La grande traversée : 430 kms de routes chaotiques et de pistes défoncées…
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Lundi 29 décembre 2014 : jour du départ pour la première Grande Traversée !
Nous avons été frigorifiés toute la nuit, à la limite du supportable cette fois. C’est à n’y rien comprendre. Jamais on n’aurait pensé souffrir du froid en zone tropicale ! Et pour cause, c’est totalement inhabituel ici, même si le mois de décembre est l’un des moins chauds de la saison sèche.
Tous les sénégalais qu’on interroge à ce sujet nous disent la même chose : ils n’ont presque jamais connu ça. D’ailleurs, ils ont tous des rhumes carabinés, ce qui rend les rencontres et les discussions très peu ragoutantes : reniflages puissants de nez morveux, raclages bruyants de gorges glaireuses, crachats imposants semés au gré du vent comme le petit Poucet sème ses cailloux pour retrouver son chemin.
Bref, non seulement on a eu froid, mais la douche que j’avais besoin de prendre au saut du lit était gelée et m’a achevée… J’étouffais mes cris pour supporter l’épreuve de l’eau glacée qui me fouettait le corps et me coupait le souffle. Aaaaaah c’était vivifiant et ça réveille !!! Autant dire que je n’ai pas traîné pour faire ma toilette !!!
Après avoir pris un copieux petit déjeuner pour tenir toute la journée, nous levons le camp peu avant 8h. Comme nous ne savons pas combien de temps il va nous falloir pour arriver à destination (les aléas des routes africaines sont irrémédiablement imprévisibles), aucun arrêt « repas de midi » n’est prévu, seulement du grignotage en route en fonction des petits creux. Pour le ravitaillement itinérant, nous achetons donc des bouteilles d’eau, des bananes, du pain, des arachides et de la nougatine.
Tout notre barda est enfin prêt, il n’y a plus qu’à…. Heureusement qu’on ne fait pas cette aventure en vélo !!! Parce que perso, j’aurais été bien incapable d’utiliser celui qu’on a vu dans la rue en sortant…
Samba, notre chauffeur de taxi brousse attitré, toujours ponctuel lui aussi, est déjà là et nous attend dans la rue devant l’hôtel.
Il a toujours autant d’allure Samba avec ses cheveux et son collier de barbe d’un blanc impeccable. Il est grand et imposant, toujours vêtu d’un boubou traditionnel. La force tranquille respecté de tous, et connu aux quatre coins du Sénégal. Il a 57 ans, deux femmes (la seconde doit avoir 30 ans de moins que lui) et une tripotée d’enfants (dont le dernier, encore en bas âge, lui a fait prendre conscience qu’il n’est plus tout jeune, ce qui lui a passé l’envie de continuer à se reproduire, ainsi que de prendre une troisième femme !!!).
Comme à chaque voyage au Sénégal, il assurera en partie notre transport jusqu’à la fin. Philéas lui fait toute confiance. Non seulement c’est un excellent chauffeur, prudent et efficace et sur qui on peut compter, mais en plus ses cheveux blancs font office de laisser-passer et sont un gage de tranquillité sur la route. En effet, l’homme aux cheveux blancs est extrêmement respecté en Afrique, et généralement, quand on est arrêté sur la route, les palabres du Sage suffisent à se sortir et à abréger bon nombre de situations sans fin…
Les présentations et salutations faites, nous chargeons nos sacs à dos dans la malle et nous prenons place dans notre spacieux et confortable « carrosse de brousse » : une robuste Peugeot 505 break – 7 places, sans clim, avec au moins 800 000 kms au compteur (qui ne tourne plus depuis bien longtemps…), châssis et moteur totalement bidouillés. C’est qu’il faut renforcer les véhicules là-bas pour pouvoir avaler les milliers de kilomètres et résister à l’état des routes…
Estelle et Anthony hallucinent en montant dans la voiture ; ils se disputent déjà la banquette tout derrière car on peut s’y allonger. Mais on y est aussi protégé du soleil grâce aux rideaux à smocks ingénieusement posés aux vitres et qui donnent à la voiture une allure de corbillard vue de l’extérieur et de cercueil vue de l’intérieur !!!
Contre toute attente, l’enthousiasme inattendu manifesté par nos loustics en découvrant le char d’assaut de Samba, nous laisse finalement espérer un bon déroulement de cette première épreuve de résistance et de patience de l’aventure ! Car l’objectif de la journée est quand même de taille : parcourir les quelques 430 kms de route et de piste qui nous séparent du Niokolo Koba au Sénégal oriental, et ce avant la tombée de la nuit à 19h…
Sans perdre une minute de plus, nous prenons la route pour la Grande Traversée !!!
Il ne faudra pas longtemps avant qu’Estelle et Anthony ne constatent de nouveau que les routes et pistes sénégalaises ne sont pas seulement empruntées par des véhicules à moteur !
Les charrettes bringuebalantes tractées par des ânes ou des chevaux sont aussi légion. Sans compter toute la faune domestique qui y pullule. L’astuce pour éviter, autant que faire se peut, les collisions avec des bestiaux ? Anticiper la trajectoire et la vitesse de son propre véhicule grâce à la connaissance empirique des habitudes comportementales de chaque espèce animale…
Ainsi, tout conducteur sénégalais sait qu’en général un âne sur la route restera figé à l’endroit où il a décidé de s’arrêter. L’âne est en arrêt sur image. Donc, dans la très grande majorité des cas, pour passer sans encombre, il suffira de ralentir et simplement s’écarter de la zone de stationnement de l’âne.
Pour les chèvres, c’est assez simple de les éviter aussi, mais pas pour les mêmes raisons. En effet, la chèvre conserve généralement sa trajectoire et sa vitesse. Sans faire de calculs savants, on peut être à peu près sûr qu’elle avance donc de manière constante. Là encore, il suffira de ralentir et de s’écarter à l’opposé de la direction choisie par le caprin.
Quant aux zébus, c’est un peu un mix de l’âne et de la chèvre, mais en beaucoup plus gros. Et comme bien souvent ils se déplacent en troupeau imposant, ils prennent tout l’espace et ne laissent donc pas d’autre choix que de s’arrêter et attendre qu’ils traversent, ou au mieux rouler au pas derrière eux.
Enfin, en ce qui concerne les gallinacées et les ovins, les éviter se joue un peu à la roulette russe ! Sur une route, les poules et les moutons sont des affolés hystériques, qui ne semblent obéir qu’à la théorie du chaos. Leurs déplacements sont on-ne-peut-plus erratiques, et leurs trajectoires sont totalement aléatoires et absolument imprévisibles ! Il est donc vain d’anticiper quoi que ce soit, il faut juste ralentir, éventuellement klaxonner (mais ça peut être contre-productif !!!) et espérer que la collision n’ait pas lieu, sinon…
Tout le long du trajet, Philéas et moi constatons que les choses évoluent sur le réseau routier sénégalais. De grands travaux ont été lancés pour reconstruire l’unique route qui traverse la Casamance. Des tronçons sont flambants neufs, un vrai plaisir à parcourir quand on connait dans quel état c’était avant…
D’autres parties (interminables) sont en plein travaux. Non seulement nous ne pouvons pas rouler bien vite, mais en plus nous bouffons de la poussière à chaque fois qu’on croise un autre véhicule. On ne peut guère rouler les fenêtres fermées, la chaleur dans la voiture devient rapidement insupportable.
Sinon, tout le reste est inchangé : les routes sont toujours autant défoncées et farcies de trous. Le goudron ne recouvre pas toute la chaussée, ce qui fait que, quand c’est possible, il est beaucoup plus prudent de carrément rouler sur le bas-côté !!!
Par moment, on ne peut rouler qu’au pas. On a l’impression de faire du sur place, ça n’en finit plus.
A d’autres moments, le but du jeu pour Samba est d’éviter les trous et crevasses pour ne pas éclater un pneu, tout en évitant les véhicules qui arrivent en face et qui font la même chose que nous… Les coups de volant s’enchaînent, ce qui amuse beaucoup nos jeunes passagers projetés d’un côté et de l’autre de la banquette.
Anthony est même mort de rire, il se croit en plein jeu vidéo !!! Ce n’est pas Mario Kart, mais Samba Kart !!! Il s’amuse tellement avec sa sœur que les nombreux camions renversés sur le bas-côté de la piste ne les impressionnent même plus…
Certains passages sont de vrais supplices, et pas que pour le dos ! On n’en peut plus d’être secoués dans tous les sens, et on cuit dans cette bagnole surchauffée. Surtout moi qui suis assise côté passager avant, avec le soleil qui me tape dessus depuis le départ de l’action. Je suis obligée de garder mon chapeau dans la voiture pour ne pas cramer de l’oreille et de la joue droites. Quant à mon bras droit, je le protège comme je peux, en me tartinant régulièrement d’écran total. Je frôle l’insolation et l’hyperthermie…
Après un tronçon particulièrement chaotique, nous décidons de faire une petite pause pour se dégourdir les jambes, se ravitailler, se désaltérer et vider les vessies derrière le baobab le plus proche. Mais en nous arrêtant au bord de la route au milieu de nulle part, nous faisons une rencontre impromptue : une famille de singes surgit d’un arbre et court à travers champ. Ce n’est pas qu’on avait peur, mais bon quand même, on sait qu’il faut vraiment se méfier des singes, alors autant dire que l’opération « pipi bucolique » a été expédiée avec une petite poussée d’adrénaline quand il a fallu baisser les pantalons dans les herbes folles au milieu des buissons !!!
Autre constatation faite pendant la première moitié du trajet : il y a beaucoup moins de check-point que d’habitude. Car la Casamance reste une zone de conflits armée entre l’État et les rebelles indépendantistes. Les militaires y sont donc très présents et procèdent habituellement à de nombreux contrôles routiers, ce qui rallonge considérablement les temps de trajet. Mais là, à notre grande surprise, et pour notre plus grand soulagement, nous n’avons pour ainsi dire pas vraiment été contrôlés.
Tout au long du trajet, Estelle et Anthony ont pu observer les changements de la végétation et des paysages.
Après les cocotiers, palmiers et autres rôniers de la Casamance tropicale, le Sénégal oriental se présente plus aride, mais « feuillu et arboré » en cette saison.
L’atmosphère devient beaucoup plus sèche et surtout la chaleur se fait de plus en plus intense.
En milieu d’après-midi, nous quittons la route goudronnée et empruntons la grande piste nous rapprochant du Niokolo Koba.
Nous devons encore ralentir, pourtant nous languissons tous d’arriver pour pouvoir se poser. Tout le monde est fatigué, a chaud et sature d’être secoué dans la voiture qui tremble de toute part en roulant sur cette piste en tôle ondulée.
Chaque village traversé est l’occasion pour Anthony de nous seriner << C’est là, ça y est ? On est arrivé ? >>. Nous sommes autant déçus que lui de devoir lui répondre << Non, non, pas encore, mais on approche, on n’est plus très loin maintenant. On arrivera avant le coucher du soleil, ça maintenant c’est sûr ! >>.
Effectivement, le supplice prendra fin à 17h, à peine plus d’une heure avant la tombée du jour.
Après neuf interminables heures de routes chaotiques dans une bagnole surchauffée, nous arrivons ENFIN à destination : le Campement de Wassadou au bord du fleuve Gambie. Le soulagement est général ! L’épuisement aussi…
Estelle et Anthony sont émerveillés par le lieu qu’ils découvrent. Une fois de plus, ils ne savaient pas du tout à quoi s’attendre.
Il faut bien reconnaître que cet endroit calme, paisible, isolé en pleine nature, est vraiment très agréable.
Nous félicitons nos courageux aventuriers qui ont su faire preuve d’une patience exemplaire pour une telle traversée ! Je n’aurais pourtant pas parié un kopeck !!!
Nous remercions et félicitons aussi Samba pour avoir accompli son job de chauffeur sans faillir ni faiblir, et presque sans pause. Il a beau être rompu à l’exercice (c’est son boulot après tout), nous sommes toujours autant impressionnés par sa résistance.