est plutôt inconcevable. Manger est un moment de partage (où tout le monde boit de l’eau à tour de rôle dans la même timbale qui passe de main en main) et de convivialité.
Niofar (=”on est ensemble” en wolof), jusqu’à ce que la satiété se fasse sentir, signal poussant le repu à la peau du ventre bien tendu à se lever sans demander son reste ni attendre les autres, quitter la carpette et retourner vaquer à ses occupations.

Si jamais quelqu’un débarque à l’improviste, il sera toujours convié à prendre place sur la natte, une zone de la grande gamelle commune contenant le plat unique lui sera attribuée. C’est tout-à-fait naturel, c’est la teranga, l’art de l’hospitalité.
Si l’invité surprise est un toubab, alors on lui fournira une cuillère pour manger, histoire de ne pas trop le mettre mal à l’aise avec les façons de faire locales.

 
 
 
Quelques bases de la cuisine sénégalaise…

Assister, voire participer, à la préparation des repas est l’assurance de découvrir les bases et les secrets de la cuisine sénégalaise, mais surtout de passer un moment inoubliable, riche en couleurs, en odeurs, en saveurs, en éclats de rire, la bonne humeur et l’espièglerie des femmes étant hautement contagieuses. (Et pour les “fragiles” toubabs que nous sommes, riche en chaleur étouffante et sueur abondante ! On cuit en même temps que les plats qui mitonnent…).

Ne surtout pas être pressé de manger, le temps s’écoule différemment en Afrique, il infuse doucement… C’est un peu comme une allégorie de la fable ≪ Le lièvre et la tortue ≫ revisitée : rien ne sert de se hâter, de toute façon on finira forcément par se sustenter.

Hormis les gros sacs de riz et les lourds bidons d’huile achetés en grandes quantités pour tenir le mois, les provisions s’achètent au jour le jour. La très grande majorité des familles ne dispose d’aucun moyen de conservation comme chez nous. Point de frigo mais un inimitable et redoutable système D ; par exemple, pour conserver les grosses boîtes de conserves de concentré de tomates entamées, les femmes y versent de l’huile sur la surface pour protéger de l’oxydation, de toute contamination et du pourrissement.

Tout “atelier cuisine” commence donc par une longue virée nonchalante au marché pour accompagner les cuisinières allant s’approvisionner. En guise de “cabas à courses” local, elles emportent un seau ou une bassine arc-en-ciel qu’elles portent toujours sur la tête (ainsi, les mains restent libres) avec une dextérité défiant les lois de la pesanteur qui force l’admiration (d’ailleurs, si un jour vous allez au Sénégal, essayez au moins une fois de garder en équilibre sur le crâne et de supporter le poids d’une bassine remplie, et ensuite de marcher avec sans la faire tomber ! Je vous mets au défi d’y arriver du premier coup, voire d’y arriver tout court. C’est très dur, ça ne s’improvise pas. Il faut avoir une musculature dédiée particulière que nous n’avons pas du tout. Les sénégalaises sont initiées à cet exercice dès leur plus jeune âge.).

 

Arrivés au marché, c’est le top départ au bal des salutations s’éternisant et à la joute des négociations sans fin.
Mais ce qui frappe d’abord c’est qu’on dirait qu’une “color-fashion-battle” y est organisée tellement les sénégalaises sont fières et ont de l’allure dans leur beau boubou chamarré. Seules les africaines savent le porter de si belle manière. Elles n’ont pas leur pareil pour le mettre ostensiblement en valeur avec leur démarche savamment chaloupée. (Mes essayages de boubous, lorsque je vivais là-bas, ont plus frisé le ridicule qu’une place sur le podium… L’african style n’est pas donné à tout le monde, qu’on se le dise !)

Elles remplissent leur bassine d’oignons, d’ail, de piments, de concentré de tomates et de divers légumes cultivés là-bas tels que carottes, manioc, ignames, pommes de terre et patates douces, courgettes, aubergines, tomates, choux et salades, gombos (légume vert ressemblant à un piment allongé avec un peu l’apparence d’une petite courgette), haricots et autres niébés (haricots coco blancs avec une petite tache noire), courges, potirons.

Après les étals des maraîchers, direction les allées des poissonniers, des volaillers et des bouchers. Traditionnellement, ce sont essentiellement les poissons qui accompagnent les plats. En haut de la liste des préférences locales : le thiof (mérou) qui fait partie des ingrédients du plat national (le thiof étant plutôt coûteux, il est souvent remplacé par du yaboy), le thieboudienne (je vous épargne les nombreuses variantes orthographiques), qui signifie “riz au poisson” en wolof. On l’appelle “tiep” en abrégé.
Les amateurs de produits aquatiques sont aux anges puisque les eaux très poissonneuses du pays fournissent également de la carpe rouge, du barracuda, de la carangue, du mulet, du thon, de la sole, du capitaine (grillé, c’est celui que préfère Philéas), du saint pierre, de l’espadon, de la lotte, de la dorade, du poulpe, du turbot, de la raie, etc.
On trouve aussi des gambas et autres crevettes (et même parfois des langoustes), des huîtres de palétuviers, des crabes et des araignées de mer (qui m’ont provoqué une allergie foudroyante avec éruption d’une urticaire d’anthologie dont je me souviendrai toute ma vie).
On cuisine aussi occasionnellement du poulet, du mouton, de la chèvre, du zébu (plus rarement car beaucoup plus coûteux), du cochon (et du phacochère dans certaines régions) dans les communautés catholiques.
Attention, mieux vaut être prévenu : traverser cette zone du marché peut s’avérer très éprouvant d’un point de vue olfactif pour les non-initiés ! Tout particulièrement lorsqu’on s’approche des marchandes vendant du poisson séché, du yaboy (grosse sardinelle, bourrée d’arêtes, très appréciée là-bas. L’une des principales sources de protéines bon marché.) et du yet, un gros coquillage dont le mollusque est enterré plusieurs jours dans le sable pour le faire faisander, puis il est lavé et découpé en petits morceaux avant d’être séché au soleil (un truc dégageant une odeur ignoble insoutenable). C’est l’ingrédient secret, dont les sénégalais raffolent (ils appellent ça le “camembert sénégalais”), qui donne toute la saveur aux plats. Mais le goût est si puissant qu’il faut en mettre très peu…

Une fois toutes les provisions achetées, il est l’heure de s’attaquer aux choses sérieuses sans jamais se prendre au sérieux. 

La cuisine se fait à ciel ouvert la plupart du temps, dans la cour de la concession familiale. La femme sénégalaise se doit d’être une bonne cuisinière. Alors dès le plus jeune âge, les filles aident leur mère et apprennent ainsi par mimétisme à préparer les repas. Aucun livre de recettes à disposition, la transmission des traditions se fait à l’oral dans le domaine culinaire aussi.

L’ambiance est joyeuse et animée. Ça papote toujours, ça rigole beaucoup surtout. Il n’est pas rare d’entendre chanter les femmes, voire même de les voir danser entre deux tours de passoire dans les grands chaudrons posés en équilibre savant sur les feux.

 

Les cuisinières sénégalaises ne débordent pas d’ustensiles ni d’équipements culinaires. Elles font dans le minimalisme sans le vouloir et savent parfaitement se débrouiller avec les moyens du bord.
Pas d’évier : il faut aller chercher de l’eau au puits et la ramener dans des seaux ou des bassines.
Pas de frigo ni de congélateur pour conserver les victuailles.
Pas de four, pas de gazinière, pas de plaques de cuisson, pas de micro-ondes, pas de blender ni autre robot cuiseur/malaxeur/batteur/mixeur.
Rien de tape-à-l’œil, rien d’électrique surtout, rien de superflu, juste le strict minimum nécessaire : immenses marmites, couvercles, grandes gamelles, bassines multicolores, écumoires, louches, couteaux, bouts de bois en guise de spatules, du charbon et/ou du bois entouré de cailloux pour y poser les casseroles sur le feu, parfois un braséro, tamis en osier et l’indispensable pilon “multifonction” (entêtant instrument à percussions entendu partout, tout le temps, dès les premières lueurs du jour, et rythmant le temps qui s’écoule lentement).

 

Quelques spécialités emblématiques

La cuisine de tous les jours est plutôt monotone. En revanche, lors des grandes occasions et des fêtes traditionnelles, c’est ripaille, tout le monde fait bombance ! C’est la révolution sur les tables nattes et dans les assiettes gamelles. Une multitude de spécialités traditionnelles se cuisinent aux quatre coins du pays.

À défaut de pouvoir être exhaustive sur le sujet, voici une sélection de cinq plats “typiquement typiques” que l’on peut déguster au royaume de la Teranga.

 
 
Thiéboudienne.
Il s’agit du plat national à base de riz et avec du thiof (mérou), des légumes, du concentré de tomates, de l’ail, du piment, du bouillon-cube et du yet (coquillage faisandé) pour relever les saveurs. Compter plusieurs heures de préparation.
Il existe des variantes avec ou sans tomates, ou avec de la viande et des œufs durs à la place du poisson (et dans ce cas, on l’appelle thiéboudiak), par exemple.
 

La première fois où j’ai gouté à ce plat, j’ai cru qu’un incendie s’était déclaré dans ma bouche puis que le feu s’était répandu dans ma gorge, mon œsophage, mon estomac, mes boyaux et le lendemain au bout du tunnel… Je ne m’attendais pas du tout à ce que ce soit pimenté, et comme je n’avais absolument pas l’habitude, ce fut le “drame” !

Le côté positif de ce côté négatif de ma dégustation, c’est que ça m’avait “vaccinée”. Alors que c’était totalement impensable jusque là, j’avais appris progressivement à supporter le piment (qui, selon des amateurs habitués, n’est pas si puissant que ça par rapport à d’autres piments de la planète). Et puis j’avais fini par apprécier un bon tiep que je mange volontiers depuis ma parenthèse expatriée (en ne touchant toutefois pas au poisson, que je déteste ; ça, ça n’a pas changé).

 
Yassa poulet.
C’est une spécialité culinaire de la Casamance, région du Sud du pays. Mais ce plat se retrouve absolument partout, sur n’importe quel menu de restaurant ou de gargote locale.
Yassa signifie “grillé” en wolof.
Le principe : du poulet mariné pendant 24 heures dans un mélange de citrons, d’oignons, d’ail, de moutarde et autres aromates, puis grillé et servi avec du “petit riz” sur lequel est versée la sauce issue de la marinade.
C’est mon plat sénégalais préféré !
Là encore, plein de déclinaisons sont possibles : yassa aux crevettes, au mouton, au poisson.

 
 
Mafé.
Ce plat est originaire du Mali, mais on le retrouve ailleurs en Afrique de l’Ouest.
Au Sénégal, il est traditionnellement préparé avec de la viande de mouton. Sa particularité : la cacahuète. En fait, il s’agit d’une sorte de ragoût légèrement pimenté avec des légumes et dont la sauce onctueuse est à base de pâte d’arachide. Il est servi avec du “petit-riz” nature.
Il faut savoir que ce plat, très apprécié, est on-ne-peut-plus indigeste ! Prévoir une bonne grosse sieste après sa dégustation, histoire de digérer paisiblement sans trop d’encombres ni de séquelles…
Je n’ai jamais aimé le mafé. Mais je pense que les rares que j’ai mangés n’étaient pas très bien cuisinés. Donc dès que l’occasion se représentera, j’en goûterai à nouveau un vraiment digne de ce nom pour me faire une opinion définitive.
Pour varier, le plat peut se préparer avec du zébu, du poulet, du poisson ou même seulement avec des légumes.
 
 
 
Poisson à la Saint-Louisienne.
Comme son nom l’indique, cette recette de poisson est une spécialité de la ville de Saint-Louis, ancienne capitale du Sénégal et de l’A.O.F. (Afrique Occidentale Française) située tout au Nord-Ouest du pays, à la frontière avec la Mauritanie.
Ce plat est plutôt sophistiqué à préparer. Il s’agit d’un mulet conservé entier (pour être servi “en l’état”) mais vidé méticuleusement, puis farci avec sa chair mixée avec du pain, du piment, de la tomate et des aromates, et enfin recousu (pour reconstituer la forme initiale du poisson) avant d’être cuit au four. Il est servi accompagné de riz et d’une sauce tomate.
Étant donné mon irrésistible appétence pour le poisson, inutile de préciser que je n’en ai jamais mangé… Rien que d’y penser, j’ai les écailles poils qui se hérissent !

 

Soupou kandja.
Cette recette africaine, toujours à base de riz, se singularise par sa sauce gluante faite avec du gombo
Sinon, pour les autres ingrédients, ça reste “classique” : légumes, concentré de tomates, huile de palme, et puis viande ou crevettes ou poisson fumé selon les goûts. 
Je n’ai aucun souvenir d’en avoir déjà mangé. Mais ça ne m’étonne pas car me connaissant, à mon avis, je n’ai pas goûté…
 
 
Autres spécialités en vrac

Qui va au Sénégal un jour mangera forcément des arachides à un moment ou à un autre ! La culture arachidière locale a connu ses heures de gloire au temps de la colonisation. Même si la suprématie est révolue (la ville de Kaolack fut un temps le plus grand port exportateur du monde), l’arachide est toujours emblématique du pays dont il reste gros producteur. Au-delà de l’huile qui en est extraite, elles composent certaines sauces, comme dans le mafé. Mais on en trouve également à grignoter à tous les coins de rue. Les marchandes les préparent en les faisant griller (sans huile) dans des braséros remplis de sable puis les servent emballées dans un cornet de papier journal.
La fatou d’un des collègues expat’ de Philéas les utilisait pour préparer des plaques de nougatine. Elle concassait au pilon les cacahuètes (jamais appelée comme ça là-bas), les disposait dans un moule à tarte, faisait beaucoup de caramel qu’elle versait ensuite par-dessus. Le temps de refroidir et hop : c’était une tuerie (attention de ne pas se casser une dent au passage) !

Dans la catégorie “grignotage”, il y a également les noix de cajou. Le Sénégal cultive beaucoup d’anacardiers. Dans une précédente édition, j’ai déjà expliqué en photos tout le processus de production (du côté du village d’Oussouye en Casamance), de la récolte jusqu’à l’apéro.

En parlant d’apéro justement, la gourmandise dont je raffolais (paradoxalement) : les pastels. Voilà l’exception qui confirme la règle en ce qui concerne mes goûts et mes couleurs. C’est bien la seule préparation à base de poisson que j’ingurgitais sans avoir des nausées sur le champ… Il faut dire que le “goût de la mer” était vraiment neutralisé par la préparation et la sauce pimentée l’accompagnant (tellement forte pour mes papilles que parfois j’en avais les yeux qui coulaient). Ceci explique sans doute ce paradoxe.
Les pastels sont des petits chaussons ou beignets fourrés d’une farce pimentée à base de poisson (la viande peut être une alternative) et de légumes, cuits au four ou frits, que l’on trempe ensuite dans une sauce pimentée légèrement vinaigrée aux oignons et au concentré de tomates. Ça m’enflammait les papilles, mais c’était succulent.

Pour manger sur le pouce, plusieurs options sont possibles.
S’arrêter dans une dibiterie pour manger une brochette de viande de zébu, d’agneau ou de mouton, grillée au feu de bois.

 

Faire une halte dans une gargote libanaise pour y manger, par exemple, un chawarma, le sandwich oriental.
Acheter dans la rue ou au bord de la route des beignets de toute sorte préparés et vendus par des marchandes ambulantes.

 

Et les desserts dans tout ça ?
La seule vraie préparation à laquelle j’ai goûté, j’en ai complètement oublié le nom, mais je me rappelle parfaitement de la mixture… C’était une bouillie de mil au lait caillé. J’avais trouvé ça tellement ignoble que je n’ai plus jamais voulu en manger.
Dans le même ordre d’idée, il existe aussi du riz au lait.

D’une manière générale, on ne peut pas dire qu’il y ait vraiment de traditions “pâtissières” au Sénégal. Mais il existe tout de même des douceurs à se mettre sous la dent.

Il y a des fruits de saison : mangues (ma folie lorsque je vivais là-bas, je n’ai encore JAMAIS mangé ailleurs dans le monde des mangues aussi bonnes, grosses et savoureuses que celles que je mangeais au Sénégal ! Et pourtant, dès que j’en vois en voyage, je m’y précipite systématiquement dessus…), papayes (que je déteste), oranges et mandarines très gouteuses mais pas très pratiques à manger car farcies (euphémisme) de pépins, pamplemousses, citrons et citrons verts, corossols (dont je buvais des litres de jus, une sacrée découverte), goyaves, noix de coco, jujubes, tamarins, figues de barbarie, bananes, pastèques, ananas verts à la chair blanche (en Casamance), etc.

Comme curiosité locale, on trouve du pain de singe. Il s’agit ni plus ni moins que du fruit du baobab, arbre ô combien emblématique d’Afrique en général et du Sénégal en particulier.

ce qui se cache à l’intérieur du pain de singe

 
 
 
Il est bourré de calcium, très riche en vitamines C, et contient aussi des antioxydants, du phosphore et du fer.
Sa chair blanche peut se manger crue. Sa texture un chouïa farineuse, avec des pépins, surprend les palais non-initiés. Mais on en fait surtout du jus de bouye. Il a des vertus médicinales pour les désordres intestinaux. Inutile de faire un dessin… (de toute façon, je ne sais pas dessiner).

 
Il y a le jus de bissap, la boisson couleur pourpre à déguster absolument au Sénégal. Elle est issue de la macération ou de l’infusion des fleurs d’hibiscus, additionnée de (beaucoup trop de) sucre pour tempérer l’acidité du breuvage.
On en fait également des confitures.
Il existe le bissap rouge et le bissap blanc dont les fleurs se rajoutent aux ingrédients des sauces parfois.
C’est un antioxydant plein de vitamines C, dont on dit qu’il fait baisser la tension  et aide à la digestion.

 
D’autres boissons typiques peuvent se siroter, tels que le jus de gingembre (pour palais avertis), le “jus” de tamarin, les 3 thés lors du rituel de l’ataya dont j’ai déjà parlé à de multiples reprises, les infusions de feuilles de kinkeliba (plante faisant office de médicament soignant à peu près tout) qui constituent la boisson chaude du petit déjeuner de nombreux sénégalais, ou encore le singulier “café touba”, du nescafé épicé au clou de girofle ou au poivre noir de Guinée, conservé dans des “thermos” et vendu au verre dans les rues ou au bord des routes.
 
 
 
Il existe bien d’autres spécialités culinaires au Sénégal. Je ne peux que vous encourager à aller les découvrir par vous-mêmes dans les différentes régions du pays !

 
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édition n°14 : Mon intégration…
édition n°13 : Le système médical…
édition n°12 : Les rapports humains…
édition n°10 : Le corps ailleurs…
édition n°7 : Votre coin de France. (je n’ai pas participé à ce numéro)
édition n°5 : Mon ailleurs la nuit…
édition n°4 : Ma nouvelle routine…
édition n°3 : Pourquoi es-tu partie ?
 

Toutes les autres participations abordant ce thème sont listées en fin d’article ici.

 

 

 

 

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