IWOL Express : la nouvelle aventure SénéGauloise de la FOGUES Family !!!

 

 

 

 

 


En 2010, nous avions initié Estelle et Anthony à l’aventure africaine en terre Sénégalaise en les emmenant vivre pendant 10 jours dans un campement isolé (et au confort très spartiate) sur une île du Parc National du Siné Saloum situé à l’Ouest du pays.

Pour finir 2014 et commencer l’année 2015, Philéas nous a embarqués avec nos sacs à dos pour un nouveau trip familial au Sénégal.

Au programme cette fois-ci pour nos « petits » aventuriers : découverte de la Casamance (région tropicale au Sud-Ouest) et du Sénégal Oriental (région au relief vallonné au Sud-Est), avec comme objectif : aller jusqu’à IWOL pour voir de nos propres yeux ce fameux forage et tester sa pompe… 

 
Ce voyage « en terres (presqu’)inconnues » aura été vraiment plus intense que le précédent.
– D’abord parce qu’il aura duré deux semaines, avec la seconde semaine franchement costaud niveau aventure (quel doux euphémisme) !
– Ensuite parce que, cette fois-ci, il aura été itinérant et nous aura fait parcourir de grandes distances : en bateau et surtout en taxi-brousse sur les indescriptibles routes et pistes chaotiques écrasées de chaleur sillonnant le Sénégal. On aura traversé deux fois tout le pays, d’abord au Sud (d’Ouest en Est), puis d’Est en Ouest en remontant jusqu’à Dakar pour le retour.
– Et enfin parce qu’il nous aura poussés à nous surpasser et même à carrément atteindre nos limites… en tout cas en ce qui nous concerne Estelle, Anthony et moi ! Car évidemment Philéas, lui, est plus que rompu à ce genre de trip-aventure depuis longtemps !!!

 

Lundi 22 décembre 2014 :   jour tant redouté du départ… Je dis « jour tant redouté » car il faut bien avouer que le stress et l’angoisse étaient à leur paroxysme pour tout le monde !
– Estelle et Anthony nous détestaient, tellement ils étaient angoissés depuis des mois par les épidémies d’Ebola en Guinée, et de terroristes fanatiques au Mali, deux pays voisins dont nous allions approcher les frontières…
– Philéas était stressé et extrêmement contrarié par l’idée de se voir contraint d’annuler au dernier moment ce voyage auquel il songeait depuis… notre retour du précédent en 2010, voyage qu’il avait longuement et minutieusement préparé durant l’année écoulée, et qu’il attendait avec l’impatience d’un prisonnier attendant le jour de sa libération…
– Et moi, je faisais bonne figure pour « calmer le jeu » et tenter d’apaiser (sans grand succès) les tensions de plus en plus palpables, mais en réalité j’étais prise en étau (pour ne pas dire en otage…) entre le stress et les angoisses des uns et des autres, et mes propres appréhensions irrationnelles et irraisonnées de tout…

BREF, malgré le contexte pas vraiment favorable et l’ambiance pesante en découlant, après un dernier conseil de famille houleux, nous avons finalement décidé de partir quand même.
La plongée dans cette nouvelle expédition SénéGauloise a commencé dès notre arrivée à l’aéroport de Barcelone…
La veille, j’avais préparé en secret une petite mise en scène imaginée avec Philéas, histoire de motiver et stimuler la curiosité de nos troupes qui partaient à reculons vers l’inconnu…. oui, parce qu’en réalité, nos rejetons ne savaient pas très précisément ce qui les attendait…

Une fois la voiture garée, et les sacs à dos posés par terre sur le parking, nous présentons la « surprise » à nos « Desperate Children » :

 << (moi) –  Alors voilà : en ce moment précis, les habitants d’un petit village Bédik niché au sommet d’une colline du fin fond du Sénégal, préparent pour nous une grande fête traditionnelle où les masques seront de sortie. On passera le réveillon du jour de l’An parmi eux à Iwol. Ils nous attendent depuis des mois…

(Anthony) – pitié Maman……………….  

(Notre progéniture se décompose à vue d’œil).

(Philéas) – chacun prend son sac à dos et le pose devant lui.

(Estelle et Anthony) – pfffffff

(moi) – donc on vous réserve quelques petites surprises durant ce voyage. Et la première, c’est qu’on vous a préparé une aventure s’inspirant un peu de Pékin Express. Évidemment, on l’a appelée : « IWOL Express » !

(Estelle fait la gueule, limite bavant de rage. Anthony est au bord des larmes.) 

(Philéas) – Voilà vos dossards autocollants à mettre sur vos sacs à dos...

(moi) – …et ça, c’est votre pochette pour l’aventure. Ne surtout pas la perdre !!! Dedans, il y a les cartes des régions qu’on va explorer avec les endroits où on ira, l’équivalent en Francs CFA d’un euro par jour et par personne, et puis les planches de dessins des animaux qu’il faudra réussir à observer pendant le safari-photos dans le Niokolo Koba.
 
(séance photos pour immortaliser la scène. On aurait dit qu’on réalisait une « preuve de vie » pour réclamer une rançon en échange de la libération des otages !!!) 

(Anthony) – Mais Maman, comment je vais faire pour me déplacer ???? Je suis incapable de faire du stop tout seul moi !!!!

(Philéas) – Rassure-toi, on sera toujours tous les quatre ensemble. Et puis il n’y aura qu’une seule fois où on devra se débrouiller pour trouver un moyen de transport pour se déplacer. Le reste des trajets, j’ai tout prévu à l’avance.

(Estelle) – Encore heureux ! Et qu’est-ce qu’on va devoir subir encore pour cet Iwol Express ???

(moi) – alors…. euh…. comment dire…. autant vous y préparer psychologiquement : il y aura des épreuves physiques, dont le trek final. Et puis on va bivouaquer pendant trois jours au milieu des animaux dans le Parc du Niokolo : dodo par terre sous la tente, pique-nique et pas de douche… Sinon, pour l’épreuve de dégustation, pour vous ça va être un peu tous les jours hein… On ne vous demande pas de vous régaler, mais va falloir se nourrir ! BON mais avant tout ça, Papa vous a concocté quelques jours au bord de l’océan où le seul programme de la journée sera plage/farniente/repos/détente. Je pense que vous allez au moins apprécier votre premier Noël en maillot, au soleil, les pieds dans le sable !

(Philéas) – Allez hop, on y va maintenant ! Vous verrez bien ce qui vous attend… >>

Derniers contacts avec la civilisation occidentale, dernières sucettes bourrées de sucre (dernières volontés des condamnés…) avant de décoller pour cette nouvelle aventure dans la quatrième dimension Sénégalaise !!!  

 

Barcelone / Madrid  — escale —  Madrid / Dakar. 
On arrive à Dakar vers 21h (heure locale) comme prévu. Pas de retard, c’est cool. On savait qu’on devrait être patient avec toutes les formalités, dont le fameux visa-usine-à-gaz mis en place en 2014 (et supprimé en mai 2015). Mais là, ça aura été au-delà des prévisions les plus pessimistes… Car après avoir été assailli à la descente de l’avion par les traditionnels escadrons de moustiques affamés, un joyeux bordel attendait tous les passagers.
Une première queue sur le tarmac, pour attendre les bus devant nous emmener jusqu’au hall des débarquements. On a joué des coudes pour s’incruster dans le premier qui s’est enfin présenté ; ça aurait été plus rapide d’y aller à pied…

Une deuxième queue pour pouvoir entrer dans le bâtiment des arrivées. Nous sommes accueillis par des écrans géants diffusant en boucle des images gores des ravages d’Ebola. Mise en condition super rassurante !!!
A l’intérieur, pas de clim, pas de ventilateurs ; la chaleur est telle que nous nous liquéfions presque instantanément et nos visages rougissent tels des homards ébouillantés. Nous sommes tous agglutinés les uns contre les autres, ce qui n’arrange rien à nos systèmes naturels de régulation thermique qui ont basculé en mode S.O.S./alerte rouge. Certains touristes sont au bord du malaise. Estelle et Anthony supportent eux aussi difficilement ce changement de climat. Moi, j’hallucine devant le spectacle qui s’annonce.

Une troisième queue nous attend, celle de la prise de température… oui… je rappelle qu’on est au plus fort de l’épidémie d’Ebola, et la prise de température est obligatoire… Deux malheureuses sénégalaises (en charge de tous les avions qui venaient de déposer leurs centaines de passagers sur le tarmac), masque chirurgical sur le visage, mains munies de gants en plastique bleu par lesquels ruisselle leur sueur, tendent nonchalamment leur thermomètre frontal vers chacun d’entre nous. Vue la chaleur ambiante et le réchauffement inquiétant de nos corps, nous craignons que beaucoup ne partent directement en quarantaine, sans passer par la case « vacances au soleil » ! Heureusement, nous passons l’épreuve sans encombre, mais sans avoir réussi à (sa)voir si le thermomètre avait des piles et marchait vraiment…

Une quatrième queue pour accéder aux formalités liées au nouveau visa biométrique ! Et là, le temps s’arrête… ça n’avance pas d’un pouce. Les guichets électroniques tombent en panne les uns après les autres ! Les esprits commencent à s’échauffer dans la salle, et c’est à celui qui parviendra à faire le forcing en avançant dans la queue en grillant une place ni vu ni connu. Sans compter tous ceux qui se sont crus plus malins que les autres mais se rendent subitement compte qu’ils se sont trompés de file et attendaient pour rien à celle du paiement du visa.
Une équipe de l’aéroport arrive en renfort pour contenir la foule qui s’impatiente. Notre délivrance est aussi inespérée qu’inattendue : Anthony ! Eeeeh oui, il est encore considéré comme un enfant !!! Une femme du staff, moulée dans un tailleur beaucoup trop petit dont les coutures menacent de lâcher au moindre mouvement brusque, s’approche d’un pas autoritaire en levant son talkie-walkie. Elle attrape une famille avec deux jeunes gosses et les fait passer devant tout le monde. Un bruit sourd de protestations s’élève dans la salle, mais de notre côté, nous voyons plutôt poindre une lueur d’espoir… Et nous avons eu raison car lorsque la dame revient vers notre file d’attente d’un pas déterminé, elle repère Anthony qui baille aux corneilles la mine déconfite. Elle tend son talkie-walkie vers nous pour nous intimer l’ordre de passer immédiatement sous les cordes de séparation. Nous la rejoignons ni une ni deux, sans faire cas des protestations qui s’amplifient dans la salle surchauffée ! Et nous passons à l’un des deux uniques guichets pas encore tombés en panne. Contrôles des passeports, des papiers de « pré-enrôlement » et de paiement des visas (dont les formalités ont été faites en France, sur un site internet où il nous a fallu une bonne heure pour remplir nos quatre malheureux dossiers et obtenir leur numéro de validation), puis prises de photos, prises d’empreintes (<< présentez le pouce droit, le pouce gauche, l’index droit, l’index gauche….>>  etc, etc, chacun à tour de rôle…), vérification de l’adresse de destination au Sénégal, et nous voilà enfin avec nos autorisations d’entrée sur le territoire !
On cavale vers la salle suivante, pensant devoir faire une nouvelle queue au Bureau de la Police des frontières. Mais on voit des gens qui passent devant sans s’arrêter, alors du coup on zappe aussi… Personne ne nous dit rien. On avance sans se retourner et en accélérant le pas.

Cinquième queue : les bagages ! Avec le temps qu’on aura mis pour arriver jusqu’aux tapis, on pensait qu’ils seraient déjà là et qu’on n’aurait qu’à les récupérer. Et bien non ! Il aura fallu encore attendre longtemps avant de voir nos sacs à dos arriver. Sauf qu’on ne s’était pas rendu compte que Philéas n’était plus avec nous. On a les sacs, mais on n’a plus le Père ! Impossible de le trouver au milieu de cette foule. Vent de panique…
Pendant ce temps, sans nous prévenir, Philéas s’est éclipsé au fin fond de la salle bondée où les gens se bousculent nerveusement au bord des tapis. Pour gagner du temps, il est allé s’occuper de faire du Change. Une femme en boubou, à moitié endormie, est enfermée dans une minuscule baraque vitrée, tel un poisson rouge dans son mini aquarium. Ce n’est pas un guichet, il faut rentrer avec elle dans le bocal. Là, elle est assise, avachie au milieu de tas de billets posés en vrac comme ça, par terre, ou sur des planches ou des sacs. Aucun coffre-fort, ni caisse. La scène est surréaliste !!! On se demande comment c’est possible qu’elle ne se fasse pas braquer. On se demande surtout comment elle peut respirer dans ce bocal surchauffé, aussi étroit, confiné et dont l’air empeste l’odeur puissante et entêtante des Francs CFA… Une précision s’impose à ce propos pour qui n’a jamais eu entre les mains ces billets. Ils ne sont pas franchement très nets (pour ne pas dire carrément dégoûtants) : ils sont entièrement recouverts d’un nappage des couches de crasse accumulées depuis leur mise en circulation, ce qui entraîne des émanations odorantes à la limite du supportable parfois. Petite anecdote : lorsque nous vivions là-bas en 1994/1995, la première fois que Philéas a ouvert l’un des coffres-forts remplis de billets, l’odeur qui en était alors sortie était si forte qu’il a failli faire un malaise.

Dernière queue : la Douane. On doit poser chaque bagage sur un tapis roulant qui passe dans un grand scanner à rayons X. On s’exécute et on passe à tour de rôle sous le portique. De l’autre côté, stupéfaction : en réalité, le scanner n’est pas branché, il ne fonctionne pas (d’ailleurs, a-t-il déjà fonctionné un jour ? En tout cas pas depuis 2007, lors du premier retour de Philéas en terres Sénégalaises). L’écran de contrôle est éteint, et pourtant un mec en uniforme est assis devant et le fixe scrupuleusement comme s’il inspectait consciencieusement le contenu de chaque valise… On hallucine ! Mais on ne cherche pas à comprendre, c’est la quatrième dimension sénégalaise…

Entre le moment où on aura posé le pied sur le tarmac et le moment où on aura récupéré nos bagages, trois longues heures se seront écoulées ! Et encore, heureusement qu’Anthony nous aura servi de coupe-file…

Nous voilà donc sortis de l’aéroport, mais le chauffeur qui devait nous récupérer n’est pas là (on saura plus tard qu’il s’est trompé d’horaire, malgré les 3 heures qu’il nous aura fallu pour sortir de l’aéroport). On reste donc planté en plein milieu, en pleine nuit, comme des paumés, et on se fait assaillir par une meute de « taxi-man », tous plus malins et filous les uns que les autres pour hameçonner les touristes naïfs fraîchement débarqués.
Parmi ces redoutables loustics, il y en a un qui a sournoisement entendu le prénom de Philéas quand on l’a appelé, et il est arrivé vers lui en le saluant comme s’il le connaissait de longue date :
<< Aaaaah Philéas mon ami, tu es arrivé. On y va ? Je t’emmène où cette fois ?
– Hein ? Je ne te connais pas moi ! (il le dévisage pour tenter de le reconnaître, mais il fait trop sombre et il n’arrive pas à le distinguer)
– Comment donc ? Tu te rappelles pas de moi ? >>.
Après d’autres petites péripéties pour le transfert nocturne rocambolesque (et très aventureux…) depuis l’aéroport, nous avons réussi à rejoindre l’auberge où nous avions réservé. Vue l’heure tardive de notre arrivée, à l’accueil il n’y avait que le gardien qui parlait et comprenait à peine le français. La réservation avait mal été interprétée et ils nous avaient mis dans des chambres séparées et éloignées : ça faisait trop d’un coup pour Estelle et Anthony…  Après quelques coups de fil et le retour du « responsable de nuit » (celui qui, en fait, nous attendait à l’aéroport au même moment !), nous avons finalement passé notre première (très courte) nuit tous les quatre ensemble, dans un petit dortoir de trois lits superposés. Douches et toilettes communes à tout l’étage. Il en faut peu pour être heureux….. et soulagés de pouvoir enfin se coucher à 1h du mat’, tous épuisés !

Quelques heures de sommeil et une douche à l’eau froide plus tard, nous voilà plus ou moins requinqués. En tout cas moi, ça y est, tous mes repères se sont remis en place, mes sens sont en éveil, mon appareil photo est prêt à shooter massivement, je suis prête pour l’aventure ! Dommage que mon enthousiasme ne soit pas vraiment communicatif…
Après le petit déjeuner local (pain + beurre + confiture-farcie-de-fourmis et/ou pâte à tartiner ChocoLion ou ChocoPain + poudres pour boisson chaude ou thé) pris en communauté, assis pliés en quatre au bord d’une table basse bancale, nous refermons nos sacs à dos et partons pour notre première excursion.
Nous avons obtenu au dernier moment les autorisations nécessaires pour aller explorer l’île de la Madeleine ! Il s’agit là d’une visite totalement inédite, y compris pour Philéas qui n’avait jamais réussi à y aller jusqu’à présent.

 

 

 

Le Parc National des îles de la Madeleine se situe à environ 4 kms au large de Dakar. Le seul moyen pour s’y rendre : la pirogue. Le temps est brumeux et le ciel voilé. Il ne fait pas une chaleur écrasante, ce qui est appréciable pour une telle excursion. Et chose inattendue : le matin en y allant, nous supportons même nos polaires. Nous ne savions pas encore que nous allions subir le froid pendant ce séjour…

 

La principale île est aussi appelée l’île SARPAN, du nom d’un ancien militaire de l’armée coloniale française qui aurait été envoyé sur cette île déserte pour y purger une peine selon la légende. Un jour, des Lebous (ethnie vivant sur les côtes de la presqu’île Dakaroise) seraient venus explorer l’île et y auraient rencontré ce soldat qui se serait présenté comme Monsieur SARPAN. Les Lebous ne comprenant pas, de retour sur le continent ils auraient alors raconté avoir vu un homme serpent sur l’île. C’est ainsi que l’île de la Madeleine est devenue, à tort, l’île SERPENT !
Le récit de cette légende m’a fait froid dans le dos évidemment, la seule évocation de la présence de reptiles quelque part me hérissant le poil. Mais le guide m’a rassurée très vite : il n’y a pas et il n’y a jamais eu l’ombre d’une écaille de serpent là-bas. Voilà un lieu plein d’atouts comme je les aime !!!

Nous avons passé une grande partie de la journée sur l’île principale (Serpent donc), seuls avec notre éco-guide-ex-militaire. Car personne ne vit là-bas. C’est devenu une réserve ornithologique, où nous avons eu la chance de pouvoir observer de très près le rare Phaéton en pleine période de nidification.
Nous sommes arrivés à marée haute, et nous avons pu accoster « à sec » sur un ponton niché dans une crique paisible. Le lieu est tellement particulier que nous nous serions vraiment crus tels des Robinson Crusoé perdus au bout du monde.

Nous avons fait une randonnée tout autour de l’île pour découvrir ses colonies d’oiseaux, dont essentiellement des cormorans qui ensevelissent les rochers et les falaises sous leurs fientes. Nous avons fait suivre tout le nécessaire pour pique-niquer sur la plage. Bon ensuite, pour la baignade, Anthony a bien voulu essayer mais ça n’a pas été possible, l’eau était un peu trop fraîche.
Le piroguier est venu nous chercher en milieu d’après-midi, juste avant que la marée basse n’empêche complètement l’accès à la crique. Mais le niveau avait beaucoup baissé et comme le ponton était « hors d’eau », il a fallu jouer aux acrobates sur les rochers hyper glissants pour monter dans la pirogue…
Je n’arrêtais pas de mettre en garde Estelle et Anthony, de faire très attention de ne pas trébucher, tomber, se casser quelque chose : on était un peu loin de tout secours possible quand même… Je les ai tellement soûlés avec ça qu’ils ne m’ont pas épargnée quand c’est finalement moi qui me suis vautrée dans la mer jusqu’aux genoux en tentant de grimper sans me mouiller les godasses !!! Résultat des courses : mon pantalon, propre au départ de l’action, a fini tout pourri, mouillé, plein de sable et de vase (c’est ballot, on voyageait léger en affaires de rechange) ; ma seule paire de pataugas s’est retrouvée complètement inondée (et elle est restée trempée pendant 2 jours car avec le temps qu’il faisait et l’humidité ambiante, ça ne voulait pas sécher. Super agréable de passer 48h avec des grolles mouillées aux pieds)…

Mais ce petit incident n’a pas gâché cette journée. Le calme et la sérénité qui se dégagent de cet endroit nous ont beaucoup plu. Belle découverte que je recommande. C’était vraiment super.

 

 

 
 

 

 

 

De retour sur le continent, nous voilà partis pour une traversée de Dakar, une veille de réveillon de Noël, un tantinet surréaliste !!! Car les incontournables bana-banas (marchands ambulants envahissant rues et trottoirs) vendaient de la camelote, certes de saison, mais pas franchement couleur locale !!!

 

 

 

 

 

 

Nous nous rendons au Port. En fin d’après-midi, nous devons embarquer sur le ferry Aline Sitoe Diatta, direction ZIGUINCHOR en Casamance, au Sud du pays. La traversée doit durer normalement une quinzaine d’heures.

 

 

 

Dans la salle d’attente avant l’embarquement sur le bateau, l’impression de décalage continue : il fait chaud et pourtant il y a le sapin et le Papa Noël.

 

 

 

 

La chance nous a souri car nous avons finalement pu avoir un cabine privative (mais ne pouvant se fermer à clé de l’extérieur) de 4 couchettes avec wc/douche(eau glacée) et clim(congélation) : le grand luxe !!! (Il en existe aussi pour seulement deux personnes, avec un unique lit double).
Je dis que la chance nous a souri car il faut savoir qu’il n’est pas possible de réserver à l’avance depuis la France (ou l’Europe). Les ventes des billets n’ouvrent qu’un mois à l’avance (en théorie… car en pratique, c’est seulement quelques jours avant) au seul guichet de la Gare Maritime de Dakar (ou de Ziguinchor). Le nombre de places est limité et elles sont réservées en priorité aux locaux puisqu’à la base, il s’agit d’un « moyen de transport en commun », pas du tout d’un paquebot pour touristes. Il faut donc passer par une agence de voyage locale ou, comme Philéas, connaître quelqu’un de confiance (ayant les bons contacts) sur place pour le charger d’aller acheter les billets d’embarquement à notre place (après lui avoir envoyé par mail les copies des passeports).

Dans ces cabines, le moindre cm² est évidemment compté. S’y mouvoir à quatre, avec tous nos bagages entassés au milieu, relève des grandes manœuvres savamment orchestrées. Ouvrir la porte d’un des placards aussi d’ailleurs : il faut d’abord déplacer les lourds sacs à dos posés devant, puis se décaler d’un côté ou de l’autre de la porte. Pas possible non plus d’ouvrir à la fois la porte de la salle d’eau et la porte d’un placard.
Dans la salle d’eau, inutile d’espérer pouvoir l’utiliser à plusieurs ; déjà, pouvoir y entrer avec ses affaires de toilettes, c’est un exploit en soi.
En revanche, l’exiguïté du lieu finit par beaucoup amuser Estelle et Anthony qui passent d’un lit à l’autre sans avoir besoin de poser un pied par terre, c’est de l’accro-lits-superposés !

Si nous n’avions pas pu avoir cette catégorie de cabine, nous aurions eu le droit de dormir soit dans :

– des « dortoirs collectifs » de huit personnes pour hommes OU pour femmes (la mixité y étant interdite, nous aurions dû être séparés), avec, dans le couloir, les douches et les wc communs à tout le pont.

– des fauteuils pullman, plus ou moins défoncés et, pour la plupart, ne s’allongeant plus depuis bien longtemps, alignés en rangs serrés dans une salle où les bouches d’arrivées d’air climatisé au plafond sont réglées si fort qu’elles crachent de l’air à 15° : ambiance « voyage en chambre froide garantie » !!! Ne pas choper une pneumonie pendant le voyage tient du miracle…
D’ailleurs, Philéas, pourtant jamais malade, n’a pas été épargné : à l’arrivée, angine tellement carabinée et douloureuse qu’il a dû passer une semaine sous antibiotiques… Pour une fois, ma (trop grosse) pharmacie de voyage n’aura pas été inutile et superflue !!!

A noter enfin quelques consignes et règles de vie pendant la traversée.
Il est interdit de préparer à manger sur le bateau et à fortiori dans les cabines ! Car généralement, toute bonne Sénégalaise digne de ce nom ne se déplace quasiment jamais sans au moins une gamelle et tout le nécessaire pour cuisiner un petit Thiéboudiène (plat national sénégalais)
Il est aussi interdit de pisser (et plus si affinités) dans les douches collectives…

Le bateau largue les amarres en début de soirée. L’ambiance est plutôt joyeuse, il y a du monde, de la musique au bar extérieur. Tout se passe bien….. jusqu’au moment du repas du soir où les effets du roulis se font ressentir pour Estelle et Anthony qui découvrent le phénomène pour la première fois. Moi, je sais que j’ai le mal de mer/de terre/des airs/de route/de rail/etc etc, donc j’ai avalé mon comprimé de nautamine depuis longtemps.
Du coup, c’était « nautamine party » pour être sûr que la nuit ne basculerait pas en mode supplice cauchemardesque !!! Les pauvres, ils n’ont pas l’habitude, et ils étaient shootés… Ils ont dormi comme une masse malgré (les ronflements de Philéas et) la température frigorifique qu’il faisait dans la cabine à cause de la clim trop froide qu’on ne pouvait pas régler. Nous sommes tous restés plus ou moins habillés, et avec nos vestes en polaire.

Le lendemain matin, après le petit-déjeuner, Estelle était encore sous l’effet soporifique des médocs, et ne tenant pas debout, tel un zombie elle a dû retourner s’allonger dans la cabine.
Pendant ce temps, de notre côté, nous avons pu profiter du beau temps et des paysages. Et nous avons eu la chance d’être escortés par des dauphins à l’approche de l’embouchure du fleuve Casamance.

 

Après une escale intermédiaire à Karabane qui nous aura retardés de deux heures, le bateau poursuit son itinéraire en remontant le fleuve jusqu’à Ziguinchor.

 

 

 

 

Notre « Croisière s’amuse » arrivera à destination à midi.

Bienvenue en Casamance, l’autre Sénégal…

 

 

Nous remettons nos sacs sur nos dos et dès la descente du bateau, l’aventure de la Fogues Family reprend son cours. Voici venu le moment tant redouté par Anthony : trouver par nos propres moyens un moyen de locomotion pour aller du Port de Ziguinchor jusqu’à Cap Skirring au bord de l’océan, à quelques 80 kms de là !
Même si cette « épreuve » prendra plus de trois heures, tout s’est bien passé. Nous avons d’abord pris un taxi de ville pour aller du Port à la gare routière. Puis là, nous avons choisi le transport en commun annoncé comme partant le premier pour Cap Skirring : un car de brousse (un fourgon Transit en très bon état…) bondé à l’intérieur (tous les quatre quichés avec nos petits sacs sur trois places derrière le chauffeur) et surchargé à l’extérieur (une montagne de bagages -dont nos quatre gros sacs à dos-, de bidons vides et autres marchandises volumineuses en tout genre entassés sur le toit).

Nous attendrons une bonne heure assis dans le fourgon, le temps que le véhicule se remplisse complètement ; c’est toujours ainsi que ça fonctionne pour les taxis et cars de brousse au départ d’une gare routière. On était en plein soleil, à l’heure la plus chaude de la journée, et on se sentait se dessécher comme des pruneaux, doucement mais sûrement !!! D’autant plus qu’on a rapidement renoncé à laisser la vitre ouverte car, évidemment, nous n’avons pas été épargnés par le rituel des défilés incessants des vendeurs ambulants venus harceler les chalands.
Estelle et Anthony n’en pouvaient plus, et comme nous n’avions pas encore mangé, ils commençaient à défaillir… On n’était pas au bout de nos peines !

Une fois « l’heure » du départ enfin arrivée, nous voilà en route pour…. la station-service à la sortie de la ville. Le chauffeur met dans son réservoir les quelques litres de gasoil qu’il peut payer. Pendant ce temps, des mecs montent sur le toit du fourgon, détachent les bidons et les balancent par terre. Un autre les ramasse, les débouche et les fait remplir de carburant jusqu’à débordement puis les recharge sur le toit !!! L’odeur d’essence est puissante…. Faut pas avoir peur de prendre feu ou d’exploser en plein soleil !!!
Le départ suivant est le bon cette fois. Mais comme c’est un car de brousse, on s’est arrêté tout le long du trajet pour descendre des gens, des marchandises, en prendre d’autres.

Et à chaque escale, c’est le balai des vendeuses de ravitaillement qui s’engouffrent par les vitres ouvertes. Nous leur avons acheté quelques bananes et des arachides pour calmer la faim de nos aventuriers ; nous avons goûté aussi les mandarines locales de couleur plutôt verte. L’expérience vaut le détour car elles ne sont pas mauvaises du tout : juteuses et gouteuses. Mais par contre, il faut quand même préciser qu’elles sont très difficiles à éplucher avec les doigts sans se retourner un ongle, et elles sont surtout farcies de pépins ! Une seule tranchette et tu te retrouves avec (un fou rire qui monte et) une poignée de pépins dans la bouche dont tu ne sais pas quoi faire au premier abord… jusqu’à ce que tu te rappelles que tu es au Sénégal, parmi des Sénégalais, et que tu peux donc faire comme eux pour t’en débarrasser : cracher les pépins par les vitres ! Le plus dur a été de bien viser la vitre !!! (J’ai gardé quelques pépins pour les planter à la maison, et ça a poussé. Nous verrons bien si le mandarinier survit.)

 

Après deux bonnes heures de route au total, nous sommes finalement arrivés à Cap Skirring en milieu d’après-midi. Nous avons demandé au chauffeur de nous laisser à la station-service à l’entrée de la ville. Et c’est justement là que nous avons compris pourquoi il y a eu tant de bidons d’essence transportés sur le toit du car de brousse : il y avait une grève du réapprovisionnement de l’unique station-service du coin. Plus de carburant depuis plusieurs jours !
Nous nous retrouvons plantés là, au milieu des pompes à essence à sec, croulant sous nos sacs à dos. Notre épreuve « trouver par ses propres moyens un moyen de transport » reprend de plus belle et elle ne s’annonce pas aussi simple que prévue… Notre point de chute n’est plus que quelques kms plus loin, mais à cause de la pénurie d’essence, nous ne trouvons personne pour nous y emmener sans nous escroquer sur le prix de la course exorbitant !
Résignés (et chargés comme des bourricots), nous décidons alors de partir à pied. Nous marchons en plein soleil, à l’heure la plus chaude de la journée, au bord de la route goudronnée qui, en plus, réverbère la chaleur extrême accumulée par l’asphalte. Nous la ressentons sous les pieds, à travers nos épaisses semelles de pataugas. Nous cuisons de haut en bas et de bas en haut !!! Notre convoi à pattes avance à deux à l’heure, mais nous sommes à fond… Malgré les casquettes, l’insolation nous pend au nez.
Estelle et Anthony sont carrément au bord de l’évanouissement lorsque nous quittons la route bitumée pour emprunter le chemin de sable sillonnant le quartier où se situe le campement. Je les oblige à boire, boire, boire, même s’ils ne veulent pas. Ils ne réagissent même plus, ils sont hagards. Alors, à environ un km de l’arrivée seulement, nous avons finalement dû (se faire plumer) prendre un taxi usurier avec encore de l’essence pour nous emmener (encore vivants) jusqu’à notre campement « Le Paradise ».

Nous y arrivons ruisselants de sueur, rougeots et épuisés.
Il n’y a pas âme qui vive à l’entrée, c’est l’heure de la sieste. Nous nous dirigeons vers l’accueil à la paillote, mais nous n’y trouvons qu’un déchet de Toubab sénégalisé d’une cinquantaine d’années, un verre de pastis à la main, perché sur une chaise haute du bar. Sa façon de bouger, de s’adresser à nous et son élocution ne font aucun doute : il est complètement bourré, imbibé jusqu’à la moelle. Il devait déjà en être à son vingtième Ricard de la journée…
<< – Mais d’où est-ce que vous arrivez comme ça ???
– De Dakar.
– Mais vous êtes complètement fous ! Non mais quelle idée !
– …..???? >>
Bonjour le comité d’accueil…

Nous avons attendu, attendu, attendu (sans nous énerver…) que quelqu’un vienne nous accueillir, retrouve nos réservations (tâche ardue….. il n’y a pas foule… nous peuplons le campement presqu’à nous tous seuls…) puis les clés.

Nous sommes assoiffés et affamés. Nous en profitons donc pour commander de quoi nous désaltérer avant qu’il n’y ait de nouveau plus personne derrière le « bar/accueil ». Philéas fait le forcing pour se faire préparer de quoi soulager notre faim de loup avec un poulet yassa improvisé de dernière minute, alors que l’équipe en cuisine avait fini son service. Rien n’est jamais impossible au Sénégal…

Il a fallu encore attendre, attendre, attendre avant que les boissons arrivent et que Philéas puisse se régaler de son sempiternel demi-litre de bière gazelle. Son argument pour préférer la bière à l’eau ? Imparable : la bière est bourrée de levures, c’est idéal pour limiter les inévitables désordres intestinaux… Mais bien sûr !!!
[ Mais efficace ! Note de relecture de Philéas…]

Après cette opération « réhydratation » (et régénération de la flore des boyaux de Philéas), nous prenons enfin possession de nos chambres.
Le confort y sera minimal, juste le stricte nécessaire (bébètes incluses !!!), mais avec une surprise totalement inattendue : de l’eau chaude à la douche ! Avec la chaleur qui règne habituellement au Sénégal, ça peut paraître paradoxal de se réjouir d’avoir de l’eau chaude à la douche. Mais il se trouve que durant notre séjour, les soirées et les nuits ont été anormalement fraîches, et ne pas avoir à se laver systématiquement à l’eau froide a été très apprécié certains jours…
C’est juste dommage que, dans notre salle de bain, il n’y ait pas de pression à la douche, juste un filet d’eau qui coule. On ne peut pas tout avoir !

 

 

 

 

 

Impatients, nous jetons nos sacs à dos par terre, nous enfilons nos maillots et nos tongs et partons illico à la plage sur laquelle nous allons être « à fond » les jours suivants !!!
Voici donc la grosse surprise promise à nos chers bambins, une parenthèse de détente et d’insouciance, un sas de décompression (histoire de les adapter au milieu, avant de les embarquer dans la VRAIE aventure où ils seront soumis à rude épreuve…).

Nous sommes le 24 décembre, jour du réveillon de Noël. Nos petits aventuriers ont beaucoup de mal à réaliser !!!

 

 

 

Cette fin d’après-midi au soleil les pieds dans le sable, a balayé les fatigues et les esprits grognons. Le soleil se couche tôt sous ces latitudes, et nous rentrons au campement pour nous préparer pour notre réveillon de Noël totalement improvisé !

Nous décidons d’aller en ville. Le campement n’est qu’à quelques minutes en taxi de Cap Skirring. Après avoir arpenté la rue principale très peu éclairée, et constaté qu’il n’y a vraiment pas foule et que beaucoup de bars et de restos sont fermés, nous choisissons le seul resto avec un peu de lumière : « La Case Bambou ». Il tourne sur son groupe électrogène car, en fait, il y a une panne générale de la SENELEC (l’équivalent d’EDF au Sénégal).

 

Le resto propose un menu unique de réveillon. C’était d’autant plus inespéré que c’était bon, Philéas et moi nous sommes régalés. En revanche, pour Estelle et Anthony c’est une autre histoire. Il a fallu négocier ferme pour leur faire préparer quelque chose de comestible à leurs yeux…
Nous n’étions que deux tables de clients, dont nous quatre. Pourtant, le Club Med voisin est ouvert, mais il est aux deux tiers vide… Le tourisme est moribond, le tourisme se meurt ici, même en Casamance où c’est pourtant le début de la haute saison…
L’ambiance très intimiste de cette soirée est animée par un groupe de musiciens qui ne joue que pour nous.

 

Après cette paisible soirée, nous rentrons au Campement à la lueur de nos torches et nous nous couchons avec nos lampes frontales car, ce soir, la SENELEC a décidé de ne pas travailler du tout !

Jeudi 25 décembre 2014 :

 

 

 

Les cadeaux de Noël ont été distribués avant notre départ pour apaiser les frustrations manifestées depuis des mois. Mais pour marquer le jour J, j’ai emporté en cachette une petite surprise en forme de clin d’œil : des bonnets de Papa Noël et un petit bonhomme de neige. Nous faisons un peu l’animation au campement : heureusement que le ridicule ne tue pas !!!!
Après avoir amusé la galerie pendant le petit déjeuner, finies les plaisanteries, passons aux choses sérieuses…. on a des choses à faire ! Direction notre QG : « La Paillote » sur la PLAGE !!!!!!!!!!!

Mis à part devoir passer devant les incontournables Bana-banas qui nous hèlent et nous harcèlent chacun leur tour, à l’aller et au retour << Bonjour mes amis ! Comment ça va ? Venez voir ce que j’ai ici, juste pour le plaisir des yeux. C’est pas cher hein. C’est moins cher que gratuit ! >>, les seules autres préoccupations de nos journées plage, sont :
 

profiter du beau temps, de la chaleur et de l’air pur et iodé

 

 

  se baigner dans une eau à 30°

 

 

 

 


se la couler douce en mode farniente. Non, vraiment, moi je vous le dis, c’est beaucoup trop dur Noël sous les tropiques !!!

 

 


 

déguster les fruits, arachides et nougatines proposées lors des allées et venues incessantes des vendeuses ambulantes avec leur bébé dans le dos.

 

 

 jouer, lire

 

  

← ↓ se désaltérer et se restaurer les pieds dans le sable. Le problème de la bouffe ne nous a pas complètement pourri le séjour cette fois-ci. Estelle et Anthony n’ont pas souffert de la faim, ils ont dévoré ! Pour résumer : Anthony s’est gavé de brochettes de zébu (mais il ne savait pas que c’était du zébu, sinon jamais il n’aurait goûté… On ne le lui a dit qu’à la fin) avec du riz, et Estelle a fait une cure de poulet grillé avec des frites et/ou riz. Le « petit riz » sénégalais est excellent !

 

 

 

 

 

 

 

→↓ bronzer à l’ombre des filaos, ou au soleil dans des positions de yoga inédites…

 

 

 

 

 

 

→ se faire piquer le goûter par les oiseaux chapardeurs

 

 

faire des câlins à son Papa

 

 

faire la naïade sous les palmiers

 

 

 

 

s’enterrer dans le sable

 

 

 

jouer aux apprentis surfeurs dans les vagues, en prenant soin au passage de bien s’écorcher la peau du bide sur les planches…

 

 

Le temps s’écoule doucement, paisiblement, et nous savourons avec délectation ces moments où nous n’avons rien d’autre à penser que profiter ensemble, c’est tout.
Pour terminer cette journée de Noël, nous retournons manger en ville. Ce soir, nous aurons de l’électricité, la SENELEC s’est remise à pédaler.
Cette fois-ci, nous passons par le bord de mer au soleil couchant. Les paysages sont superbes, ce qui fait (furtivement) oublier qu’il y a quand même une sacrée trotte pour aller jusqu’au centre-ville par la plage !!! Sans compter qu’il faut terminer par un « mini trek » dans le sable pour remonter jusqu’au quartier des pêcheurs (et ses odeurs…), avant d’arriver en ville.

 

 

Ce soir, il y a beaucoup plus de bars et de restos ouverts. Nous choisissons donc d’aller manger à « La Carpe Rouge » chez René (que Philéas connaît pour y faire une halte à chacun de ses trips SénéGaulois en Casamance). Là, pas d’eau courante, ni en cuisine, ni aux toilettes. C’est le balai des ravitaillements en seaux et bidons d’eau. Mais René nous informe qu’il va faire creuser un forage pour améliorer le confort de son resto (ça fait des années que c’est en cours…).
Avant de partir, rendez-vous est pris pour le samedi : le matin, il nous organisera une virée en pirogue dans les bolongs, et le soir il nous préparera une petite fête à son resto, avec des musiciens et des danseuses.

Nous rentrons au campement en taxi. Anthony est très fatigué. Quant à moi, j’ai déjà la tourista ! Je ne savais pas encore qu’en réalité je faisais une réaction à la Malarone (le traitement contre le palu).

Le lendemain, tout le monde a retrouvé un peu d’énergie.
Après un solide petit déjeuner, nous partons explorer la faune et la flore de cette immense plage de Cap Skirring.

Les rencontres avec l’espèce animale sont nombreuses et variées sur la plage. La plus insolite pour nous, et pourtant la plus commune ici, est celle des troupeaux de zébus qui font leur vie tranquille au bord de l’eau.

 

 

 

 

 


  

Nous avons également observé :

une sorte de grosse pie en pleine négociation avec un vautour pour savoir lequel des deux s’approprierait la bestiole crevée sur la plage… Ce n’est pas forcément l’oiseau qu’on croit qui a le dernier mot !
une raie avec un dard XXL qui nous pousse à reconsidérer nos baignades insouciantes !!!
de l’artisanat local…. « moins cher que gratuit » donc !

 

 

un joli petit crabe pris en chasse par Anthony
une méduse de belle taille…

 

 

Le soleil tape de plus en plus fort sur la plage. Nous rebroussons donc chemin et rejoignons « La Paillote » pour le reste de la journée.
Estelle et Anthony s’y éclateront toujours autant dans les vagues.
Estelle en profitera aussi pour faire la connaissance d’une méduse qui a voulu lui faire un gros câlin dans l’eau… Résultat de la rencontre : de jolies traces de tentacules urticantes sur le ventre ! Heureusement, rien de grave ni de très douloureux.

 
 

Le soir, nous allons manger dans un hôtel/resto voisin que nous avons repéré lors de notre balade matinale. « La Villa des pêcheurs » est un lieu inédit et sympa que Philéas note dans sa liste de points de chute.
Dans la cour, il y a un sapin décoré qui nous rappelle subitement que nous sommes toujours en pleine période de Noël. On a du mal à garder nos repères.

 

 

 

Le lendemain matin, nous partons pour une matinée d’excursion en pirogue organisée, comme prévu, par René. Au programme : exploration des bolongs et de la mangrove, visite d’une île, et escale à Elinkine.

On se tartine de crème solaire car le soleil cogne déjà dur dès le matin.

 

Nous cuisons une première fois sur le trajet nous emmenant sur une île dont je ne me souviens plus le nom.
La pirogue nous dépose sur une « plage » de gadoue gluante (car à marée basse) où nos tongs glissent avant d’y rester embourbées.

 

 

 

On accoste face à un bar/restaurant désert. Ceci dit, à part nous, on ne voit pas âme qui vive à l’horizon…
La pirogue ne nous attend pas, elle repart à vide ; on se sent soudain un peu perdu au milieu de nulle part !!! René nous explique qu’on va la rejoindre à pied de l’autre côté de l’île.

La simple idée qu’on doive marcher en plein cagnard, pendant on ne sait combien de temps ni sur combien de distance, avec une motte de boue sous chaque tong, met nos valeureux explorateurs dans un état d’enthousiasme qu’ils ont du mal à dissimuler !!!! Leurs regards assassins nous mitraillent…
Mais ils ont tellement peur de se laisser distancer et de rester seuls là, qu’ils se mettent en route derrière Philéas et René sans tarder. Moi, je ferme la marche…
Nous entamons dès lors notre deuxième séance de cuisson ; nos pieds et nos orteils à l’air ne vont pas échapper au coup de soleil qui nous pend au nez malgré les couches de crème étalées sur nos corps de toubab à peine halés.

Première étape de cette traversée : les crocodiles ! Car depuis le matin, René nous en parle avec beaucoup de mystère, et nous ne savons pas réellement à quoi nous attendre. Je ne suis pas franchement rassurée, mais il ne faut pas que ça se voit pour ne pas affoler encore un peu plus nos loustics.


Le soulagement m’envahit lorsque nous y arrivons : là, à l’ombre d’un arbre, un tas de petits crocodiles sont agglutinés les uns sur les autres au fond d’une cuve en résine à moitié cuite par la chaleur. Quand on pense à la puissance d’un coup de queue de crocodile, même petit, on frissonne à l’idée que la paroi de leur grosse bassine ne puisse être pulvérisée en une fraction de seconde…

Je n’ai pas exactement compris le pourquoi du comment de cette affaire. Les petits crocodiles sont pêchés dans les bolongs, mis là pour les nourrir et les faire grandir, avant de les relâcher dans la mangrove. Je suppose que le but du jeu est le repeuplement de la zone dans un souci de préservation de l’écosystème local.

Bon, je n’ai pas réussi non plus à savoir (ou à comprendre) comment, une fois les crocodiles devenus adultes, ils sont attrapés pour être sortis de leur baignoire devenue trop étroite, puis amenés jusqu’à la rive (à quelques centaines de mètres de là tout de même…) pour être remis à l’eau et ainsi leur rendre leur liberté, et tout ça, sans qu’ils bouffent quelqu’un pendant le transfert !!!

 

Après ce moment « sensation forte », nous reprenons notre balade par 35° à l’ombre, et dans un état de vigilance extrême : Estelle, Anthony et moi craignons qu’un crocodile ne se soit échappé de l’enclos de fortune… Aucune envie de se retrouver nez-à-nez avec la bête sur le chemin !
Nous traversons successivement des concessions familiales pittoresques où la vie s’écoule lentement.

Chaque cour est peuplée de poules rachitiques et partiellement déplumées et de cochons noirs et maigrichons (oui, oui, des cochons car la Casamance est la seule région Sénégalaise à prédominance catholique) qui labourent le sable de leur groin à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent. Des enfants jouent, jusqu’à ce qu’ils nous aperçoivent arriver et qu’ils courent hystériquement vers nous pour nous demander des bonbons…… seul mot français qu’ils connaissent !!! On sent que du touriste est déjà passé par là…

Un peu plus loin, les femmes font leur lessive près du puits communautaire de l’île. 

 

 

 

 

 

 

Dans un autre hameau, nous observons une parfaite illustration de l’inimitable système D africain. Ces villageois n’ont pas d’eau courante, mais ils ont des idées : comment avoir de la pression pour utiliser un tuyau ? Facile : installer un réservoir d’eau en haut d’un baobab.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Autre exemple de système D : ce monticule blanchâtre (à l’odeur puissante). Qu’est-ce que ça peut bien être ? Une déchetterie sauvage ?
Pas du tout ! Il s’agit de coquilles d’huîtres de palétuviers stockées là volontairement.
Elles deviendront de la chaux qui sera utilisée comme matériaux de construction.

« Rien ne se perd, tout se recycle ».

Quant aux huîtres elles-mêmes, elles seront vendues décortiquées et en sachets (comme les cacahuètes et les noix de cajou) au bord des routes par les vendeuses/ravitailleuses ambulantes. En cas de dégustation, choc olfactif garanti à l’ouverture du sachet…. caca mou aussi !!!

 
 

Notre balade continue ainsi, de concession familiale en concession familiale. Le téléphone portable de René n’arrête pas de sonner, nous rappelant le paradoxe du contexte : pas d’eau courante et un seul puits pour toute l’île, pas d’électricité, pas de quoi se soigner, à peine de quoi se nourrir, mais des antennes relais à peu près partout pour satisfaire les besoins des accrocs à la téléphonie mobile que sont devenus les sénégalais… On se demande toujours comment ils font pour s’acheter des cartes prépayées (en vente absolument partout par les commerçants ambulants. Aucun risque de manquer d’unités)…. Cette culture du « paraître » est toujours aussi déroutante.

Apparemment, René connait tout le monde sur l’île, c’est dingue. Il veut aller saluer la moindre personne que l’on croise. On a même carrément fait un détour pour aller s’incruster chez une Dame (sa grande amie…). Grand moment de solitude à notre arrivée dans la « maison » où des chèvres -et autres bestiaux domestiques- nous accueillent : on débarque à l’improviste, comme quatre cheveux dans le Thiéboudiène (plat national sénégalais). La Dame, aussi embarrassée que nous, secoue les enfants qu’elle a dans les environs pour nous chercher (en vain) des chaises. Elle nous propose ensuite de nous faire du Nescafé, mais nous refusons poliment par peur de l’eau du puits qui ne manquera pas de nous intoxiquer… Nos systèmes digestifs ne le supporteraient pas, et ce n’est ni le moment ni le lieu pour se choper une chiasse carabinée fulgurante  !!!
La visite a semblé durer une éternité tellement on était mal à l’aise. On ne savait pas quoi dire, et puis de toute façon, personne ne parlait français à part René.
Estelle (ne pouvant s’enfuir ni disparaître) se cachait tant bien que mal derrière ses lunettes de soleil (et accessoirement sa mère). Pendant ce temps, Anthony faisait son curieux en jetant un coup d’œil éberlué dans chaque pièce, dont une « chambre » dédiée aux seuls bestiaux. Vu l’état des lieux (totalement normal pour ici), il pensait que la maison était encore en construction… Et pourtant non, ici, lorsqu’une famille a l’opportunité d’avoir une « maison en dur », la construction s’achève inévitablement au gros œuvre !!!

René a finalement conclu les affaires qu’il avait à faire avec cette mystérieuse Dame. Et nous sommes repartis en direction de l’autre rive où nous attendait la pirogue.

 

Au passage, nous avons pu observer un arbre sacré servant aux pratiques rituelles animistes locales. Au pied de l’arbre, je remarque avec un frisson qu’il n’y a pas que des squelettes de têtes de bovidés… Je ne me risque même pas à poser la moindre question à ce sujet ! Je préfère ne pas savoir.

 

 

Nous atteignons enfin le rivage. La pirogue est là : OUF !!!

 

Manifestement, le tenancier du bar situé sur cette « plage » est aussi fabricant de briques ! Il faut reconnaître que ce n’est pas la fréquentation touristique (quasi nulle) qui suffit à le faire vivre…

 

Nous rembarquons dans la pirogue et poursuivons notre excursion au fil de l’eau.
Nous reprenons nos observations ornithologiques : les oiseaux, ce n’est pas ce qu’il manque dans la mangrove !!! D’autant plus qu’on est en pleine saison migratoire.

 

 

 

 

 

 

Tout d’un coup, René nous demande de mettre des gilets de sauvetages afin d’être « en règle » lorsque nous devrons nous arrêter au check-point maritime  pour présenter nos passeports aux militaires en faction, mitraillette en bandoulière… Dans cette zone, il y a beaucoup de contrebande…

Nous avons bien ri quand René nous a distribué les gilets : leur port nous met en « sécurité réglementaire », certes, mais pas en sécurité tout court ! Celui qu’enfile Anthony au départ de l’action n’a plus de flotteurs depuis belle lurette et ne servirait donc strictement à rien en cas de naufrage !!!

 

 

 

 

 

 

Une fois le check-point passé sans encombre, nous arrivons à notre escale suivante : le village de ELINKINE.

A peine un pied posé sur la rive des embarcadères que nous sommes assaillis par une meute de marchands ambulants. Estelle et Anthony se décomposent instantanément.

Nous allons visiter ce village de pêcheurs à pied. Je prends alors conscience qu’il va falloir supporter ces bana-banas pendant toute la visite, et ça me met en joie à mon tour…

 

Nous voilà plongés en immersion, empruntant des ruelles étroites et peu ragoutantes. Nous suivons de très près René, comme des poussins apeurés colleraient le train de leur poule de mère !

Après avoir traversé ce dédale insalubre, toujours chaussés de nos tongs (à ce stade de l’aventure, l’état de nos pieds devient indescriptible… la septicémie nous pend aux orteils !!!), nous arrivons à l’immense séchoir aux poissons.
Alors là….. eeuuuuh………. comment décrire des odeurs qu’on ne peut pas partager par écrit avec des mots….. Pour résumer et faire court, disons simplement que l’expérience olfactive a été plutôt violente ! Estelle a failli nous faire un malaise au beau milieu du rayon « requins marteaux en cours de déshydratation au soleil »….
Mais quels doux fumets fétides, mais quelles merveilleuses senteurs pestilentielles !

 

 

 

 

 

 

L’odeur ambiante finit par anesthésier la faim nous tiraillant l’estomac. Sans compter que le soleil est au zénith, il fait très chaud, nous avons très soif, et nous sentons que si nous n’abrégeons pas cette traversée du séchoir, nous allons finir à notre tour sur un des étals, aussi lyophilisés que ces milliers de poissons.

René, bien que toujours pendu à son téléphone (j’en viens à me demander combien de temps va tenir sa batterie…. faudrait pas avoir besoin d’appeler les secours…), remarque que nous faiblissons dangereusement.

Il nous emmène alors à un bar au bord de l’eau pour que l’on puisse reprendre nos esprits et se désaltérer à l’ombre d’une paillote.

 

 

 

 

 

 

Quelle n’est pas notre surprise quand nous constatons que, là aussi, il y a des crocodiles en guise d’animaux de compagnie !!!
Les croco prennent leur bain de soleil tranquillement, dans un enclos à côté de nous, avec pour seule sécurité une murette… Heureusement que ça ne saute pas ces bestioles-là !!!

L’heure tourne, il nous faut repartir. Comme nous sommes quand même un peu fatigué malgré cette petite pause, René téléphone (chouette, il a encore de la batterie) au piroguier pour qu’il vienne nous récupérer directement au bar.

 

Nous n’aurons pas à retourner jusqu’à l’embarcadère à pied. Le soulagement de nos petits aventuriers est palpable et se voit à l’œil nu !!! Ils ne rechignent même plus lorsque je leur demande de prendre une petite photo avec eux avant de monter dans la pirogue.

La pirogue a à peine le temps de s’approcher du rivage qu’Anthony y saute dedans. Il faut dire que pour le « réconforter » un peu, René lui a promis de lui sortir sa canne à pêche sur le chemin du retour. Anthony attend donc ça avec impatience !!! 

 

 

Et c’est reparti pour une nouvelle séance de cuisson : Estelle et Philéas commencent à virer au rose fuchsia. L’ambre solaire « écran total » semble impuissante.

En se rinçant les tongs dans le fleuve avant de monter dans la pirogue, nous nous rendons compte que nos pieds ont pris un bon coup de soleil. Ils sont tellement crades, couverts de gadoue et panés de poussières que nous avons carrément oublié de les tartiner de crème solaire… Grave erreur !!!

Sur le chemin du retour, notre dernière petite virée de la matinée a été un peu insolite. Le but du jeu : passer en pirogue dans un « tunnel » végétal sans s’échouer ni rester coincés dans les nœuds de racines de palétuviers ! Petit extrait d’un passage où j’ai pu sortir la tête du fond de la pirogue pour pouvoir filmer…

 

C’était très chouette, mais je dois avouer qu’à un moment je n’ai pas pu m’empêcher d’imaginer la galère : rester planter dans cette jungle sur eau, sans moyen d’appeler les secours car plus de batterie au téléphone de René…

On est revenu sur la terre ferme un peu(beaucoup) vanné, et pourtant cette journée était très loin d’être terminée…

D’abord, retour au campement pour enfiler nos maillots.
Ensuite, direction la plage pour notre avant-dernier repas les pieds dans le sable à La Paillote.
Et puis grand concours de farniente le reste de l’après-midi, histoire de reprendre un peu des forces pour notre dernière soirée à Cap Skirring… Philéas a été l’indétrônable grand vainqueur de l’épreuve « sieste sur le transat à l’ombre des filaos et des cocotiers » !!! On ne pourra jamais lutter, il est trop fort dans cette discipline…

Nous rentrons au campement en profitant du dernier coucher de soleil que nous verrons ici.
Nous nous préparons pour la soirée que René a spécialement organisée pour nous dans son restaurant « La Carpe Rouge ».
Nous nous y rendons en taxi cette fois, car nous sommes vraiment tous très fatigués pour marcher jusqu’en ville.
Nous retrouvons donc René, toujours pendu à son téléphone ! Il nous installe à notre table : l’interminable soirée peut commencer…

Trois musiciens débarquent peu après nous, avec leur instruments (des djembés et une énorme kora) et leur matériel de sono (il y a de l’électricité ce soir, on est sauvé….. ou pas !). Ils sont suivis par trois danseuses bien « dotées » (= très fessues !) qui commencent à se changer de tenue carrément sur le trottoir.
Dans la rue, les badauds sont attirés par le manège des préparatifs du groupe qui va se produire pour nous. « Pour vivre heureux, vivons cachés »…. là, c’est complètement raté ! On se sent comme l’attraction toubab de la foire locale !!!
Entre les gens qui s’agglutinent sur le trottoir (on se sent quand même totalement cernés…) et la chaleur suffocante qu’il fait dans le resto malgré les ventilos qui brassent à fond l’air bouillant et nous dessèchent à grande vitesse, Estelle et Anthony commencent à se sentir mal.
De son côté, Philéas se sent de plus en plus épuisé, mais il est comme un coq en pâte dans cette ambiance, alors il préfère se laisser aller en buvant des bières Gazelle XXL.
Et moi, je commence à tomber des gouttes, pas seulement à cause de la chaleur, mais surtout parce que je sens subitement que mes boyaux me lancent des préavis de mutinerie interne… Je préfère avaler illico presto une dose d’Imodium en guise d’apéritif, car les toilettes de René ne sont pas opérationnelles, je n’ai presque plus de kleenex dans mon sac, et puis de toute façon je n’ai aucune envie de vivre une aventure gastro-entérique extrême ici et maintenant !!!
Les musiciens sont en place, les danseuses sont prêtes : c’est parti pour la démonstration de musiques et danses traditionnelles.

 

Après le premier choc de la découverte, nos tympans finissent par se résigner aux sonorités « exotiques » et monotones qu’ils vont devoir subir durant des heures… On s’imaginait(espérait) des musiques plus « entraînantes », plus « punchy », plus festives, mais c’était toujours sur le même rythme mollasson et larmoyant, avec le son vraiment très particulier de la kora, et accompagné des braillements d’un des musiciens en guise de chants, et des cris stridents poussés par les danseuses pour faire le cœur vocal.
Les danseuses s’agitent devant nous pour attirer notre attention. Ce qui n’est pas très compliqué vu comme elles sont collées à notre table : on aurait voulu regarder autre chose qu’on n’aurait pas pu de toute façon. Et évidemment, ce que je craignais est arrivé : elles viennent nous chercher pour danser avec elles !!! L’une d’elle va direct vers Estelle qui refuse l’invitation d’une manière presque agressive. La danseuse recule, visiblement vexée ; en réalité, Estelle est submergée par la peur et fond en larmes sur sa chaise. Le malaise s’installe, et je décide de faire diversion en me levant de moi-même pour rejoindre les filles. Une fois de plus, heureusement que le ridicule ne tue pas…. Car j’ai dû donner de ma personne en dansant une bonne partie de la soirée avec la troupe !
Il y avait de plus en plus de monde qui s’arrêtait pour observer ce qui se passait dans le resto. Je ne savais plus où me mettre, mais bon, il fallait que l’attention ne se porte plus sur Estelle et Anthony qui n’en pouvaient plus et le faisaient clairement sentir…
Bon, voici quelques secondes de mon humiliation publique, avec la danse du ventilateur (que je maîtrisais beaucoup mieux lorsque je vivais au Sénégal) : vous avez le droit de rire, mais pas de vous moquer !

 

Les heures sont passées, et à bout de force (la danse a fini de m’achever…), nous avons fini par réussir à convaincre Philéas de rentrer se coucher.
Malgré toute cette activité physique, mes intestins ont miraculeusement tenu bon jusqu’au retour au campement tard dans la soirée. Mais la décence m’interdit de décrire la scène de délivrance et de soulagement en arrivant à la salle de bain… C’était moins une !!!

La nuit a été bénéfique. Tout le monde s’est endormi instantanément et a dormi comme un bébé. Nous nous sommes même accordés une petite grasse matinée (tout étant relatif) pour ce dernier jour à Cap Skirring.


Dernière matinée sur « notre » plage à La Paillote.
Dernier repas de midi les pieds dans le sable.
Dernières baignades dans les vagues.
Dernière séance de farniente sous les cocotiers.

Et puis est arrivé le dernier retour au campement après manger pour refaire les sacs à dos et lever le camp…
Pour repartir sur Ziguinchor, il n’y aura pas d’épreuve « trouver un moyen de locomotion ». Estelle et Anthony sont soulagés d’apprendre qu’on repart en taxi, seulement tous les quatre et sans attendre des plombes en plein cagnard. Et nous, nous sommes soulagés d’apprendre que la pénurie d’essence est bel et bien terminée et que nous pourrons partir comme prévu.

Le retour vers Ziguinchor est beaucoup moins long qu’à l’aller : seulement une heure et demi. Estelle et Anthony commencent à avoir le stress qui monte car ils savent que le côté « facile » de l’aventure est terminé…
Mais avant le grand saut vers le Sénégal oriental, une dernière petite parenthèse de détente les attend à Ziguinchor.

 

Après avoir pris possession de nos chambres (au confort spartiate mais avec vue sur le fleuve Casamance) à l’hôtel « Le Perroquet », nous partons passer le reste de la journée dans l’hôtel voisin (le « Kadiandoumagne »).

 

L’entrée y est décorée d’une insolite cabine téléphonique de France (hors service) coiffée d’un toit de paillote.

Cet hôtel est plus grand, de meilleur standing, avec un magnifique jardin tropical, et surtout il a une piscine et un restaurant de type européen avec terrasse sur un ponton. De quoi ravir nos petits voyageurs de plus en plus inquiets !!!

 

 
 

 
Le temps d’un après-midi, nos aventuriers en herbe oublient presque ce dans quoi on les a embarqués… Autant dire qu’ils apprécient ce sursis…

On a fait suivre les maillots et les serviettes. Estelle et Anthony se précipitent comme des furies dans les vestiaires pour aller se changer. Aux cris de joie qu’ils poussent, nous sommes sûrs et certains que leur enthousiasme débordant n’est pas feint. Par la même occasion, nous sommes aussi sûrs et certains d’avoir été repérés sur les lieux !!! Tous aux abris, les FOGUES sont de sortie !!!

Mais l’eau de la piscine est tellement gelée qu’Anthony renonce carrément à s’y baigner. Un comble !
Contre toute attente, seuls Estelle et Philéas ont le courage de « résister » à cette épreuve de confort !!!

Ils ne résisteront quand même pas bien longtemps…
Ils préfèreront nous rejoindre buller sur les transats, en compagnie des fourmis qui envahissent nos verres, ainsi que des moustiques qui se lèchent les babines et s’affutent le dard en nous voyant.

 

 

 
 

Comme c’est la saison des migrations, nous avons la chance de pouvoir observer les colonies de cigognes qui font escale à Ziguinchor. Il y en a beaucoup et partout. Le gigantesque arbre qu’il y a dans la cour de notre hôtel en est farci, elles y nichent ! C’est chouette à regarder, mais pas à entendre…. Car ça fait un raffut de tous les diables, y compris la nuit. Leurs cris grinçants si caractéristiques sont puissants et pas du tout agréables à écouter, surtout quand on veut dormir : nos chambres sont idéalement placées aux premières loges, on a pu les entendre à merveille !!!

Le soir venu, alors que nous étions tranquillement en train de manger au restaurant, l’ambiance légère et joviale s’est soudain dégradée lorsque nous avons évoqué le départ du lendemain matin. Estelle s’est mise à angoisser. Submergée par la fatigue accumulée, elle ne maîtrisait plus rien et ses nerfs ont lâché : attaque de panique en plein dessert. Elle était en larmes, complètement tétanisée par sa peur incontrôlable… Mes « méthodes » habituelles (pourtant bien rodées et efficaces en général) pour la calmer, la rassurer et l’apaiser n’avaient absolument aucun effet. Je commençais à entrevoir le mauvais trip pour la nuit qui s’annonçait et pour la suite des évènements… Aux grands maux, les grands moyens ! Seule une mini dose d’anxiolytique (« roue de secours » normalement prévue en cas de besoin pour nos jours de bivouac à venir) aura eu raison de sa panique. Elle ne voyait quand même pas des cigognes roses, mais au moins elle est rentrée à l’hôtel très détendue et surtout elle a bien dormi !!! Soulagement général !

Lundi 29 décembre 2014 :  jour du départ pour la première Grande Traversée !
Nous avons été frigorifiés toute la nuit, à la limite du supportable cette fois. C’est à n’y rien comprendre. Jamais on n’aurait pensé souffrir du froid en zone tropicale ! Et pour cause, c’est totalement inhabituel ici, même si le mois de décembre est l’un des moins chauds de la saison sèche.
Tous les sénégalais qu’on interroge à ce sujet nous disent la même chose : ils n’ont presque jamais connu ça. D’ailleurs, ils ont tous des rhumes carabinés, ce qui rend les rencontres et les discussions très peu ragoutantes : reniflages puissants de nez morveux, raclages bruyants de gorges glaireuses, crachats imposants semés au gré du vent comme le petit Poucet sème ses cailloux pour retrouver son chemin.

Bref, non seulement on a eu froid, mais la douche que j’avais besoin de prendre au saut du lit était gelée et m’a achevée… J’étouffais mes cris pour supporter l’épreuve de l’eau glacée qui me fouettait le corps et me coupait le souffle. Aaaaaah c’était vivifiant et ça réveille !!! Autant dire que je n’ai pas traîné pour faire ma toilette !!!

Après avoir pris un copieux petit déjeuner pour tenir toute la journée, nous levons le camp peu avant 8h. Comme nous ne savons pas combien de temps il va nous falloir pour arriver à destination (les aléas des routes africaines sont irrémédiablement imprévisibles), aucun arrêt « repas de midi » n’est prévu, seulement du grignotage en route en fonction des petits creux. Pour le ravitaillement itinérant, nous achetons donc des bouteilles d’eau, des bananes, du pain, des arachides et de la nougatine.

 

Tout notre barda est enfin prêt, il n’y a plus qu’à…. Heureusement qu’on ne fait pas cette aventure en vélo !!! Parce que perso, j’aurais été bien incapable d’utiliser celui qu’on a vu dans la rue en sortant…

Samba, notre chauffeur de taxi brousse attitré, toujours ponctuel lui aussi, est déjà là et nous attend dans la rue devant l’hôtel.
Il a toujours autant d’allure Samba avec ses cheveux et son collier de barbe d’un blanc impeccable. Il est grand et imposant, toujours vêtu d’un boubou traditionnel. La force tranquille respecté de tous, et connu aux quatre coins du Sénégal. Il a 57 ans, deux femmes (la seconde doit avoir 30 ans de moins que lui) et une tripotée d’enfants (dont le dernier, encore en bas âge, lui a fait prendre conscience qu’il n’est plus tout jeune, ce qui lui a passé l’envie de continuer à se reproduire, ainsi que de prendre une troisième femme !!!).

Comme à chaque voyage au Sénégal, il assurera en partie notre transport jusqu’à la fin. Philéas lui fait toute confiance. Non seulement c’est un excellent chauffeur, prudent et efficace et sur qui on peut compter, mais en plus ses cheveux blancs font office de laisser-passer et sont un gage de tranquillité sur la route. En effet, l’homme aux cheveux blancs est extrêmement respecté en Afrique, et généralement, quand on est arrêté sur la route, les palabres du Sage suffisent à se sortir et à abréger bon nombre de situations sans fin…

Les présentations et salutations faites, nous chargeons nos sacs à dos dans la malle et nous prenons place dans notre spacieux et confortable « carrosse de brousse » : une robuste Peugeot 505 break – 7 places, sans clim, avec au moins 800 000 kms au compteur (qui ne tourne plus depuis bien longtemps…), châssis et moteur totalement bidouillés. C’est qu’il faut renforcer les véhicules là-bas pour pouvoir avaler les milliers de kilomètres et résister à l’état des routes…

Estelle et Anthony hallucinent en montant dans la voiture ; ils se disputent déjà la banquette tout derrière car on peut s’y allonger. Mais on y est aussi protégé du soleil grâce aux rideaux à smocks ingénieusement posés aux vitres et qui donnent à la voiture une allure de corbillard vue de l’extérieur et de cercueil vue de l’intérieur !!!

 

Contre toute attente, l’enthousiasme inattendu manifesté par nos loustics en découvrant le char d’assaut de Samba, nous laisse finalement espérer un bon déroulement de cette première épreuve de résistance et de patience de l’aventure ! Car l’objectif de la journée est quand même de taille : parcourir les quelques 430 kms de route et de piste qui nous séparent du Niokolo Koba au Sénégal oriental, et ce avant la tombée de la nuit à 19h…

 

Sans perdre une minute de plus, nous prenons la route pour la Grande Traversée !!!
Il ne faudra pas longtemps avant qu’Estelle et Anthony ne constatent de nouveau que les routes et pistes sénégalaises ne sont pas seulement empruntées par des véhicules à moteur !
Les charrettes bringuebalantes tractées par des ânes ou des chevaux sont aussi légion. Sans compter toute la faune domestique qui y pullule. L’astuce pour éviter, autant que faire se peut, les collisions avec des bestiaux ? Anticiper la trajectoire et la vitesse de son propre véhicule grâce à la connaissance empirique des habitudes comportementales de chaque espèce animale…
Ainsi, tout conducteur sénégalais sait qu’en général un âne sur la route restera figé à l’endroit où il a décidé de s’arrêter. L’âne est en arrêt sur image. Donc, dans la très grande majorité des cas, pour passer sans encombre, il suffira de ralentir et simplement s’écarter de la zone de stationnement de l’âne.
Pour les chèvres, c’est assez simple de les éviter aussi, mais pas pour les mêmes raisons. En effet, la chèvre conserve généralement sa trajectoire et sa vitesse. Sans faire de calculs savants, on peut être à peu près sûr qu’elle avance donc de manière constante. Là encore, il suffira de ralentir et de s’écarter à l’opposé de la direction choisie par le caprin.
Quant aux zébus, c’est un peu un mix de l’âne et de la chèvre, mais en beaucoup plus gros. Et comme bien souvent ils se déplacent en troupeau imposant, ils prennent tout l’espace et ne laissent donc pas d’autre choix que de s’arrêter et attendre qu’ils traversent, ou au mieux rouler au pas derrière eux.
Enfin, en ce qui concerne les gallinacées et les ovins, les éviter se joue un peu à la roulette russe ! Sur une route, les poules et les moutons sont des affolés hystériques, qui ne semblent obéir qu’à la théorie du chaos. Leurs déplacements sont on-ne-peut-plus erratiques, et leurs trajectoires sont totalement aléatoires et absolument imprévisibles ! Il est donc vain d’anticiper quoi que ce soit, il faut juste ralentir, éventuellement klaxonner (mais ça peut être contre-productif !!!) et espérer que la collision n’ait pas lieu, sinon…

 

Tout le long du trajet, Philéas et moi constatons que les choses évoluent sur le réseau routier sénégalais. De grands travaux ont été lancés pour reconstruire l’unique route qui traverse la Casamance. Des tronçons sont flambants neufs, un vrai plaisir à parcourir quand on connait dans quel état c’était avant…

 

D’autres parties (interminables) sont en plein travaux. Non seulement nous ne pouvons pas rouler bien vite, mais en plus nous bouffons de la poussière à chaque fois qu’on croise un autre véhicule. On ne peut guère rouler les fenêtres fermées, la chaleur dans la voiture devient rapidement insupportable.

 

Sinon, tout le reste est inchangé : les routes sont toujours autant défoncées et farcies de trous. Le goudron ne recouvre pas toute la chaussée, ce qui fait que, quand c’est possible, il est beaucoup plus prudent de carrément rouler sur le bas-côté !!!

 

Par moment, on ne peut rouler qu’au pas. On a l’impression de faire du sur place, ça n’en finit plus.
A d’autres moments, le but du jeu pour Samba est d’éviter les trous et crevasses pour ne pas éclater un pneu, tout en évitant les véhicules qui arrivent en face et qui font la même chose que nous… Les coups de volant s’enchaînent, ce qui amuse beaucoup nos jeunes passagers projetés d’un côté et de l’autre de la banquette.
Anthony est même mort de rire, il se croit en plein jeu vidéo !!! Ce n’est pas Mario Kart, mais Samba Kart !!! Il s’amuse tellement avec sa sœur que les nombreux camions renversés sur le bas-côté de la piste ne les impressionnent même plus…

 

Certains passages sont de vrais supplices, et pas que pour le dos ! On n’en peut plus d’être secoués dans tous les sens, et on cuit dans cette bagnole surchauffée. Surtout moi qui suis assise côté passager avant, avec le soleil qui me tape dessus depuis le départ de l’action. Je suis obligée de garder mon chapeau dans la voiture pour ne pas cramer de l’oreille et de la joue droites. Quant à mon bras droit, je le protège comme je peux, en me tartinant régulièrement d’écran total. Je frôle l’insolation et l’hyperthermie…

Après un tronçon particulièrement chaotique, nous décidons de faire une petite pause pour se dégourdir les jambes, se ravitailler, se désaltérer et vider les vessies derrière le baobab le plus proche. Mais en nous arrêtant au bord de la route au milieu de nulle part, nous faisons une rencontre impromptue : une famille de singes surgit d’un arbre et court à travers champ. Ce n’est pas qu’on avait peur, mais bon quand même, on sait qu’il faut vraiment se méfier des singes, alors autant dire que l’opération « pipi bucolique » a été expédiée avec une petite poussée d’adrénaline quand il a fallu baisser les pantalons dans les herbes folles au milieu des buissons !!!

 

Autre constatation faite pendant la première moitié du trajet : il y a beaucoup moins de check-point que d’habitude. Car la Casamance reste une zone de conflits armée entre l’État et les rebelles indépendantistes. Les militaires y sont donc très présents et procèdent habituellement à de nombreux contrôles routiers, ce qui rallonge considérablement les temps de trajet. Mais là, à notre grande surprise, et pour notre plus grand soulagement, nous n’avons pour ainsi dire pas vraiment été contrôlés.

Tout au long du trajet, Estelle et Anthony ont pu observer les changements de la végétation et des paysages.
Après les cocotiers, palmiers et autres rôniers de la Casamance tropicale, le Sénégal oriental se présente plus aride, mais « feuillu et arboré » en cette saison.
L’atmosphère devient beaucoup plus sèche et surtout la chaleur se fait de plus en plus intense.

 

En milieu d’après-midi, nous quittons la route goudronnée et empruntons la grande piste nous rapprochant du Niokolo Koba.

 

Nous devons encore ralentir, pourtant nous languissons tous d’arriver pour pouvoir se poser. Tout le monde est fatigué, a chaud et sature d’être secoué dans la voiture qui tremble de toute part en roulant sur cette piste en tôle ondulée.
Chaque village traversé est l’occasion pour Anthony de nous seriner << C’est là, ça y est ? On est arrivé ? >>. Nous sommes autant déçus que lui de devoir lui répondre << Non, non, pas encore, mais on approche, on n’est plus très loin maintenant. On arrivera avant le coucher du soleil, ça maintenant c’est sûr ! >>.

Effectivement, le supplice prendra fin à 17h, à peine plus d’une heure avant la tombée du jour.
Après 9 interminables heures de routes chaotiques dans une bagnole surchauffée, nous arrivons ENFIN à destination : le Campement de Wassadou au bord du fleuve Gambie. Le soulagement est général ! L’épuisement aussi…

Estelle et Anthony sont émerveillés par le lieu qu’ils découvrent. Une fois de plus, ils ne savaient pas du tout à quoi s’attendre.
Il faut bien reconnaître que cet endroit calme, paisible, isolé en pleine nature, est vraiment très agréable.

 

 

 

 

 

Nous félicitons nos courageux aventuriers qui ont su faire preuve d’une patience exemplaire pour une telle traversée ! Je n’aurais pourtant pas parié un kopeck !!!
Nous remercions et félicitons aussi Samba pour avoir accompli son job de chauffeur sans faillir ni faiblir, et presque sans pause. Il a beau être rompu à l’exercice (c’est son boulot après tout), nous sommes toujours autant impressionnés par sa résistance.

Nous le convions à venir partager avec nous le pot de l’amitié. Car couverts de poussières et le corps en surchauffe, nous sommes assoiffés et au bord de la déshydratation…

Il y a tout ce qu’il faut pour se désaltérer, y compris pour les oiseaux qui disposent ici d’un insolite « bar à piafs ».

Nous nous installons à l’ombre d’un immense arbre, surplombant le fleuve tranquille (mais farci de crocodiles et d’hippopotames…) face à cette nature sauvage, luxuriante et magnifique. En face, de l’autre côté du fleuve, c’est le parc national du Niokolo Koba.

A l’arrivée des boissons et des cacahuètes à grignoter, de jolis petits oiseaux peu farouches s’approchent de nous. Ce sont des Pluvians d’Egypte.

Estelle est tellement attendrie qu’elle leur parle doucement pour les attirer un peu plus près !

Anthony a une autre stratégie (plus efficace) pour les attirer : il leur jette des cacahuètes qui font certes leur bonheur, mais qui risquent de les rendre malades !

 

 
Le temps est suspendu et la fatigue se fait peu à peu oublier. 
Tout le monde profite de ce moment de quiétude bercé par les seuls bruits des animaux et des oiseaux environnants. 
Nous ne nous lassons pas d’observer cet oiseau joueur.  La rencontre avec ce Pluvian d’Egypte est tout simplement magique et enchante nos petits explorateurs.
 

 
Nous laissons repartir Samba. Pendant que nous ferons notre aventure dans ce coin du Sénégal oriental, lui continuera de son côté son métier de taxi-brousse dans la région. 
Il reviendra nous récupérer pour la prochaine Grande Traversée, celle du retour…
  
 
Avant que le soleil ne se couche (et qu’on n’y voit donc plus rien), nous allons prendre possession de nos chambres.
 
La case n°8 d’Estelle et Anthony est identifiée par Bouki (la Hyène en wolof).

Le porte-clefs est une lampe-torche : encombrant, original, mais surtout indispensable accessoire pour rejoindre sa chambre dans l’obscurité totale le soir venu. Bien que nous soyons largement équipés en lampes-frontales et autres torches de poche à led, Anthony se désigne immédiatement responsable des clés… Estelle s’autoproclame son assistante !

Chaque chambre est une case-bungalow indépendante, de forme circulaire et spacieuse, avec une belle hauteur sous paillote, et deux « fenestrous » sans vitre mais avec un filet de moustiquaire constellé de trous et vaguement cloué sur un cadre non compatible avec les embrasures ! Évidemment, avec cette (im)parfaite étanchéité des fenêtres, ainsi que de la porte d’entrée d’ailleurs, la faune locale (insectes, araignées, lézards principalement) est incluse dans ce décor typique.
 
Le confort y est très simple mais suffisant : un lit avec moustiquaire (garnie de poussière) sur baldaquin, un coin lavabo/wc/douche, un coin penderie/placard derrière un rideau, un ventilateur électrique au mur.
Il faut juste rapidement s’habituer à se caler sur le rythme des groupes électrogènes : il n’y a de l’électricité et de l’eau (pompée électriquement directement dans le fleuve) dans les chambres que de 18h à 23h et de 6h à 9h. Mais finalement, heureusement que les moteurs ne tournent pas toute la nuit, car comme ils sont proches de nos bungalows, avec le bruit infernal qu’ils font, on n’aurait pas pu dormir à  mon avis !!!
 
Toutes nos affaires posées, nous retournons illico reprendre notre activité « observation des oiseaux » au bord du fleuve. Car ça fait partie des missions que doivent remplir nos explorateurs en herbe : dans leur pochette « Iwol Express », il y a deux planches d’images présentant les animaux et les oiseaux vivant ici. Et ils doivent entourer tous ceux qu’ils auront pu observer. Ils se sont rapidement pris au jeu, alors même que nous n’avons pas encore commencé l’épreuve du safari-photos !

 
Cerise sur le gâteau en cette fin de journée : la très bruyante et agitée famille Babouins est de sortie dans l’immense arbre de l’autre côté de la rive. Le face à face (avec une distance de sécurité et un ruisseau nous séparant tout de même… les babouins sont dangereux…) est surréaliste. Qui, de nous ou d’eux, observe l’autre ?
Ils font un ramdam de tous les diables, sautant frénétiquement de branche en branche, se disputant en poussant des cris perçants.
Malheureusement, l’observation a été subitement gâchée par le débarquement impromptu d’une bande de touristes espagnols se croyant seuls, très volubiles et parlant fort… (bien que l’envie de l’écrire me démange, je ne préciserai pas que c’est un peu un pléonasme…)

 
 
 
Leur présence perturbatrice n’aura pas duré trop longtemps, et finalement nous pourrons profiter tranquillement du coucher de soleil si particulier sur le Niokolo.
 
 
 
 

Une fois le soleil disparu, nous retournons à nos cases pour passer l’épreuve de la douche froide. Mais on a tellement eu chaud aujourd’hui qu’après le premier petit cri réflexe « ouh la vache, elle est froide » et l’inévitable fou-rire qui s’ensuit, nous finissons par apprécier la fraîcheur de l’eau qui parvient à venir à bout de nos surchauffes en baissant les températures corporelles.

Il ne nous reste plus qu’à retourner sous la paillote pour se mettre à table.

Le menu est imposé, Estelle et Anthony nous envoie des regards de détresse d’affamés. Je crains le pire après le « jeûne » de la journée…. Nous demandons donc avec insistance à la cuisinière de préparer du riz blanc nature pour les loustics. Grâce à ça, le repas du soir se passe bien. Les estomacs sont remplis à satiété.
La soirée est presque fraîche, au point qu’on supporte nos vestes en polaire. C’est dingue ça ! On n’en revient pas. Bon, le côté positif de ce dérèglement climatique local c’est que comme ça, on a les bras protégés des moustiques…

Repus et fourbus, nous rejoignons nos pénates dans la nuit noire. Nos courageuses (mais pas téméraires) sentinelles, armées de leur arsenal de lampes (torche, led, frontale et j’en passe ! Ils n’ont pas assez de mains !!!), nous précèdent pour éclairer le dédale de sentiers sensés nous mener jusqu’à nos cases. On se perd un peu… Tous ces chemins qui se ressemblent dans l’obscurité forment un vrai labyrinthe, et on n’a pas pensé à prendre des repères pour retrouver nos chambres !!!  C’est le grand frisson pour Estelle et Anthony qui sont au paroxysme de leur état « alerte-vigilance ». Tous leurs sens sont en éveil maximal. Pendant que l’un surveille à droite du chemin, l’autre éclaire à gauche, puis l’un devant et l’autre derrière, des fois qu’un troupeau de bêtes sauvages féroces déciderait de nous attaquer là maintenant, comme dans Jurassic Parc !
Pendant ce temps, nous ricanons discrètement derrière eux… Mine de rien, cette perte totale de repères est très instructive et formatrice pour eux. Apprendre à se débrouiller, c’est un peu le but de l’aventure.
Par chance, nous serons « sauvés » par les groupes électrogènes qui tournent à plein régime… Nous retrouverons notre chemin à l’oreille : le bruit de leur moteur nous guide puisque nous dormons pas très loin du local !!!


Le lendemain, après une bonne nuit de sommeil (sauf pour moi…décidément, je ne sais pas à quoi je carbure, mais je suis en sur-régime depuis qu’on a débarqué au Sénégal), lever by-night, avant l’aurore, pour notre safari-photos dans le Parc National du Niokolo Koba.
Si on veut pouvoir observer les animaux, il vaut mieux explorer la brousse dès le lever du soleil, et en fin de journée avant la tombée de la nuit. On a donc mis toutes les chances de notre côté ! On est quand même aussi venu beaucoup pour ça…
La grasse mat’ n’est définitivement pas au programme de ce voyage !!! Les valises, on les gardera sous les yeux…

Faire découvrir le Niokolo à nos aventuriers (ensommeillés) sera la première étape des 4 jours d’expédition nomade en brousse qui s’annoncent…

 

 

Petit moment magique qui nous sortira de notre torpeur léthargique : nous admirerons le lever du soleil en route, sur la piste en latérite qui nous mène à Dar Salam, là où se situe l’entrée principale du Parc.

 

Après environ une demi-heure, nous voilà arrivés au départ de l’action.
Bienvenue au Parc National du NIOKOLO KOBA (inscrit au patrimoine de l’UNESCO depuis 1954) !

 

 

L’incontournable attente au guichet, pour payer les droits d’entrées et les autorisations pour pouvoir bivouaquer dans le parc cette nuit, est moins interminable que d’habitude… Un miracle qui reste inexpliqué, mais on s’en est très bien accommodé !
Pendant ce temps, j’ai distribué les paires de jumelles ; chacun porte les siennes autour du cou, bien en vue. Du coup, ça coupe court aux palabres et négociations sans fin avec tous les petits vendeurs qui guettent les (de plus en plus) rares touristes de passage, dans l’espoir de leur louer les indispensables accessoires d’observation des animaux !

Autant dire que sur ce coup-là, on s’en tire d’une bonne…
Allez hop, maintenant que tout est OK, pas de temps à perdre pour nos explorateurs en herbe.

Ils sont installés à l’arrière du camion 4×4, prêts à remplir leur nouvelle mission dans cet « Iwol Express » : observer le plus d’animaux possible !

Il n’a pas fallu bien longtemps pour qu’ils en entourent sur leur fiche. A peine entrés dans le Parc, ça pullule !!!
Je ne sais plus où donner de la tête avec mon appareil photo.
D’ailleurs avec Philéas, on n’en revient pas. On est super content aussi. Car on aura plus vu d’animaux en une seule journée avec Estelle et Anthony que toutes les fois réunies où on est venu au Niokolo par le passé. C’est à peine croyable. On a vraiment eu une chance inouïe !!! Parce que je n’ose même pas imaginer l’ambiance avec notre progéniture si on n’avait pas croisé l’ombre d’un pelage de bestiole… (comme ça nous est déjà arrivé)… Certes on n’aurait pas été responsable. M’enfin, si on leur avait fait avaler des milliers de kilomètres pour juste bouffer de la poussière au fin fond d’un parc sans animaux, je crois bien qu’ils nous l’auraient reproché jusqu’à la fin de nos jours !!!


BREF, on ne boudera pas notre plaisir, notre satisfaction (et notre soulagement…) de voir nos chers aventuriers aussi heureux de découvrir la faune locale, la bouche ouverte de stupéfaction et les yeux écarquillés d’émerveillement.
Ils sont tellement contents qu’ils ne rechignent même plus quand je leur demande de les photographier devant les gigantesques termitières « cathédrale ». Je n’ai pas eu besoin de négocier ferme pour les faire descendre du camion et prendre mes photos…

Je suis bien incapable de me souvenir de tous les noms exacts des animaux qu’on a vus, ni de faire la distinction entre toutes les espèces de gazelles/biches/antilopes… J’ai filmé et j’ai shooté comme une furie, histoire d’avoir une chance de rentrer avec quelques photos non floues !!! Photographier les animaux dans la brousse, c’est compliqué, la mise au point automatique se fait surtout sur les herbes/branches/feuilles. Les vidéos sont mieux réussies.
Mais bon, voici quand même un petit échantillon de nos rencontres au fil de notre progression sur les pistes du Niokolo…



 
 

 

 
 
 

Nous ponctuons notre exploration par des haltes à des points d’observation installés par-ci par-là dans le Parc. A chaque arrêt, c’est le même grand frisson : est-ce sans danger de descendre et s’éloigner du 4×4 ????

 

 

Nous nous sommes également arrêtés à la mare de SIMENTI, immense « abreuvoir » naturel où les animaux et les oiseaux viennent se désaltérer.

Là, dans le temps, il y avait un hôtel de standing, avec même une piscine semi-hors-sol (qui n’est plus opérationnelle depuis belle lurette). Le temps du faste de l’hôtel de Simenti est révolu depuis longtemps, mais le lieu existe toujours et fait office d’escale pour les explorateurs.

L’accueil est, au minimum, assuré par les très curieux et pas farouches « singes-verts », réputés pour être des voleurs extrêmement agiles et redoutablement rusés ! Ce n’est pas une légende… On a testé pour vous à de multiples reprises…. Dont une fois, il y a quelques années, où une horde de ces chapardeurs nous a encerclés pour faire diversion et nous a piqué une partie de notre repas, à commencer par le dessert (des bananes), avant qu’on ait eu le temps de dire ouf !!!

Autre rencontre incongrue que l’on peut faire sur les lieux, au détour d’un bâtiment abandonné : des troupeaux de phacochères !
Présence humaine ou pas, la famille de Pumba au grand complet est ici chez elle, qu’on se le dise !!!

 

La vue panoramique surplombant le fleuve Gambie est magnifique.

C’est un endroit idéal pour observer aux jumelles la rive d’en face et y découvrir des hippopotames, des oiseaux bien-sûr, et aussi des crocodiles qui farcissent les « plages » et les eaux locales…

 

 

[ Note de relecture de Philéas : Ne pas hésiter à lire la BD des aventures de Spirou et Fantasio « Le Gri Gri du Niokolo Koba » (tome 25) pour y découvrir le Niokolo au temps de sa splendeur…]

 

 

 

Nous nous sommes également aventurés jusqu’à un poste d’observation au bord de la mare de Simenti proprement dite.
C’était vraiment super d’être en plein cœur de la faune.

Toutefois, la petite marche qu’il a fallu faire, à travers la végétation luxuriante, pour s’y rendre nous a valu un nouveau petit coup d’adrénaline…

Comme on ne peut pas chanter à tue-tête ou encore parler à voix haute, au risque de faire fuir les oiseaux et les animaux qu’on est venu voir, j’ai incité mes troupes à marcher d’un pas lourd, en tapant des pieds pour faire fuir tout éventuel représentant de la famille des reptiles et assimilés !!!!
 

 
 

Sur le chemin du retour au 4×4, nous avons l’occasion de montrer à Estelle et Anthony une nouvelle parfaite illustration de l’inimitable système D africain !
Rien ne se perd, tout se recycle….


A quoi d’autre peut bien servir le sommier métallique d’un des lits d’une chambre de l’hôtel ?

Vous donnez votre langue au chat ?

Vraiment ?

Pourtant, au pays de la 4ème dimension sénégalaise, ça paraît évident…

Allez, un indice : c’est une méthode de conservation ancestrale…

Et oui ! On s’en sert aussi pour faire sécher au soleil puis fumer le poisson fraîchement pêché !!!!!
L’histoire ne dit pas si quelqu’un a osé dormir sur ledit sommier après cette opération qui a dû, à n’en point douter, laisser des traces olfactives puissantes !!!

La fin de matinée arrive déjà. Nous reprenons le 4×4 et poursuivons notre progression dans le Parc.

 

 

 

 

 

 

Halte suivante : le gué de Damantan où nous allons faire une balade à pied jusqu’au fleuve. Nos taux d’adrénaline remontent en flèche…. Je croise les doigts (et les orteils) pour qu’on ne se retrouve pas nez-à-nez avec une panthère, un hippopotame ou un crocodile !!!

 

 

 

 

 


Cette petite randonnée nous a ouvert l’appétit. Il faut dire que notre petit-déjeuner est loin maintenant.
Nous décidons donc de demander l’autorisation de pique-niquer au camp des Gardes situé non loin de là.
Autorisation accordée sans problème par l’équipe d’astreinte (deux hommes et une femme).

 

 

C’est dans ce camp que se trouve la « fameuse » panthère en cage. Elle est toute seule maintenant et ne pourra jamais être relâchée malheureusement. Pauvre bête…
A l’origine, il y avait une fratrie (deux petits) recueillie suite au décès de leur mère. Les deux panthères ont grandi en captivité, nourries par les humains, et sont donc incapables de vivre d’une manière autonome à l’état sauvage.
Il n’en reste plus qu’une car l’autre a été tuée par un serpent qui l’a étranglée. Ambiance… Moralité de cette triste histoire : ce n’est pas forcément celui qu’on croit le plus fort en apparence qui gagne le combat !

 

Après nous être lamentés sur le triste sort de cette pauvre panthère (sauvée d’un côté, certes, mais du coup condamnée à moisir en cage pour rester en vie…), nous rebroussons chemin et retournons au camp pour soulager nos estomacs affamés.

 

Chemin faisant, nous repérons le coin « toilettes » qui nous soulagera d’autre chose au passage !!!
Il fallait vraiment avoir un besoin impérieux d’être soulagés, et pas seulement une petite envie…
J’épargnerai le lecteur de la description, visuelle et olfactive, des lieux…
Oser entrer là-dedans, et réussir à y rester le temps nécessaire, c’était plus qu’une aventure en soi !!!
Les fou-rires n’ont pas manqué d’accompagner cette expérience de l’extrême !!!

Nous rejoignons tout le monde sous la hutte. Estelle s’inquiète de ce qu’on va avoir à manger pour le pique-nique. Elle va jeter un coup d’œil inquiet sur ce qui cuit sur le feu par terre. A son grand soulagement, ce n’est pas pour nous, c’est l’équipe de garde qui prépare sa tambouille de son côté.

 

 

 

 

 


Contre toute attente, nous nous installons……. à table s’il-vous-plaît ! On se sent vidé. La fatigue commence à se voir sur les visages. La chaleur monte et épuise nos corps.

Estelle et Anthony attaque le stock de riz blanc nature que j’ai fait préparer (avec insistance) avant de partir en exploration. Je voulais être sûre qu’ils aient quelque chose à se mettre dans le ventre durant les jours qui allaient suivre…

Une fois notre repas terminé, l’équipe de garde s’installe autour d’un seau, à côté de nous, pour manger à leur tour.
Ils nous invitent à partager leur gamelle… Vent de panique à la table des Fogues !!! Tout le monde est repu, l’argument est parfait pour décliner poliment l’invitation.
A la tête qu’ils font face à notre refus, je sens bien que ça les « vexe » un peu. Alors, pour honorer la légendaire teranga sénégalaise (hospitalité généreuse et chaleureuse), je décide de donner de ma personne !
Je me lève péniblement, et trempée de sueur, de ma chaise en plastique (mes jambes semblent peser une tonne chacune, le manque de sommeil commence à se faire sérieusement sentir). Et je vais m’agenouiller avec eux devant la gamelle posée sur le seau.
Là, à l’inconfort que je ressens en pliant les genoux, je me demande comment je vais bien pouvoir faire pour me relever ! Mon sang ne circule déjà plus dans mes jambes…

Prenant mon courage d’une main, et ma fourchette de l’autre, je repère un coin du plat qui me semble le moins pire à mes yeux (c’était un plat de riz au poisson avec des légumes). Je pique dans une carotte avec du riz et plein de sauce, et j’enfourne ça avec détermination.
Le premier retour en bouche me surprend et me rassure : ce n’est pas mauvais sans le poisson. Mais je déchante rapidement : le deuxième retour (de flamme) me met le feu à la bouche ! Les sénégalais aiment le piment, j’avais oublié !!!
Il parait que je suis très expressive du visage… ça doit être vrai vu la tête de mes hôtes en voyant la tronche que j’ai dû faire par réflexe quand j’ai senti le piment me brûler la langue puis la gorge.
J’ai bien essayé de noyer le poisson en reprenant 2 cuillères de plus, mais ça piquait trop pour moi. J’ai jeté l’éponge. Et puis de toute façon, j’avais déjà les dents du fond qui baignaient, j’allais pas me rendre malade… Déjà que la digestion a été compliquée ensuite…

En tout cas, j’ai constaté qu’une fois de plus, j’ai été la seule courageuse à goûter ! Finalement, je me demande si c’est vraiment moi la plus chochotte de la Fogues Family !!!!

 

Après cette pause ravitaillement, conclue par le rituel des « 3 thés » (que j’ai dégustés sans me faire prier, j’aime trop ça) dont on dit << que le premier est amer comme la mort, le deuxième doux comme la vie et le troisième sucré comme l’amour >>, nous ramassons nos affaires, grimpons dans le 4×4 et reprenons le cours de notre safari-photos. Nous faisons parfois de petites haltes pour se rendre, à pied, à des postes d’observation. Chaque descente du camion est une nouvelle poussée d’adrénaline…

Malgré la chaleur à cette heure de la journée, nous avons encore vu beaucoup d’oiseaux et d’animaux, surtout des gazelles/antilopes/biches habituellement farouches et peu visibles.

On est secoué dans tous les sens à l’arrière du 4×4, ce n’est pas de tout repos. J’ai le dos en vrac. Estelle et Anthony commencent à saturer…
Nous nous enfonçons toujours plus loin dans le Niokolo.
A un moment, notre chauffeur et notre guide s’arrêtent et descendent du 4×4 pour aller dégager le chemin barré par des branchages. Ils avaient raison quand ils nous expliquaient que toutes les pistes du Parc n’avaient pas encore été faites (cette période est le début de la haute saison touristique en théorie).
Une autre fois, c’est un tronc d’arbre qui barre carrément la piste. Impossible de continuer. Estelle et Anthony se décomposent en s’imaginant déjà perdus sans moyen d’appeler d’hypothétiques secours. Mais c’est sans compter sur la détermination de « Spaghetti » (le surnom donné à notre chauffeur tellement il est long et maigre) qui ne compte pas se laisser emmerder par un arbre, ni faire demi-tour ! Il braque à fond et avance hors-piste dans les fourrés pour contourner le barrage. A l’arrière, on s’accroche et on se protège comme on peut pour ne pas se faire fouetter les bras et le visage par les broussailles. C’est pas que je flippe (quoique…) mais je croise secrètement les doigts en me disant << Pourvu qu’un serpent arboricole ne nous atterrisse pas dessus !!! >>.
Lorsque nous retrouvons la piste, le soulagement est tel que nous applaudissons Spaghetti pour son sang froid. En réalité, il est nase lui aussi, il en a ras-le-bol et il languit que sa journée de travail se termine….

En poursuivant notre itinéraire, on se rend vite compte, vu l’état de la piste, que c’est une zone beaucoup moins fréquentée, pour ne pas dire complètement paumée. L’après-midi est déjà bien avancée, le soleil commence à se coucher à partir de 18h et on n’a pas bien compris où on allait bivouaquer. Car au départ de l’action, on avait prévu d’aller jusqu’au Mont Assirik, le coin du Niokolo où il reste(rait) encore une poignée d’éléphants.
On est tous fatigués ; moi, je commence à sérieusement gamberger… Pourvu qu’on atteigne, avant la nuit, un endroit propice pour planter nos tentes… Déjà que l’absence de douche en arrivant me pèse…
Subitement, nouvel arrêt juste devant ce qui ressemble à un cours de ruisseau asséché. Il faut qu’on descende tous du 4×4  et qu’on continue à pied ! Le passage est délicat, et il faut alléger le camion. On ne se pose même pas la question de savoir si un animal dangereux peut surgir ou pas ! On saute hors du 4×4, on veut qu’il passe….

 

 

 

 

 

 

Heureusement, la traversée se fera sans problème, mais nous aura « retardés » encore un peu plus.
Le guide décide donc de modifier le programme. Il faut savoir s’adapter aux impondérables ! On change d’itinéraire pour rejoindre un Poste de Garde où nous espérons obtenir l’autorisation de passer la nuit.

Du coup, rechercher assidûment les animaux en roulant au pas n’est plus du tout notre priorité… L’urgence à nos yeux est désormais d’arriver avant la nuit !!!

 

Comme d’habitude, j’ai paniqué un peu trop vite…

On n’était pas très loin de LINGUEKOUNTOU.

 

 

 

 

 

 

Après l’interminable rituel des palabres, les militaires que nous trouvons là acceptent gentiment que nous nous incrustions « chez eux ». Deuxième démonstration de la teranga sénégalaise dans la même journée…
L’épreuve « chercher un endroit pour passer la nuit chez l’habitant » de notre Iwol Express est (presque) réussie !!! Bon OK… ce n’est pas exactement « chez l’habitant », m’enfin on dira que ça valide quand même le truc !

Ni une ni deux, nous voilà en train de descendre les affaires du 4×4 puis faire un rapide tour du propriétaire. J’en profite pour scanner discrètement des yeux chaque coin du Camp.
Actuellement, deux militaires (sur)vivent ici, d’astreinte pour plusieurs mois. Ils ont du ravitaillement plus ou moins régulièrement.

Une « paillote », faite de bric et de broc, fait office de cuisine/salle à manger/salon/bureau.
Des cases en dur se trouvent tout autour.
Certaines servent de chambre, chaque militaire a la sienne.

Une autre case sert de wc. Sa porte métallique rouillée est dégondée et juste posée contre l’entrée. Difficile à ouvrir et à fermer. Il va falloir se contorsionner pour se faufiler à l’intérieur (et accessoirement éviter de choper le tétanos…). Estelle et Anthony s’empressent d’aller inspecter les lieux d’aisance. Ils y découvrent un seau d’eau, une boîte de conserve, une balayette en paille, et un trou par terre qu’il nous faudra donc viser une fois accroupi dessus en vol stationnaire… On n’a pas compris où ça se déversait à l’extérieur, puisqu’il n’y a ni tout-à-l’égout, ni fosse septique. Étant donné le contexte, à notre grande surprise c’est franchement clean. Mais je ne peux m’empêcher de penser que ce genre de recoin glauque, sombre et humide est la villégiature idéale pour les bébètes qu’on ne veut pas croiser !!!
Toutefois, on installera nos tentes à proximité, comme ça les envies nocturnes ne nécessiteront pas de lointaines (imprudentes et angoissantes) balades en pleine nuit pour rejoindre les latrines.

A l’extérieur du muret d’enceinte du campement, il y a un forage avec une pompe manuelle (comme à Iwol) pour l’approvisionnement en eau. Des bassines sont posées dessous.
Pour la rendre potable, les gardes disposent d’un ingénieux système de seaux superposés filtrants. Ils remplissent le seau supérieur, et en quelques heures, de l’eau potable est obtenue dans le seau de récupération inférieur. Ils obtiennent ainsi de quoi tenir la journée.

A côté, on remarque un bidon attaché à une corde avec une poulie et une barre de fer, le tout accroché à la branche d’un arbre.
Mais kézako ce schmilblick ?
Nos jeunes campeurs, confiants, attrapent à tour de rôle la barre de fer et tirent dessus de toutes leurs forces. Mais le bidon est plein, et la tâche s’avère ardue. C’est trop lourd. Anthony manque de se luxer les épaules et s’écarteler les bras, et Estelle frôle la hernie inguinale et la descente d’organes…

On demande des explications aux gardes.
Ils nous expliquent alors fièrement qu’ils se sont bricolés un poste de musculation pour s’astreindre à faire de l’exercice quotidien !!! Devant nos airs interloqués (faire de la muscu en pleine brousse nous paraît un peu superflu de prime abord), ils nous rappellent très sérieusement qu’ils sont avant tout des militaires ayant l’obligation de s’entraîner chaque jour, où qu’ils se trouvent. Oui… forcément…
Encore une parfaite illustration de la maîtrise du système D, même en milieu hostile…

La visite terminée, nous retournons au 4×4 garé à l’ombre de l’arbre imposant qui trône au milieu du camp.

Le soleil va bientôt se coucher. Le stress monte…
On se sent crasseux et poisseux. J’ai beau le savoir depuis longtemps, il me faut me résigner à l’idée qu’il n’y aura pas de douche ce soir. Pour Estelle et Anthony, la perspective d’une vague toilette à la lingette ne les dérange pas plus que ça. Moi si en revanche, mais faudra faire avec !
De son côté, Philéas, parfaitement rodé à la vie de baroudeur en milieu sauvage, ne s’embarrasse pas avec ce genre de question très terre-à-terre. Pour lui non plus pas de douche, mais il a un autre plan B que l’option « lingettes-party ». Il se renseigne auprès des gardes pour savoir si, par hasard, un cours d’eau passe près du campement. Il se trouve justement que la rivière Niokolo Koba (qui a donné son nom au Parc) coule non loin de là. Mais quelle chance !!!
Très enthousiaste, il décide immédiatement d’aller se laver dans la rivière avant la tombée de la nuit, et nous invite à faire de même… Estelle et Anthony refusent tout aussi catégoriquement que moi !!! Il en est hors de question ! Et pour plein de raisons….. plus ou moins fumeuses, j’en conviens, mais ça se discute :
– d’abord, je n’ai pas l’intention de me mettre à poil en plein air n’importe où, sous prétexte que seuls des animaux pourraient mater.
– ensuite, je n’ai aucune envie de prendre le risque de choper la bilharziose en marchant pieds nus sur les rives vaseuses et dans l’eau croupissante de la rivière.
– après, j’ai vraiment trop peur d’une éventuelle attaque de crocodile ou d’hippopotame (qui pullulent ici).
– enfin, l’idée de me tremper dans de l’eau sale (des animaux y caguent dedans tout de même) pour me rendre propre, est totalement absurde à mes yeux. Sans compter que ressortir de ce bouillon de culture en sentant la vase, ne me fait pas rêver du tout !!!

Philéas, lui, a déjà pris sa trousse de toilette, sa serviette, et du linge propre. On ne participera pas à son débarbouillage, mais on l’accompagnera quand même pour assister à la scène.

Il faudra qu’un des deux militaires, claquettes au pied mais armé de son fusil mitrailleur, nous escorte jusqu’au bord de la rivière…
C’est à ce moment-là qu’on a pleinement pris conscience qu’on se trouve en pleine brousse peuplée d’animaux sauvages potentiellement dangereux.

La marche à travers bois jusqu’à la rivière ne dure que cinq minutes, mais elles sont interminables tellement je flippe qu’on se retrouve nez-à-nez avec une bestiole hostile !!!
Estelle et Anthony n’en mènent pas large non plus. Ils nous collent aux basques tels des gardes du corps en mission de protection rapprochée.
Au moindre bruit environnant (autre qu’un chant d’oiseau), je sursaute lourdement, ce qui fait pousser un cri à Estelle, ce qui pousse Anthony à s’agripper à mon dos, ce qui me fait accélérer le pas en levant les genoux et en riant nerveusement. C’est pas un peu le principe de l’effet papillon ça ?
Je ne maîtrise plus rien. On a le palpitant à fond et tous les sens à fleur de peau. Sauf Philéas….. qui reste imperturbable…… mais consterné par sa bande de poules mouillées. Quant au militaire nous ouvrant le chemin sans un mot, il doit nous prendre pour une famille de fous furieux.

On arrive au bord de la rivière, et là, je dois avouer que j’en reste bouche bée. C’est juste beau. La végétation du rivage d’en face se reflète à la surface des eaux vertes.
Le lieu a l’air tellement paisible.

On observe, ébahis, ce paysage avec pour seule ambiance sonore les chants des oiseaux qui se font de plus en plus vigoureux en cette fin de journée.

  

 

Le calme et la sérénité vont être de courte durée !

Attirés par notre arrivée, des babouins surgissent soudain sur les branches de l’arbre juste en face, de l’autre côté du rivage. Ils nous observent avec curiosité. On devient l’attraction !!! Il en sort de partout, et ils se mettent à faire un ramdam pas possible.

 

Pendant ce temps, Philéas descend vers la rive avec ses affaires et s’installe sur des rochers.
Toujours imperturbable, il se déshabille, prend sa savonnette et rentre dans l’eau après avoir fait l’équilibriste sur les rochers glissants.

Le voilà comme seul au monde, béat et ravi, se savonnant tranquillement dans les eaux du Niokolo Koba.

Il nous explique qu’on a eu tort de refuser de se joindre à lui, car l’eau est bonne, ça fait un bien fou après une journée aussi chaude.

Oui… mais non ! On préfère rester au bord et surveiller.
Quand soudain, je me rends compte qu’il y a un truc « non identifié » un peu plus loin derrière lui. Je me demande ce que ça peut bien être, car je n’avais pas fait attention si ça y était déjà quand il est rentré dans l’eau.
Je le préviens…. d’une façon qui trahit un peu mon stress… Estelle et Anthony, alertés par ma remarque, stoppent net leur observation amusée de la famille singes, et cherchent du regard ce qui m’inquiète.
Mais que n’ai-je pas dit !!! L’effet papillon va finir de nous pourrir l’instant qui se voulait magique…
Anthony remarque lui aussi que ce qui émerge à fleur d’eau ressemble étrangement à la tête d’un crocodile en embuscade.
Estelle, distinguant à son tour le truc « non identifié », panique et se met à crier : << Papa sort de là tout de suite, il y a un crocodile derrière toi !!! >>.
On a tellement vu de reportages animaliers qu’on ne doute pas une seconde que ça puisse être autre chose.

Philéas, lui, est dans sa bulle. Il daigne à peine se retourner pour vérifier, alors qu’il est aux premières loges pour ça !!!
Devant son absence de réaction, Estelle est au bord de la crise de nerfs.
Anthony reste figé d’angoisse à côté de moi.
Les babouins redoublent d’excitation sur les branches en face, ils sentent qu’il se passe quelque chose d’inhabituel.
Moi, je zoome à fond avec mon appareil photo pour tenter d’en avoir le cœur net. Mais ce n’est pas très clair et je me mets à sérieusement douter…. Je me sens tout-à-coup impuissante.
Le militaire, qui s’est éloigné du rivage pour nous laisser un peu d’intimité, ne comprend pas vraiment ce qui se passe.
Sans grande conviction, Philéas tente de nous rassurer en nous disant que ce n’est qu’un rocher.
Estelle, tétanisée et en larmes, lui crie désespérée << mais non c’est pas un rocher, ça a bougé !!! >>.
Moi, je ne sais plus quoi faire, tous ces coups d’adrénaline de la journée m’ont lessivée. Je suis trop fatiguée pour avoir les idées claires. Il me faut garder un peu d’énergie pour affronter la nuit sous la tente…

Finalement, non sans nous maudire, Philéas abrègera son barbotage rafraîchissant.
Il bougonne dans sa barbe en sortant de l’eau, toujours en jouant les équilibristes. A la façon d’attraper sa serviette et de s’essuyer, je vois bien qu’il n’est pas content… Mais pour nous, le soulagement est indescriptible.
Il ne se sera pas fait bouffer par un croco, ce n’était effectivement qu’un rocher !!!

Sur le chemin du retour jusqu’au campement, toujours escortés par notre militaire armé, nous tentons de retrouver notre calme après toutes ces émotions fortes.
Philéas, lui, nous nargue en nous rabâchant que cette petite toilette, même superficielle, lui a fait un bien fou, et que nous aurions dû faire pareil !!! Mais en marchant, il est bien obligé de reconnaître qu’il ne sent pas vraiment la savonnette mais plutôt la vase….

Arrivés au camp, la tension est un peu retombée.
Nous finissons d’installer nos tentes et de préparer tout ce dont nous aurons besoin pour la nuit. Il faut répartir les affaires.
Estelle veut absolument dormir avec son père. Mais après la scène au bord de la rivière, Philéas la prévient immédiatement :
<< Je t’avertis ! T’as pas intérêt à broncher, sinon je te sors de la tente et tu dors dehors avec les bestioles ! >>
Argument imparable… Mieux vaut prévenir que guérir !!!
Anthony ne dit rien, il est content de dormir avec moi car il sait qu’il ne risque rien : je n’oserai jamais mettre une telle menace à exécution.

Avant que la nuit tombe, il ne nous reste plus qu’à aller faire un semblant de toilette à notre tour. D’abord lingette-party aux latrines à l’abri des regards. Puis nous allons à la pompe.  Anthony s’improvise shadock en chef pour nous remplir le bidon d’eau. Il a fallu qu’il pompe un petit moment avant que l’eau n’arrive.

 

 

Une bassine d’eau, une boîte de conserve, du savon liquide, des lingettes, et hop, on a fait comme on a pu !!! La couleur du jus qui coule en nous lavant les mains nous met en appétit…..

 

 

 

 

 

 

Et ça tombe bien, car c’est l’heure de manger.

Au menu du repas du soir : du pot-au-feu ! Plus insolite, ça paraît difficile… D’autant plus qu’il n’est pas mauvais du tout.

 

 

 

 

Des nattes sont installées par terre, à côté du feu de camp que les gardes ont allumé.

Le pique-nique est prévu à la lueur (et la chaleur) des flammes, de nos lampes frontales, de l’unique ampoule suspendue à la paillote, et …… de la petit télé qui trône sur une table.
Le peu d’électricité est produite par une paire de panneaux solaires en piteux état. La puissance n’est pas vraiment au rendez-vous. Tout juste de quoi allumer une ampoule de faible intensité, ou bien recharger de temps en temps la batterie du téléphone de secours, ou surtout avoir une ou deux heures de télé le soir.
La vie doit finir par être mortellement ennuyeuse ici…. plusieurs mois quasiment coupés du monde, avec pour seule compagnie les animaux sauvages…

Au programme télévisé ce soir : les infos sur l’unique chaîne captée dans cette zone isolée. Le côté décalé de la situation nous interpelle plus que ce qui est diffusé à la télé. Mais en tendant une oreille, on apprend qu’une tentative de coup d’État vient d’avoir lieu en Gambie voisine. Heureusement que l’itinéraire de notre périple ne prévoit pas de traverser ce minuscule pays encastré en plein milieu du Sénégal !!!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après ce repas singulier, opération « lavage de dents » avant d’aller rejoindre nos tentes.

Mais soudain, l’un des gardes repère un animal dans un arbre et nous appelle. Mon sang ne fait qu’un tour. Comme si on n’avait pas eu assez de poussées d’adrénaline aujourd’hui !
Il ne manquait plus que ça, juste avant d’aller se coucher… De quoi se mettre en condition optimale pour dormir sereinement !!!

Malgré tout, la curiosité est plus forte que la peur. Le safari-photo se poursuit dans l’enthousiasme général…
Nous approchons (presqu’)en silence de l’arbre en question.
En braquant une lampe vers ce que nous montre le garde, la magie opère instantanément : une magnifique genette nous observe tranquillement, allongée sur une grosse branche. Elle est de belle taille. Son pelage est très beau. Ses yeux rouges reflètent la lumière de nos frontales, c’est impressionnant dans cette nuit noire, mais nous sommes émerveillés.

Au bout de quelques instants d’observation et de commentaires à voix basse, je m’étonne qu’elle ne réagisse pas du tout à notre présence. Elle ne bronche pas, ne manifeste aucun signe d’agressivité en réponse à nos lumières qui l’éblouissent. Quand je fais remarquer qu’elle ne donne pas l’impression d’avoir peur de nous, l’un des gardes m’explique qu’elle est habituée à l’endroit puisqu’on a installé nos tentes sur son territoire, juste sous l’arbre où elle dort habituellement !!!
Je ne sais pas si cette information complémentaire est sensée me rassurer ou au contraire m’inquiéter encore un peu plus pour la nuit… Si l’on doit dormir au pied de son arbre, et qu’elle décide d’y retourner, ça veut dire qu’inévitablement, il va bien falloir qu’elle passe à côté de nos tentes pour pouvoir grimper au tronc !!! Je me crispe en imaginant la scène.

 

Pour chasser cette crainte des esprits, je (prends sur moi et) m’empresse de faire diversion en invitant nos aventuriers nocturnes à sortir leur planche d’animaux pour y entourer avec fierté la GENETTE. Car finalement, croiser cet animal-là pendant notre safari n’était même pas envisageable puisqu’il vit la nuit. Voir un carnivore le jour n’est déjà pas aisé, alors la nuit, autant dire que ça relève du miracle, bien qu’une trentaine de lions aient été identifiés sur le secteur.

Bien qu’Estelle et Anthony auront fait tout leur possible pour retarder l’échéance fatidique, nous irons nous coucher en nous répétant que, décidément, nous avons vraiment eu beaucoup de chance d’avoir vu autant d’animaux et d’oiseaux en une seule journée.

 

 
Mercredi 31 décembre 2014 :  Estelle n’a pas bronché d’un poil cette nuit !!! Comme par magie, la menace de son père a été extrêmement soporifique. Une fois calée dans son sac-à-viande, elle n’a plus osé bouger et a réussi à dormir sans trop de difficultés. Du coup, Philéas a pu bien dormir aussi, je l’ai même entendu ronfler comme un ours.
En revanche, pour moi, nuit quasiment blanche, chaotique et surtout dantesque !

– D’abord grâce à mon colocataire de tente qu’il a fallu gérer : Anthony-le-somnambule-en-perpétuel-mouvement !!! Une fois endormi, il a passé la première partie de la nuit à sortir de son sac de couchage et se déshabiller car il avait chaud, puis à se mettre en boule au milieu de la tente en grelottant parce qu’il avait froid. Tant bien que mal, dans cet espace étroit encombré de nos affaires, je me contorsionnais pour le rattraper, le rhabiller, le remette dans son sac-à-viande et lui caler la tête sur son coussin gonflable. Une fois la manœuvre réalisée, je me recouchais et essayais de prendre le sommeil.
Quand il a eu fini d’avoir trop chaud, son cirque du striptease a cessé. Mais c’était sans compter sur la boussole greffée dans le cerveau de mon fils… Tout le reste de la nuit, il a continué à gigoter dans tous les sens, emmailloté dans son sac de couchage tel une chrysalide dans son cocon. Il a réussi l’exploit de visiter les 4 coins de la tente comme s’il cherchait le Nord (ou La Mecque) ! J’avais beau le remettre droit pour qu’on puisse s’allonger tous les deux dans le même sens, il jouait à la girouette. Je ne m’en sortais pas, et je n’en pouvais plus.

– Ensuite à cause du vacarme qu’ont fait les animaux durant la nuit. Je savais que la genette n’était pas loin, mais je doutais que ça puisse être elle seule qui fasse autant de raffut. Le moment où j’ai le plus flippé a été quand j’ai entendu des cris de singes, des grognements agressifs de bête féroce (non identifiée sur l’instant) suivis de hurlements de détresse, beaucoup de bruit de chahuts dans des broussailles et puis finalement le silence après une lutte qui semblait acharnée. Tout paraissait s’être déroulé très près de nous, et pour rien au monde je ne me serais risquée à sortir de la tente pour voir ce qui se passait dehors !

Le lendemain matin, j’ai voulu en avoir le cœur net ; je n’avais pas rêvé tout de même…
<< – Quelqu’un a entendu la bagarre cette nuit ? C’était quoi ? 
– Toi aussi tu as entendu ? Tu dormais pas ? C’était une hyène qui a bouffé un bébé babouin tombé de l’arbre. Les autres singes du groupe n’ont rien pu faire pour le sauver. Ça s’est passé juste là, de l’autre côté du muret.
– Ah oui quand même…. une hyène…. c’est dangereux ça une hyène. Elle devait être affamée pour oser s’approcher aussi près d’un campement avec un feu !
– Oui, elle a repéré le singe et elle l’a croqué. >>.

Seul point commun à cette nuit mémorable : on s’est tous gelé, sans exception !!!! On ne sait pas quelle température il pouvait bien faire, mais quand on est sorti de la tente au petit matin, de la buée sortait de nos bouches en parlant. Les Gardes nous ont dit qu’il devait faire autour de 10°.

Malgré la fraîcheur ambiante, se réveiller aux premières lueurs du jour et regarder le soleil se lever est assez magique. Le calme règne (enfin) dans les environs, après cette nuit agitée. Seuls quelques oiseaux nous signalent leur présence de leurs doux chants matinaux. On distingue aussi les ablutions suivies des premiers « Allah Akbar » de la journée murmurés avec dévotion par nos quatre compagnons de camp, accroupis, chacun dans son coin, le front sur son tapis de prière. Je suis surprise qu’ils prient toujours isolés et non ensemble, mais je n’ose pas leur demander pourquoi.
Autre chose m’intrigue à chaque fois que c’est l’heure de la prière : comment font-ils pour savoir, en pleine brousse, vers où ils doivent prier ? Car, sans se concerter, ils sont invariablement dirigés vers la même direction. Bien sûr il y a le repère du soleil, mais quand il est au zénith par exemple ? J’ai quand même osé poser cette question-là qui me paraissait d’ordre plus général… En fait, c’est tout simple, il suffisait d’y penser : comme il n’y a pas de mosquées, chaque campement dispose d’un repère (une pierre sur une murette par exemple) pour indiquer la direction de La Mecque. Tout est très bien organisé pour les ouailles aventuriers…

Pendant ce temps, alors qu’on allait se débarbouiller à la pompe, un tout autre repère attire soudain nos yeux.

Un inquiétant trophée trône ostensiblement sur le passage !!!!

On n’avait pas fait attention la veille, et pourtant on ne peut pas le rater !
Nul doute que la bête a été tuée à l’endroit même où Philéas a fait son brin de toilette la veille… De quoi se rappeler, dès le saut du lit (enfin….. lit….. disons plutôt « matelas » de tente, inconfortable au possible….), que nous sommes en terre sauvage et potentiellement hostile !!! Pour ma part, avec l’ambiance nocturne assurée par la faune locale, je ne risquais pas de l’oublier !!!

♬ ♪ ♫ ♪♪ ♫ ♬ ♪ ♫ ♪♪ ♫ 
Saga Africa, 
Ambiance de la brousse, 
Saga Africa, 
Attention les secousses 
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Après avoir pris notre p’tit-déj’, où nous avons ressuscité le pain dur en le transformant en tartines grillées sur le feu de camp, il est temps de ranger les affaires, démonter et plier les tentes, charger le 4×4, remercier les Gardes pour leur accueil et leur dire au revoir.

 

 

 

Nous voilà repartis sur les pistes du Niokolo Koba pour reprendre notre safari-photos.
La végétation change au fur et à mesure qu’on avance. On traverse même une forêt de bambous, on ne s’attendait pas du tout à ça ici !

 

 

 

 

 

 

En revanche, pour ce dernier jour de l’année, nous avons beaucoup moins de chance que la veille. Nous voyons très peu d’animaux, même les plus courants dans le Parc.
Un dernier petit coucou aux antilopes, en évoquant le carnage de la hyène qui a zigouillé le babouin. Anthony a du mal à croire ce qui s’est passé cette nuit ; évidemment il n’a rien entendu, il était tellement occupé à se repérer dans l’espace !

 

Après quelques heures, nous ne voyons plus rien du tout. Nous en avons aussi un peu marre d’être secoués comme des pruniers sur les banquettes extérieures, on a mal partout. Nous décidons alors d’écourter le safari et de sortir du Parc pour poursuivre le reste du programme de notre aventure.

Nous n’aurons malheureusement pas eu le privilège de rencontrer les rarissimes éléphants. Il en resterait moins d’une dizaine, mais ça fait longtemps que personne ne les a aperçus. Et puis de toute façon, ils sont du côté du Mont Assirik dans le Parc. Il était prévu qu’on y aille, mais ça n’a pas été possible finalement, ce qui a beaucoup déçu Philéas qui n’a jamais réussi à y aller jusqu’à maintenant. On s’est approché le plus possible de la zone en espérant que la piste qui monte au Mont Assirik soit faite et praticable. Mais l’accès était fermé. Et puis de toute façon, quand la piste est ouverte, il faut un vrai gros 4×4 vraiment puissant pour traverser ce coin isolé du Niokolo. Avec notre véhicule, il était impossible d’y aller…

Nous n’aurons pas non plus croisé la crinière d’un des quelques lions qui vivent encore dans la zone. Pourtant la probabilité de se trouver nez-à-nez avec l’un d’entre eux est beaucoup plus élevée que pour les pachydermes…. mais pas au cœur du Parc paradoxalement ! A chaque fois que le lion est aperçu, c’est au lever ou au coucher du soleil, au beau milieu de la route qui mène à Kédougou !
D’ailleurs, Samba (notre chauffeur) nous racontera, lors de la seconde Grande Traversée du retour, qu’il a vu le lion quelques jours auparavant, juste sur cette route, en allant à Kédougou. C’était d’ailleurs la première fois de sa vie qu’il en voyait un. C’était en fin de journée, peu avant le coucher du soleil. Le lion était couché dans un grand nid de poule sur la route, provoquant un « embouteillage ». Samba a eu très très peur, personne n’a osé passer à côté, les voitures faisaient demi-tour.

Nous n’aurons pas vu non plus ni buffles, ni chimpanzés, ni lycaons par exemple, mais surtout nous n’aurons croisé AUCUN serpent ! OUF !!!

Néanmoins, nos petits explorateurs auront entouré beaucoup d’autres bestioles sur leurs planches d’images de la faune locale. Cette épreuve de leur « Iwol Express » est donc validée !

On ressort du Niokolo en fin de matinée et on récupère le bitume.

 

Sur la route qui nous mène vers Kédougou (à une centaine de kms de là), Philéas, Estelle et Anthony réussissent l’exploit de s’endormir assis à l’arrière du 4×4… Ils tombent comme des mouches, mais la tsé-tsé n’y est pour rien, elle a été éradiquée du Sénégal tout récemment.

On est simplement déjà crevé, et pourtant la journée est très loin d’être terminée, on nous attend à Iwol !!! L’épreuve de bravoure s’annonce…

Au fur et à mesure qu’on avance, le relief se fait plus présent dans les paysages.

 


En chemin, nous nous arrêtons au village de Mako pour faire la pause déjeuner.

Nous installons tout notre attirail de pique-nique au bord du fleuve Gambie où les femmes font leurs grandes lessives sur la rive en face.

 
Attention, tous aux abris, la FOGUES Family débarque !!!
 

 

 

 

 

 

 

 

Rien ne vaut une bonne partie de fou-rires en guise d’apéro pour redynamiser les troupes qui commencent à avoir un sérieux coup de mou après 10 jours d’aventures !!!
<< Anthony, voyons ! On ne met pas les pieds sur la table s’il-vous-plaît !!! On a beau avoir les mains (entre autre…) dégueulasses, ce n’est pas une raison… Allez, avant de se nourrir en plongeant nos doigts poisseux dans nos gamelles, enduisons-nous les paluches avec une nouvelle couche de gel antibactérien pour tuer les microbes de la crasse qui s’y accumule… Et puis évitons aussi de regarder l’état de nos ongles hein ? On ne va quand même pas se couper l’appétit, car il en faut…. Certes nos mains sont sales, mais elles sont désinfectées, c’est le plus important ! Allez, ààà taaable !!! >>

 

 

 

 

 

 

En observant les environs, nous sommes extrêmement surpris de voir garée sur la berge à côté de nous, une mobylette flambante neuve (comme on n’en voit jamais au Sénégal), avec une paire d’ados sapés comme des papes qui se la pètent un peu. Le décalage avec l’endroit (région la plus pauvre du pays, peu peuplée et éloignée de tout) est total !

Le village de Mako n’est pas que l’un des points d’accès au Parc du Niokolo Koba. Il est aussi (et surtout) situé à quelques kms à peine de mines d’or…
Ce coin du Sénégal Oriental est une exception car plutôt « riche » grâce à la présence des orpailleurs et de toutes les familles qui vivent des activités, directes ou indirectes, des chercheurs d’or. Du coup, la vie ici est nettement plus chère qu’ailleurs, et les disparités sociales sont beaucoup plus marquées.
Les tensions sont grandes aussi avec tous les trafics et les convoitises engendrés par la fièvre de l’or. De récents évènements tragiques (règlements de compte, violences entre exploitants de filons aurifères, etc) nous ont fait renoncer à envisager de faire une visite des mines pourtant typiques. Nous nous contenterons du récit de Philéas qui y est déjà allé à plusieurs reprises et qui nous a expliqué comment se déroule l’extraction artisanale harassante dans des conditions extrêmes (pour ne pas dire assez effroyables).

Mako est donc un lieu de passage et un point de chute pour les adeptes de la chasse, mais avec la désertion des touristes, ce n’est plus du tout ce que c’était. 
Nous le constatons en explorant un peu les alentours. Il y a un Campement touristique tout près de notre lieu de pique-nique. Il est à vendre. Sauf qu’il est à l’abandon et qu’il tombe en ruine, il ne reste plus grand chose. Tout est à reconstruire…

Quelqu’un est intéressé ???

 

 

 

 

 

 

 

Sous un soleil implacable et par une chaleur torride (l’amplitude thermique entre le jour et la nuit est grande et éprouvante), nous remballons tout et reprenons la route.

Notre prochaine halte : KEDOUGOU à une cinquantaine de kms de là.

C’est devenu la capitale locale, mais c’est surtout la dernière « grande » ville avant les frontières avec le MALI d’un côté et la GUINEE CONAKRY de l’autre.
Le trafic y est soutenu, surtout avec le nombre incalculable d’énormes camions en provenance du Mali, surchargés et croulant sous les tonnes de marchandises qui débordent de leur benne.

On s’y arrêtera pour acheter tout le ravitaillement alimentaire nécessaire à nos derniers jours d’aventure, y compris des blocs de glace, indispensables pour recharger nos grosses glaciaires qui ont fini par se transformer en piscine.

Je n’avais jamais mis les pieds à Kédougou. Pour moi, c’était juste un patelin perdu « au bout du bout du Sénégal », dont Philéas m’avait parlé à chaque fois qu’il y était venu.
Je ne m’attendais pas du tout à découvrir une ville aussi vivante, achalandée, avec une étonnante concentration de véhicules « neufs », avec des immeubles à étages, des bâtiments en dur, et des rues plutôt propres.
Il est flagrant que la présence de mines aurifères dans la région booste énormément l’économie locale. Les loyers sont aussi chers qu’à Dakar. En comparaison avec le reste du pays, le prix de la moindre chambre d’hôtel/campement est hors de prix. Rien qu’en nous réapprovisionnant, nous constatons que les prix des produits alimentaires de base sont nettement plus élevés qu’ailleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous avons pris un petit bain de foule au marché ; nous faisons l’attraction du jour car les toubabs ne courent pas les rues par là-bas. Mais nous ne sommes pas assaillis, mis à part dès qu’il y a des enfants, alors là, c’est toujours plus ou moins le cirque !!!

Voilà, nous avons fait le plein de tout ce dont nous avons besoin. Nous pouvons nous remettre en route.

Pour aller en direction d’Iwol, il faut quitter le bitume. A partir de là, il n’y aura plus que des pistes en latérite dans le meilleur des cas. C’est reparti pour encaisser les vibrations, être secoués, et bouffer de la terre et de la poussière par tous les trous !!!

 

Quelques kms après la sortie de la ville, nous distinguons à l’horizon les premières collines. Ce sont les derniers contreforts du Fouta Djalon, massif montagneux Guinéen appelé « Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest » notamment parce que beaucoup de fleuves et rivières y prennent leur source.

 

C’est au sommet de l’un de ces monts, à une grosse quinzaine de kms, que se niche le village d’IWOL, la « capitale » des Bédiks, une ethnie locale très minoritaire peuplant les cimes environnantes.

Nous nous approchons de notre objectif…
Et l’appréhension (grandissante) qu’Estelle et Anthony ont depuis le départ, à propos de la montée jusqu’à Iwol, a enfin été apaisée. Car cela fait plusieurs jours que je « négocie ferme » avec Philéas, le Guide et le chauffeur Spaghetti : nos petits aventuriers pourront difficilement faire l’ascension à pied. Ça va être trop dur pour eux, surtout pour Estelle avec sa dysplasie rotulienne diagnostiquée il y a quelques mois… J’insiste donc une dernière fois pour me faire confirmer qu’on monte en 4×4 : puisque maintenant on a fait tracer une piste d’accès, autant l’emprunter.
Spaghetti nous assure que le camion peut grimper jusqu’au village. Me voilà grandement soulagée !!! Mais je n’aurai pas dû…

 

 

 

 

 

 

Nous atteignons les collines. Je dois dire que découvrir pour la première fois ces paysages, si différents de ceux que je connais déjà par cœur, me dépaysent enfin un peu… et ce n’est pas pour me déplaire. Le Sénégal n’est donc pas qu’un vaste pays plat et sans relief !

Après une bonne demi-heure de piste, nous arrivons au village de PATASSY et sa caserne de militaires, au pied de la colline. C’est à partir de là que démarre la fameuse piste qui monte jusqu’à Iwol.
Il ne nous reste plus qu’à avaler environ 450 mètres de dénivelé sur 3 kms et notre dernière destination de l’année 2014 sera atteinte…

Il est aux alentours de 15h. C’est parti… Le 4×4 avance doucement mais sûrement, il vaut mieux ménager la monture si on veut arriver jusqu’au bout.

A ma grande surprise, le début de la piste est carrossable et peu pentu. Dans un excès d’optimisme (ou de naïveté ?), je me dis que ça peut même être une balade sympa et que finalement ça va être une formalité cette ascension…

 

 

Nous croisons des jeunes qui descendent d’Iwol, ils nous rejoignent pour nous accompagner. Philéas décide soudain de continuer à pied. Il a l’habitude lui ! Devant notre réaction, il nous explique que monter par la piste, c’est moins difficile que lorsqu’il monte par l’autre côté de la montagne, au départ du village de IBEL, par un « sentier » très escarpé où il faut savoir jouer les bouquetins.

Et bien soit ! Philéas descend du camion et se met en marche. Comme à chaque fois qu’il a gravi cette colline, il rythme sa progression par son petit rituel incantatoire destiné à ne pas crever grillé : << Esprit des Pierres, que le soleil se cache le temps de l’ascension. >>
Depuis la première fois où il est monté à Iwol sous un soleil de plomb, et où il a cru en mourir d’épuisement tellement l’épreuve était harassante, il a fini par croire à ces Esprits dont les Bédiks lui ont parlé une fois là-haut. Depuis cette première ascension, à chaque fois qu’il y est retourné, il a fait son incantation, et à chaque fois les nuages ont masqué le soleil. C’est peut-être le hasard, une simple coïncidence qui se répète invariablement, mais Philéas, lui, préfère y croire mordicus… Devant l’épreuve physique, chacun trouve son courage et la force d’avancer comme il veut(peut).

Nous, le courage et la force, nous les avons trouvés en restant fièrement sur les banquettes à l’arrière du 4×4 ! Allez Spaghetti redémarre…

Petit à petit, le ciel se voile de plus en plus  (véridique ! ), les nuages nous protègent du soleil de plomb et offrent ainsi un peu de répit à nos organismes déjà soumis à rude épreuve.

Au bout d’un moment, la structure de la piste commence à changer : ce n’est plus la même couleur de terre, plus on avance et plus il y a de roches au sol, la pente se fait beaucoup plus perceptible. On est de plus en plus secoués ; on doit se tenir fermement aux barres extérieures, mais malgré ça, on a de plus en plus de mal à maîtriser les bonds qu’on fait sur les banquettes. Mon dos crie au secours pendant cette séance de trampoline : une visite chez mon ostéopathe dès notre retour s’avère indispensable !!!
Estelle pousse des cris à chaque secousse. Anthony se croit de nouveau dans un jeu vidéo, il est tellement mort de rire qu’il lâche la barre à laquelle il s’accroche. Il faut que je le rattrape au vol pour éviter in-extremis qu’il ne soit éjecté du camion !

Au bruit poussif du moteur et à la perte progressive de vitesse, on comprend qu’on n’est plus les seuls à subir : le 4×4 semble sérieusement souffrir aussi… Mais après un virage, Spaghetti met soudain les gaz pour prendre de l’élan juste avant la première vraie côte parsemée de rochers et de trous.
A l’arrière, on se croirait en plein rallye du Dakar ! C’est de la folie furieuse, on est tellement balloté dans tous les sens qu’on se cogne de partout, et je commence à avoir peur qu’on finisse par se blesser bêtement pour de bon. Sans compter que je crains pour tout notre chargement de bourricot : pourvu qu’il soit bien attaché et que nos affaires ne se retrouvent pas dans le décor ou au fond d’un ravin !

Le 4×4 attaque péniblement le début de la pente, moteur à fond, puis il se met à zigzaguer de l’arrière avant de se planter net dans un trou au bout de quelques mètres. L’arrêt soudain projette Anthony contre la cabine du camion.

 

J’en arrive à me poser des questions sur la puissance du moteur, je doute même que le camion ait quatre roues motrices… De toute façon, les quatre pneus sont presque aussi lisses qu’une chambre à air, on ne risque pas d’adhérer à quoi que ce soit sur la route… J’en viens sérieusement à me demander si on va pouvoir la grimper cette piste !
Mais Spaghetti ne se démonte absolument pas. Imperturbable, fier et sûr de lui, il passe la marche arrière pour s’extraire du trou, puis recule jusqu’en bas de la côte. Sans se poser plus de questions sur la capacité réelle du véhicule, il repasse la première et remet les gaz à fond, roule aussi vite que possible, le moteur hurle. On attaque la côte. A cet endroit, le sol est complètement meuble : la piste n’est faite que de terre battue non compacte et de graviers, donc rien qui permette aux pneus d’adhérer…. si on avait eu des pneus en bon état ! Derrière, on fait presque drapeau au vent ; on s’agrippe comme on peut, à ce qu’on peut, en serrant les fesses et les dents (on ne peut pas croiser les doigts pour forcer notre chance, ils sont tétanisés autour des barres ou des sièges). Le camion dérape et zigzague de nouveau dangereusement avant de lamentablement s’échouer dans un vestige d’ornière. Nous encaissons le choc.

Tout bien réfléchi, avant que nos corps ne se transforment en hématome géant, je préfère finalement qu’on descende du 4×4, au moins le temps de la manœuvre pour passer cet obstacle…
Après avoir récupéré nos bouteilles d’eau, on grimpe sur les rochers en bord de piste, histoire de se mettre en sécurité. Mais je ne suis pas du tout tranquille pour autant, car je sais par ailleurs qu’ici c’est le royaume du mamba noir, un serpent redoutable (et accessoirement mortel…) qui se cache de préférence sous les cailloux. Et les cailloux, ce n’est pas ce qu’il manque sur cette montagne !!! Ce n’est pas pour rien que les Bédiks vivant ici sont surnommés « Le Peuple des pierres » !

Des jeunes déboulent en nombre d’en haut de la piste, accompagnés de Jean-Baptiste (le représentant du Chef du village d’Iwol) qui a été averti que nous étions là, et qui est descendu nous rejoindre à son tour pour nous accueillir.
Les présentations faites, nous retournons sur notre rocher d’observation. Je suis en état d’alerte maximale, je n’ai pas assez de mes deux yeux pour surveiller autour de nous.


Jean-Baptiste et tous les jeunes décident de pousser le 4×4 pour le faire sortir du trou. Leurs efforts répétés sont vains. A chaque nouvelle poussée, on tremble car le recul du camion est brutal, certains trébuchent, d’autres en perdent leurs tongs ou leurs sandales de plage en plastique. C’est un miracle si personne ne s’est fait écraser !!!

 

 

Le temps passe et le 4×4 n’a toujours pas avancé d’un centimètre. On n’a pas parcouru un dixième de la piste. On n’est pas rendu !!!! Et dans quelques heures le soleil va se coucher…

En attendant, heureusement que le ciel est à présent complètement voilé, on a chaud mais au moins on ne crame pas en plein cagnard (merci Philéas pour tes prières, elles ont été exhaussées…).
<< Dis donc Esprit des Pierres, puisque je constate que tu es là à nous observer, tu pourrais pas un peu intervenir pour faciliter et abréger notre ascension ? C’est pas que la situation est critique ou désespérée, mais ça va finir par être pénible à force !!! >>

Les jeunes s’affairent à ramasser des caillasses pour combler les ornières desséchées, et ainsi bloquer les roues arrières et éviter le recul brutal systématique qui suit chaque nouvel essai de démarrage en côte.
Une seule roue est piégée dans un trou, et je ne comprends pas pourquoi le 4×4 ne parvient pas à passer.


Spaghetti manifeste quelques petits signes d’énervement, mais comme il est un peu orgueilleux, il refuse de s’avouer vaincu.
Il finit par éteindre le moteur et sortir du camion.
Manifestement, un truc ne fonctionne pas avec le boitier de vitesse des quatre roues motrices. Il prend des risques inconsidérés à ramper sous le camion pour « basculer manuellement en mode 4×4 » ?!?!?! Je n’y comprends absolument rien en mécanique, mais il m’avait bien semblé que ce 4×4 ne roulait pas en tant que tel jusqu’à maintenant. Je ne savais pas qu’on devait(pouvait) enclencher manuellement des roues motrices ?!?!?! A moins que ce ne soit le 4×4 qui soit une épave et que le double boitier de vitesse de la cabine ne puisse plus « commuter et s’enclencher ».
Le traficotage au niveau de chaque essieu dure, dure, dure…

Pendant ce temps, Anthony se met à saigner du nez à côté de moi. Il commençait à s’ennuyer… voilà de quoi l’occuper, et moi avec !

Les gosses, qui nous observent comme des bêtes curieuses depuis notre débarquement, profitent de ce petit incident pour s’approcher du rocher sur lequel on prend racine. Ils s’agglutinent autour de nous pour voir de plus près ce qui nous arrive.
On se sent scrutés, encerclés, comme pris au piège et cette situation commence légèrement à me gonfler.

Anthony pisse le sang, et malgré tout le nécessaire qu’on se trimballe toujours sur nous pour pareil cas, on n’arrive pas à stopper l’hémorragie. Le caillot ne prend pas assez, et à chaque fois qu’on pense que c’est bon, ça se remet à saigner de plus belle, puis soudain carrément des deux narines ! On ne s’en sort plus. Il faut dire qu’il fait très chaud et que la chaleur aggrave toujours les choses.

<< Esprit des Pierres, t’es plus là si ? Non parce que c’est plus possible cette chaleur. Merci infiniment d’avoir voilé le soleil, mais tu n’aurais pas aussi une option « chaleur moins intense » ??? >>

Comme si ça ne suffisait pas, Estelle se met à saigner abondamment du nez à son tour ! Je ne sais plus où donner de la tête…
C’est le moment gore d’Iwol Express, il n’était pas du tout prévu celui-là !!!
Jean-Baptiste s’inquiète de voir les enfants dans cet état, je dois le rassurer tant bien que mal. Car au fond, ce n’est pas bien grave tout ça (on a l’habitude de ce genre de petits ateliers « hémorragies Party » dans la Fogues Family), mais curieusement ça semble beaucoup impressionner aussi les gosses car ils écarquillent les yeux et ouvrent grand la bouche. Il ne faudrait quand même pas qu’ils s’imaginent qu’Estelle et Anthony ont chopé Ebola ! Leurs commentaires vont bon train en nous montrant du doigt et en nous regardant fixement. Mais comme ils ne parlent pas français, on ne comprend rien, on devine juste que c’est de nous qu’ils parlent.

Pour tenter de faire retomber la pression (au sens propre comme au sens figuré) et aussi couper court à toute l’agitation autour du spectacle vivant qu’on donne bien malgré nous, je descends de mon rocher, avec tous mes kleenex sanguinolents dans les mains, et demande discrètement à Estelle et Anthony de me suivre comme si de rien n’était. On avance plus loin sur la piste, histoire de s’isoler un peu plus haut dans un virage.
Par chance, la meute de curieux ne nous suit pas, Jean-Baptiste leur ordonnant de rester avec lui pour aider au dépannage.

Une fois à l’écart et à l’abri des regards, je m’assure que le bord de piste n’est pas déjà occupé par des bêtes indésirables… On tape lourdement les pieds sur le sol histoire de faire fuir tout reptile qui se cacherait sous un caillou ! Vu de loin, j’imagine que cette scène doit paraître étrange car certains des gosses tendent le cou pour voir où on est parti et ce qu’on peut bien trafiquer à lever ainsi les genoux en rythme.

A partir de là, j’aurais aimé pouvoir être Shiva l’espace d’un moment. Car je n’ai pas assez de bras et de mains : coincer les bouteilles d’eau sous chaque aisselle, attraper dans mon sac (qui est sur mon dos) un paquet de kleenex et la petite trousse de soin dans laquelle je pioche du coton du bout de mes doigts sales et le tube de pommade HEC, tube qu’il me faut évidemment ouvrir (sans faire tomber le bouchon par terre) pour pouvoir mettre un peu de pommade (sans la toucher pour éviter toute contamination) sur le coton (qui n’est plus aseptisé puisque mes doigts l’ont touché), coton qui ira dans chaque narine qui fuite, narine qui est déjà bouchée par un précédent coton (imbibé de sang jusqu’à saturation) qu’il me faut donc enlever et garder pour ne pas le jeter par terre ! La manœuvre est à reproduire trois fois d’affilée puisque trois narines se vident de leur sang en même temps.
Mon stock de kleenex s’amenuise au même rythme que mon énergie. Et pour couronner le tout, les estomacs de mes loustics crient famine, l’heure du goûter étant largement dépassée. Dans notre réserve alimentaire de secours, il ne reste plus que trois pâtes de fruit et de l’eau… Il va donc falloir s’en contenter jusqu’à nouvel ordre car on ne sait pas quand (ni quoi) on va pouvoir manger ce soir…

Scrutant en silence la magnifique vue panoramique qui s’offre à nous, je tente de contenir mon ras-le-bol.

<< Esprit des Pierres, à tout hasard, t’aurais pas un peu de motivation à m’insuffler, histoire que je puisse résister encore ? >>

Mais j’ai beau chercher un côté positif à ce qui se passe, je n’arrive plus à voir d’issue favorable à cette situation qui s’éternise.
Le 4×4 a réussi à avancer mais s’est planté à peine quelques mètres plus loin dans un autre trou qui semble encore plus infranchissable.
La fin de la journée s’annonce, et je n’ai aucune envie de passer la nuit sur la piste !
Je redescends vers le 4×4 et Philéas pour voir ce qu’on fait. Jean-Baptiste nous explique que les jeunes et lui vont décharger le 4×4 et nous porter toutes nos affaires jusqu’au village.

Il faut bien se rendre à l’évidence : ce dernier jour de l’année 2014 (dont on se souviendra à jamais) vire au cauchemar.
On va devoir monter à pied jusqu’à Iwol !
Alors autant que ce ne soit pas « by night » à la seule lumière des lampes frontales.
Il faut donc y aller maintenant car il est 18h, la tombée du jour est amorcée, et le village est à une petite heure de marche…

On n’échappera pas à l’épreuve de bravoure dans cette aventure.
 
Cette seule évocation met Estelle dans une colère noire ! C’en est trop pour elle.
Anthony, qui a beaucoup de mal à respirer avec ses deux narines obstruées, me fusille du regard, avant de prendre un air désespéré tel un condamné allant sur le bûcher en suppliant qu’on le gracie.

On est passé à deux doigts d’un « parenticide »….

De rage, Estelle s’enfourne un nouveau coton dans le nez, me prend des mains le dernier kleenex de l’avant-dernier paquet, arrache sa bouteille d’eau de dessous mon bras, avale sa pâte de fruit, met son sac sur le dos, et se met en marche toute seule, les mâchoires serrées…

Comprenant qu’il y a de l’électricité dans l’air, Jean-Baptiste attrape un de nos gros sacs à dos, et court derrière elle pour la rattraper et lui ouvrir le chemin. Depuis qu’il nous a rejoints, il ne fait que monter et descendre en trottinant et il n’est même pas essoufflé, alors que nous, au bout d’à peine 10 mètres de côte, nous n’en pouvons déjà plus !

Par endroit, la nature a repris ses droits : la piste est envahie par les herbes folles, les habitants ne l’ont pas défrichée après la saison des pluies. Et comme aucun véhicule ne passe par là, il n’y a plus aucun tracé sur la piste, il ne reste plus qu’un mince sentier pédestre. Sur certains tronçons de la piste, l’invasion des mauvaises herbes a été jugulée par des brulis. C’est tellement aride, et la végétation est tellement sèche, qu’on se demande comment toute la montagne n’est pas partie en fumée avec cette méthode ancestrale.

Chacun grimpe à son rythme. Le plus important est qu’on arrive tous en vie jusqu’à destination !

<< Esprit des Pierres, c’est encore loin Iwol ? >> 

Devant nous, Estelle cavale comme un mouflon : c’est fou comme la rage peut anesthésier ses douleurs au genou et transformer un diesel en turbo ! Elle ne daigne même pas se retourner quand on l’appelle, ni s’arrêter quand on lui demande de nous attendre.

Pour Anthony et moi, c’est beaucoup plus laborieux. Mais on résiste et on s’accroche comme on peut. De toute façon, on n’a pas vraiment le choix.

La nécessité des changements de coton dans les nasaux nous donnent une parfaite excuse pour faire une petite pause et reprendre notre souffle.
Avec le ventre vide, on manque de carburant. Moi j’ai de grosses réserves corporelles, c’est l’occasion rêvée de forcer mon corps à y puiser dedans. Mais Anthony, qui n’a pas beaucoup de chair autour des os, ne doit compter que sur l’énergie apportée par la dernière pâte de fruit ingurgitée. En plus, il meurt de chaud avec tous ces efforts, la déshydratation lui pend au nez.
Comme dirait sa sœur << il est au bout de sa vie… >>.

Pendant tout le trek, à chaque nouvelle côte gravie, je repense à la foreuse qui a été tractée par le bulldozer en passant par là. Je suis à la fois perplexe et encore plus impressionnée.
Les photos prises ne reflètent pas vraiment la réalité du pourcentage de certaines pentes (je n’ai pas pu toutes les photographier).

Philéas a d’ailleurs voulu en avoir le cœur net. A notre retour en France, il a trouvé et téléchargé sur son téléphone une appli de calcul de % de dénivelé. En mai 2015, quand il est retourné à Iwol, il a mesuré les passages les plus pentus. Résultat : certaines côtes dépassent les 25%… Une paille !

Paradoxalement, après avoir désormais parcouru cette fameuse piste par moi-même, j’ai encore plus de mal à croire qu’un convoi de plus de 30 tonnes ait réussi cet exploit ! Et pourtant, c’est une réalité…. bien qu’il ait fallu 7 jours !

Heureusement, il n’aura pas fallu autant de temps à notre petit convoi de globe-trotters estropiés.
Nous mettrons trois quarts d’heure pour atteindre le plateau au sommet de la colline peu avant 19h.

 

Le soleil, qui se couche à l’horizon à ce moment-là, fait encore plus ressortir les couleurs ocre. Le contraste est saisissant. Je trouve ce paysage irréel et magnifique.
C’est ma petite récompense au bout du chemin…

 

Bienvenue à IWOL

 

 

Le temps est comme suspendu. Je sais pourtant pertinemment que la notion de temps est radicalement différente en Afrique. Mais chose très bizarre, c’est encore plus vrai ici, comme si on entrait dans une faille spatio-temporelle égrainant les heures sur un autre rythme. Le temps s’écoule lentement, mais en même temps on se sent happé et parfois débordé par les évènements, aussi minimes soient-ils. C’est difficilement explicable avec des mots.
Le mieux à faire pour s’adapter, c’est de lâcher prise…

Il se trouve que les saignements de nez ont cessé. Tout le monde en est grandement soulagé. Nous sommes surtout épuisés, lessivés, chaos, et de plus en plus couverts de poussière et de terre, carrément panés de la tête aux pieds. Je ne rêve que d’une chose : une vraie douche. Mais ça ne va pas être possible ce soir non plus…
Estelle a tellement tout donné durant ce trek qu’elle est toute rougeaude : ça tranche radicalement avec son teint diaphane habituel.
Anthony est vraiment « au bout de sa vie » pour le coup. Il a du mal à reprendre son souffle, il tient à peine debout, il n’en peut plus.
Philéas est crevé aussi, mais, fidèle à lui-même en SénéGaulois invétéré, il est avant tout content qu’on soit ici tous les quatre ensemble.

Quant au 4×4, il est toujours planté en bas de la piste. Aux dernières nouvelles, il n’a pas avancé plus. Il est carrément coincé car il ne peut même pas faire demi-tour : pas la place sur la piste, et puis on apprend qu’il y a un problème de frein moteur H.S. ?!?!? C’est rassurant pour la descente quand on repartira…

Nos gros sacs à dos n’ont pas tous suivis, mais Jean-Baptiste nous assure qu’ils seront montés ce soir au plus tard. Sauf que dans ceux restés en bas, il y a quelques affaires de premières nécessités qu’on aurait bien aimé avoir.

Mais ce n’est pas grave. En attendant, avant qu’il ne fasse nuit noire, nous découvrons Iwol, petit village typique et authentique de quelques 600 âmes (difficile de croire qu’autant de familles vivent ici).

La première chose que nous nous empressons d’aller voir, c’est évidemment le forage et la pompe en bas du village ! Nous constatons avec soulagement qu’après sept mois d’utilisation raisonnée, tout fonctionne parfaitement bien, et tous les villageois sont plus que ravis.
Nous remarquons aussi qu’une flopée de gamins chahute gaiement autour de la pompe, ils tirent de l’eau pour s’en asperger. Les femmes venues remplir leurs bassines regardent la scène, impuissantes. Jean-Baptiste se met alors à leur crier dessus et les fait fuir en fouettant l’air avec une branche ramassée par terre. J’entends Estelle derrière moi qui chuchote à son frère << Oh putain, ça va chier ! >>. Les gosses détalent comme des lapins…. mais reviennent aussitôt le dos tourné.
Jean-Baptiste nous explique que les enfants ont beaucoup de mal à réfréner leur enthousiasme, et paradoxalement c’est compliqué de leur faire comprendre que la pompe n’est pas une aire de jeux aquatiques.
Pour limiter du mieux qu’il peut les gaspillages, il a dû instaurer des heures d’utilisation durant la journée. Le soir venu, il verrouille l’accès au moyen d’une ancienne chaîne de mobylette enroulée autour de la pompe et fermée par un cadenas tout rouillé. Système D, quand tu nous tiens…

Jean-Baptiste ferme la pompe pour aujourd’hui, puis nous invite à le suivre jusqu’à chez lui. Nous remontons péniblement en haut du village (nos jambes crient au secours, nos estomacs crient toujours famine).
Iwol est construit sur les pentes du sommet de la colline. Plus tu habites sur les « hauteurs » et plus tu te situes en haut de « l’échelle sociale » Bédik. La notion de « caste » n’existe pas à proprement parler, ceci dit chacun semble se tenir à son rang et respecter les protocoles…

Nous progressons prudemment en slalomant entre les cases rondes au mur de terre et au toit de chaume. Nous saluons d’un  << Améké >> (« bonjour » en dialecte local) les habitants que nous croisons, ou au milieu de chez qui nous passons en enjambant les gamelles posées au sol.

Jean-Baptiste nous alerte sur la dangerosité des toitures : les bambous des charpentes dépassent et les pointes sont acérées, il faut être très vigilant pour ne pas se crever un œil. Il n’a pas le temps de finir sa phrase d’avertissement qu’Estelle et Anthony crient << aïe ! >> : trop tard, ils ont manqué se scalper au passage ! Effectivement, il faut faire extrêmement attention…

Il nous indique comment repérer sa case pour la retrouver et y retourner sans lui : elle est à côté du très grand rônier, pas celui à côté l’église, mais l’autre. D’accord, oui…. mais non ! J’interpelle Philéas…
<< Tu parles d’un repère toi, toutes les cases se ressemblent et les rôniers aussi ! En plus, de nuit, comment veux-tu y voir quelque chose ? Ton Esprit des Pierres, il a la fonction GPS aussi ? Non, non, c’est bon ! La journée a été assez longue comme ça, le mieux est qu’on reste près de là où on va camper, comme ça on ne risque pas de se perdre… >>
Sauf que j’ai oublié l’espace d’un instant que la journée est loin d’être terminée. La grande fête organisée en notre honneur est pour ce soir. Notre réveillon du jour de l’An s’annonce très singulier.

Nous arrivons chez Jean-Baptiste. Nous sommes chaleureusement accueillis par son épouse Adèle et d’autres membres de sa famille. Il y a aussi Djienaba, la « doyenne-mascotte » que je trouve très amaigrie par rapport à toutes les photos que j’ai vues d’elle (on apprendra plus tard qu’elle se remet difficilement de son dernier palu). Elle est très contente de faire notre connaissance, mais comme elle ne parle pas français, Jean-Baptiste nous fait l’interprète.

La discussion tourne rapidement court car un besoin naturel impérieux et irrépressible de pipi se fait sentir. Jean-Baptiste nous guide alors jusqu’au coin « sanitaires » où nous sommes affectés pendant notre séjour.

Alors là….. euuh…. comment dire ?….. ou plutôt décrire l’endroit ?…. Déjà, c’est extrêmement dépaysant !!!

Voici une photo pour visualiser ce genre de lieu à Iwol. Bucolique non ? Bon, là, ce n’est pas exactement celui où on devait aller car j’ai carrément oublié de prendre en photo le « nôtre ». J’y ai juste filmé la rencontre mémorable qu’on y a faite, pour en garder une preuve…

Première surprise (plutôt agréable) : paradoxalement, il n’y a pas l’odeur pestilentielle qu’on s’attend à trouver dans pareil endroit « public ». Et c’est même plutôt « clean » (tout étant relatif bien sûr).

Deuxième surprise (qui soulage) : étonnamment, aucun nuage de grosses moucham’ vertes et luisantes n’accueille le visiteur « en détresse ». A l’arrivée, il n’y a d’ailleurs pas de mouches du tout. Bon, une fois qu’on en repart, c’est une autre histoire…

Troisième surprise (quelque peu déroutante) : c’est on-ne-peut-plus aéré ! Il ne faut donc pas être trop pudique car il va falloir se donner en spectacle en plein air, « caché » (une fois accroupi !) derrière un paravent d’osier (d’environ 1 mètre 20 de hauteur seulement), si l’entrée dispose d’une « porte » tressée amovible… Le hic, c’est que « notre » coin po-po n’en avait pas, donc il fallait s’attendre à devoir saluer, le cul à l’air et dans une position gênante, chaque passant d’un chaleureux et enjoué << Améké >> comme si de rien n’était…
<<  Esprit des Pierres……….améké-skejefoulà ??? >> 

Quatrième surprise (un brin déstabilisante, au sens propre comme au sens figuré) : évidemment, il n’y a pas de cuvette, seulement une « dalle » avec un trou au milieu recouvert d’une grosse pierre plate. Il faut donc faire ça « à la turque », mais on commence à avoir l’habitude. La première étape est cornélienne : choisir par quoi on veut commencer…. Par devant ou par derrière ? Oui, un choix s’impose car étant donné la taille du trou (à peine un dizaine de centimètres de diamètre), on ne peut pas faire les deux en même temps… Suivant le besoin à soulager, la position acrobatique à adopter ne sera pas tout-à-fait la même pour viser et éviter du mieux possible d’en mettre partout !!! Une fois la décision prise, il faut passer à l’action :

– pousser courageusement du bout du pied la grosse pierre (le spectacle qui s’offre à nous est évoqué ensuite…),
– remonter les bas du pantalon puis baisser le haut sans le lâcher, afin d’éviter autant que possible qu’il ne traîne sur la chape et ne s’imprègne des traces du passage des précédents visiteurs (ce n’est pas vraiment le genre de souvenirs qu’on a envie de ramener),
– se dérouiller les genoux (qui n’en peuvent plus après l’ascension),
– s’accroupir
– tester la visée de la cible et enfin se soulager…. sans pousser un cri d’horreur en réalisant ce qui se produit sous nos fesses à ce moment-là !!! (fuir est impossible vue la position précaire d’équilibriste dans laquelle on se trouve… toute tentative reviendrait à trébucher, entravé par le pantalon, et tomber comme une merde… ceci dit, le lieu est approprié !)
– (et lors de la première visite du lieu) s’apercevoir qu’il n’y a évidemment pas de papier cul et sombrer en mode « désespérance » parce qu’on n’a pas pu faire suivre de kleenex puisqu’on n’en a plus sur soi (à cause des saignements de nez) et que le stock de réserve est dans les sacs à dos qui sont restés dans le 4×4, toujours coincé sur la piste…

Dernière surprise (et pas des moindres…. âmes sensibles s’abstenir) : mais que va-t-on découvrir sous la grosse pierre plate posée sur le trou ? D’abord, en la poussant, on libère quelques magnifiques spécimens de mouches (je me disais aussi, c’est pas normal…). Ensuite, logiquement on découvre un trou…. Oui, il y a bien un trou au-dessus d’une grande fosse creusée jusqu’à hauteur d’homme. Où est le problème ? me direz-vous. En réalité, il n’y a pas de problème, c’est juste que « notre » fosse était pleine jusqu’à environ une vingtaine de centimètres du trou. Le spectacle qui s’offre à nous est super appétissant : un bouillon épais noirâtre dont la surface semble étrangement frémir… Il faut se faire violence pour  parvenir à faire abstraction du dégoût qui nous prend alors en découvrant ça. Mais l’horreur survient lorsque nos déchets organiques atterrissent dans la soupe ! On se rend alors compte que ce bouillon de culture (dont la moindre éclaboussure sur une partie du corps provoquerait une septicémie) est « vivant » : le léger frémissement détecté au départ de l’action devient un bouillonnement crépitant laissant découvrir une colonie de milliers d’asticots affamés remontant à la surface……… On pourrait presque les entendre crier << à table !!! >>….
La première fois, on n’a pas vraiment compris ce que c’était car il faisait trop sombre. Mais le lendemain matin, quand on y est retourné, une fois la stupéfaction passée, je me suis empressée de filmer ça pour garder une preuve en images.

 

Moralité : les asticots, c’est écolo !!!
Anthony s’est beaucoup amusé à pisser dans le trou pour faire remonter à la surface toute cette faune grouillante…

A côté du marigot aux asticots, on constate qu’il y a un autre coin « sanitaires » similaire, mais celui-là est dédié à la toilette. Il y a un seau rempli d’eau avec une grosse timbale en plastique flottant à la surface. Il y a aussi des trousses de toilette et des serviettes posées, ce qui me surprend car on n’a pas croisé un touriste. La natte d’osier encerclant le lieu est un peu plus haute, mais pas assez pour se laver en toute intimité… Sans compter qu’il n’y a pas non plus de « porte » amovible. Donc pour moi, malgré le manque d’hygiène qui commence à me peser, envisager de « prendre une douche » là n’est même pas envisageable, je n’ai toujours aucune envie de m’afficher dans le plus simple appareil !!! Tant pis, ce sera de nouveau lingettes-party…

De retour de notre virée enivrante au petit coin, Jean-Baptiste nous invite à nous assoir sur des lits de brousse installés à l’extérieur, juste devant une case, non pas ronde et en terre comme presque toutes les autres, mais « en dur », de forme rectangulaire. Accroché sur le mur dehors, entre les tôles faisant office de porte d’entrée aux deux pièces, il y a une image encadrée de Jésus Christ, histoire de ne pas oublier qu’ici la religion catholique a été apportée par des Missionnaires et adoptée par les populations locales animistes.

Estelle et Anthony ne se font pas prier pour s’effondrer de fatigue sur l’un des lits de brousse. J’en profite aussi pour m’assoir à côté d’eux.
Pendant ce temps, j’observe scrupuleusement tout ce qui se passe autour de nous. C’est l’agitation avec les préparatifs de la fête. Rien n’a l’air très organisé, et pourtant tout semble se faire malgré ce joyeux bordel.

Soudain, une toubab sort de la case devant laquelle on est affalé, puis c’est au tour d’un toubab de sortir de l’autre pièce. Ils nous saluent, manifestement aussi étonnés que moi (je comprends mieux les deux trousses de toilette). Ce sont deux étudiants français qui ont profité d’un voyage dans la région pour monter faire une escale jusqu’à Iwol. Jean-Baptiste fait « chambres d’hôtes » pour les voyageurs itinérants.

Puis réapparaît Djienaba accompagnée d’un groupe de femmes. Elles sont chargées comme des bourriques, encombrées de bassines et de gamelles en tout genre. Elles posent tout par terre puis installent un « banc » au milieu. Les deux toubabs se rapprochent et viennent s’y assoir.
Un troisième toubab débarque d’on-ne-sait-où et rejoint, l’air un peu paumé, les deux autres qu’il ne connaît pas. Je n’aurais jamais pensé rencontrer autant de blancs ici le soir du jour de l’An !!! Ce troisième lascar est encore plus jeune, il voyage seul et en vélo. Philéas hallucine, moi j’ai du mal à ne pas éclater de rire lorsqu’il nous raconte son périple. Il est la caricature du jeune baroudeur complètement naïf se lançant dans un trip totalement improvisé ! Il ne se doutait absolument pas que c’est impossible de venir jusqu’à Iwol en vélo. Il en a loué un à Kedougou (à plus de quinze kms, je le rappelle), et il est parti sur la route confiant, croyant que ce n’était pas loin. Mais il a rapidement déchanté quand il a compris qu’il allait en chier. Il a bouffé de la terre par tous les trous, manquant de se faire écrabouiller à plusieurs reprises par les véhicules sur la grande piste en latérite. Arrivé en bas de la colline d’Iwol, il a dû se rendre à l’évidence : il doit laisser le vélo au village et monter à pied de nuit. Et il nous explique avoir croisé un espèce de pick-up pour safari en difficulté poussé par un tas de gosses… << Oui oui, c’est le « nôtre »…. >>.

Jean-Baptiste court partout avec ses grosses bottes en caoutchouc aux pieds. Il a une tente queshua dans chaque main et part les installer plus loin, ça m’intrigue. Je l’interpelle au passage pour lui demander des nouvelles du 4×4. Je reste sans voix quand il me dit que << tous les jeunes sont toujours en bas pour pousser et tirer le camion. >>.
Nos affaires sont donc toujours en bas aussi (avec les tentes et la bouffe), et on commence à avoir froid avec nos tee-shirts trempés de sueur. Envisager de descendre la piste (puis la remonter) pour aller récupérer nos vestes en polaire nous paraît physiquement surhumain, mais pour Jean-Baptiste, ce n’est absolument pas un problème. Il a beau avoir la soixantaine, il a l’habitude. Il se propose de partir nous les chercher… Je n’en reviens pas : le nombre de fois qu’il est descendu et remonté depuis qu’on est arrivé est à peine incroyable…. il est increvable !
Il nous rapportera nos quatre vestes (ainsi que nos gros sacs à dos) en beaucoup moins de temps qu’il nous a fallu pour faire un aller simple…

Il fait nuit noire maintenant, il ne faut pas avoir peur de l’obscurité. On reste assis sur les lits de brousse, tous ensemble. Je récupère au fond de mon petit sac nos lampes frontales et les distribue. Elles vont être indispensables pour pouvoir y voir quelque chose désormais…. Surtout ce que Djienaba nous apporte : d’un côté une bassine avec à peine un peu d’eau au fond et des particules non (encore) identifiées flottant à la surface, ainsi que quelques cuillères à soupe qui y trempent en vrac, et de l’autre côté un grand plat métallique au milieu duquel est posé un grand bol rempli d’un liquide brunâtre.
A la vue de ce qui nous est offert, Estelle, Anthony et moi nous décomposons. Heureusement qu’il fait nuit, personne ne fait vraiment attention à l’expression de nos visages. Philéas, lui, a compris depuis bien longtemps ce qu’on allait manger.
C’est l’heure de l’épreuve de dégustation dans notre Iwol Express !!!
On espérait (naïvement) y échapper. Mais à ce moment de l’action, le guide, le 4×4 et donc la bouffe, sont toujours plantés en bas du village sur la piste…

<< Esprit des Pierres, par pitié, que cette soirée ne soit pas un « Top Chef – le choc des papilles, le traumatisme des boyaux »…. >>

Au menu de notre inoubliable repas du réveillon du jour de l’An : fonio et sauce pâte d’arachide, un plat traditionnel de la région.
Le fonio est une céréale (l’une des rares sans gluten) à la base de l’alimentation ici, avec le mil. Le fonio a l’apparence de la graine de couscous.

 

Après nous être enduit les mains d’une énième couche de gel antibactérien (qui se superpose aux multiples couches de crème solaire étalées), nous trempons nos doigts poisseux (à la couleur de plus en plus suspecte) au fond de la bassine pour y pêcher une cuillère chacun. Elles sont comme couvertes d’un film graisseux, c’est bizarre. Mais c’est une aubaine qu’on nous en ait fourni, on n’aura pas besoin de manger avec les mains. Quand on voit la couleur de l’eau après…

Armés de nos cuillères, chacun se choisit un coin de la gamelle commune. L’opération suivante consiste à goûter, en très petite quantité et du bout des lèvres dans un premier temps, la graine nature. C’est mangeable, mais un curieux goût de terre me revient en bouche (j’ai découvert la raison une fois de retour à la maison, j’explique ça dans l’épilogue). Et puis c’est très sec, on risque l’étouffement par fausse route à chaque respiration. On tente alors de se verser un peu de sauce sur le fonio pour voir si c’est plus facile à avaler. Par chance, ce n’est pas pimenté. On accommodera donc la graine de ce jus bien gras facilitant la déglutition.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Comme nous sommes vraiment affamés, les appréhensions de nos chers petits aventuriers ne résistent pas longtemps.
Ce plat minimaliste, à première vue frugal, s’avère finalement bien bourratif. La sensation de satiété nous envahit rapidement, il faut dire qu’on sature vite avec la sauce bien huileuse à la cacahuète… On a l’impression d’avoir du plomb dans l’estomac, l’œsophage et le gosier bien lubrifiés, sans compter les renvois graisseux presque immédiats. La digestion s’annonce compliquée.
Nous sommes repus et déclarons forfait par K.O., pourtant notre plat est loin d’être terminé.
Djienaba revient alors vers nous, ramasse nos cuillères (encore plus grasses qu’au départ de l’action), les jettent dans la bassine pour les rincer (dans l’eau qui n’a pas été changée). Les restes de fonio se décollent et se mettent à flotter à la surface… C’était donc ça les particules en suspension !!! Elle récupère notre plat et l’apporte, avec la bassine, aux trois autres toubabs qui papotent sur le banc. C’est à leur tour de manger… Je comprends alors que les cuillères ont voyagé de bouche en bouche avant nous, et elles continuent leur voyage après… De quoi diversifier et améliorer encore un peu plus notre système immunitaire !!!

Les capacités de résistance d’Estelle et Anthony déclarent forfait à leur tour. Ils s’écroulent de fatigue sur les lits de brousse et s’endorment d’épuisement.

Alors qu’on ne les attendait plus, notre guide et notre chauffeur arrivent avec Jean-Baptiste : ça y est, le 4×4 a enfin réussi à boucler l’ascension ! HIP HIP HIP HOURRA !!! Il aura quand même fallu 3h30… Aucun blessé n’est à déplorer dans la cohorte de jeunes qui a tracté et poussé le camion, OUF.

<< MERCI Esprit des Pierres… >>

Voyant Estelle et Anthony dormir à poings fermés à côté de nous, notre guide nous explique qu’il se dépêche de tout installer et de nous préparer à manger.
<< Non non, surtout pas, merci ! Ne t’inquiète pas, Djienaba nous a déjà préparé le repas et ça nous suffit largement. On reporte ce qui était prévu ce soir à demain midi, il n’y a pas de problème. >>
Je me voyais mal remettre le couvert…

Au milieu de l’effervescence des allers et venues, Jean-Baptiste nous informe qu’il nous donne sa maison pour dormir tous les quatre cette nuit, pendant que sa famille et lui iront dormir dans les tentes queshua qu’il a sorties tout à l’heure. Je suis extrêmement gênée. Nous avons beau lui répéter que nous avons tout ce qu’il faut pour bivouaquer, il insiste beaucoup. C’est une question d’honneur, sa façon à lui de nous remercier pour tout ce que nous(tous ceux de l’association « De l’Eau pour Iwol ») avons fait pour le village.
Impossible de refuser…
Philéas et moi récupérons donc tous nos sacs et allons les déposer dans la case de Jean-Baptiste et Adèle. Notre guide en profite pour y stocker, par la même occasion, tout notre attirail et nos victuailles. On ne voit pas grand-chose, alors on pose les affaires par terre au milieu. Je scanne la pièce avec ma lampe frontale et je vois, contre le mur de chaque côté, deux lits de brousse recouverts de ce que je pensais être une sorte de mince matelas. En fait, il ne s’agit que d’un grand tissu posé sur le « sommier » fait de planchettes et rondins de bois. J’ai mal au dos rien qu’en les regardant, mais je suis tellement épuisée et j’ai tellement sommeil que si j’avais pu, je me serais couchée direct.

Sauf que ça ne va pas être possible… Jean-Baptiste nous informe que tout est prêt, on nous attend pour lancer les festivités.
Comme j’ai obtenu l’autorisation de photographier ce soir, je récupère mon appareil photo puis je retourne chercher Estelle et Anthony qui dorment tellement profondément que j’ai beaucoup de mal à les réveiller. Les pauvres, ils n’en peuvent vraiment plus. Ils râlent et bougonnent les yeux fermés pendant qu’on les aide(force) à se lever. Ils sont complètement à l’ouest et il nous faut les traîner en suivant la procession qui nous emmène à l’autre bout du village jusqu’à l’église.
Les trois autres toubabs ne comprennent rien à ce qui se passe. Ils ne peuvent pas savoir que la fête qui va avoir lieu est organisée en notre honneur. Ils décident de suivre tout le cortège.

Nous slalomons minutieusement entre les cases. Avec nos seules lampes sur le front pour y voir quelque chose, la procession devient acrobatique. Il est difficile d’éclairer à la fois le sol pour vérifier où on met les pieds et éviter de tomber, et devant nous pour éviter soigneusement de se faire scalper par les bambous dépassant des charpentes, tout en guidant par les épaules nos petits explorateurs dans un état léthargique avancé.

En s’approchant de l’église, nous prenons conscience de la solennité du moment qui nous attend. Une foule silencieuse est debout tout autour de l’esplanade de terre battue située devant la grande case dédiée au culte religieux.
Jean-Baptiste nous explique que non seulement la quasi-totalité des villageois est présente, mais qu’en plus d’autres Bédiks de villages voisins ont fait le déplacement, ainsi que des Bédiks originaires d’Iwol vivant ailleurs mais revenus pour l’occasion. Depuis des mois que notre venue est annoncée, les populations locales nous attendent pour nous exprimer leur profonde gratitude et leur éternelle reconnaissance. J’étais vraiment très loin de m’imaginer l’ampleur que prendrait l’accueil incroyable qui nous est réservé, et ça finit par me mettre mal à l’aise car on n’a rien demandé de tel.
Jean-Baptiste nous demande de le suivre, nous devons aller nous assoir avec tous les Chefs et autres représentants officiels. Il faut traverser toute l’esplanade devant tout le monde. Malgré l’obscurité totale, je sens tous les regards sur nous et je me liquéfie ; je traîne péniblement mes apprentis aventuriers dormant debout (alors que tout le monde les croit malade…), c’est de plus en plus gênant.
Après avoir salué tous les dignitaires locaux, nous nous agglutinons sur un bout de banc posé devant les grosses pierres du mur de l’église. On n’y voit strictement rien, et je ne peux m’empêcher de penser que ces énormes caillasses constituent un abri idéal pour des bestioles rampantes et grimpantes…. chassez le naturel….
Aussitôt assis (du bout des fesses en ce qui me concerne), Anthony se roule en boule à côté de moi, la tête posée sur mes jambes et se rendort illico. Estelle reprend aussi sa nuit, avec mon épaule en guise de repose-tête. C’est tout juste si elle n’a pas un filet de bave qui lui coule du coin de la bouche. Je me sens quelque peu assaillie et immobilisée par ma progéniture, difficile de pouvoir bouger comme ça. Mais de toute façon, j’ai trop peur de m’appuyer le dos contre le mur, et puis je me penche en avant au maximum pour éviter d’avoir les cheveux en contact avec le chaume du toit de l’église qui descend jusqu’au niveau de la tête et qui doit grouiller de bestioles aussi. Je me retrouve donc dans une position super confortable d’équilibriste, avec mon sac sur le dos, mon appareil photo autour du cou, la lampe sur le front, bref, l’idéal pour passer une bonne soirée !!!
Nous faisons face à toute l’assistance, et sur le côté, pas très loin de nous, j’aperçois les trois toubabs qui nous dévisagent, stupéfaits, en assistant à la scène. Le spectacle peut commencer…

Jean-Baptiste prend la parole en premier et, au nom de tous les habitants, nous renouvelle une énième fois leurs plus infinis remerciements pour leur avoir amener l’eau au village grâce au forage réalisé en mai 2014.

Philéas dira quelques mots à son tour, au nom de l’Association que nous représentons pour ce dernier jour de l’année 2014. Comme à son habitude, il sera bref et concis !
Enfin, c’est au tour des Chefs de s’exprimer, mais comme ils ne parlent pas français, on ne comprend absolument rien. Jean-Baptiste nous explique alors qu’ils ont spécialement préparé un discours très officiel, traduit et écrit par un « enfant du pays », un Bédik d’Iwol qui a réussi à l’école, puis au collège, puis au lycée et qui est maintenant étudiant en théologie à l’Université de Dakar. Ce jeune est là ce soir. Il s’approche, se présente à nous, et sort de sa poche une feuille de cahier d’écolier. Il a l’air d’avoir le trac, ses mains semblent trembler un peu. Jean-Baptiste lui tend une lampe torche pour éclairer le papier, et le jeune se met à nous lire le discours… qui se termine littéralement en homélie de fin de Messe invoquant notamment « maman Marie notre Dame de bonnes œuvres » (sic)  !
C’était si surréaliste que j’en avais les poils dressés sur les bras, et la gorge serrée à certains moments où le message passé était très fort.
(le discours complet mérite vraiment d’être lu, je l’ai intégralement reproduit « dans son jus », sans rien changer… c’est par ici  http://eauiwol.free.fr/remerciements.htm)

Sa lecture terminée, l’étudiant nous confirme que nous allons maintenant voir ce dont Philéas rêve depuis si longtemps : un des rituels de danse des Masques… Je reconnais la transformation sur son visage : la fatigue a laissé la place à la béatitude. Philéas bascule dans un autre monde, et moi avec lorsqu’on entend soudain les tamtams se mettre à battre le rythme, accompagnés par des sortes de grelots, et par les villageois qui frappent dans leur main.
On aperçoit soudain les « Masques » surgir au loin, au milieu des femmes aux tenues chamarrées qui se mettent à chanter et à danser.

Ce que nous vivons là est exceptionnel. Car en temps normal, les costumes traditionnels avec les masques ne sortent que lors des évènements/rites/rituels importants de leur tribu, à des périodes très précises, jamais juste pour des étrangers… Il ne s’agit absolument pas de folklore touristique. Dans leurs traditions, chaque évènement, très codifié, est lié à un Masque bien particulier.

Pour honorer notre présence, nous avons donc eu le grand privilège de découvrir les Masques « Samboumbou », très respectés des Bédiks.
Normalement, ces Masques sont fabriqués pendant l’hivernage (la saison des pluies), lors de la période harassante des travaux de culture. Les hommes portant cette tenue parcourent les parcelles agricoles en dansant et en chantant. Ce rituel a pour fonction d’effacer la fatigue des travailleurs de corvée dans les champs, et de leur donner de l’énergie et du courage pour redoubler d’efforts.

Ces Masques végétaux sont totalement éphémères, et donc entièrement faits à chaque nouvelle occasion de leur sortie. Ceux-là nous sont dédiés…

La coiffe est tressée avec des feuilles de palme de rônier séchées et fait référence au porc-épic, l’emblème des Bédiks.

 

Petite parenthèse à propos du porc-épic

Traditionnellement, les femmes portent une épine de porc-épic leur traversant le cartilage séparant les deux narines. C’est d’ailleurs la seule ethnie qui utilise ça en guise de piercing. 

Il n’y a plus beaucoup de porcs-épics dans le coin, du coup les femmes perpétuent cette coquetterie singulière en remplaçant désormais l’épine par tout autre chose, comme un bâton de sucette par exemple !!! 

fin de la parenthèse.

 

Le haut du costume est constitué d’une épaisse couche de feuilles de karité entourant le buste. On ne peut s’empêcher de penser au bonhomme Cetelem…

 

En bas, les hommes portent un pagne fait de fibre et d’écorce de palmier. Cette jupette est si sèche et fragile que pendant toute la cérémonie, elle doit être hydratée très régulièrement. Pour cela, des jeunes, munis d’une calebasse remplie d’eau, suivent les hommes. Lorsque les Masques s’arrêtent pour danser sur place, les jeunes se remplissent la bouche de cette eau, se baissent au niveau du pagne puis y recrachent l’eau bruyamment en mode « brumisateur ».
Sans le flash de l’appareil photo, on n’aurait jamais pu voir ni comprendre cette manœuvre.

Les bras sont noircis au charbon.
Chacun tient une longue canne, tandis qu’un bouquet de feuilles pendouille au poignet gauche.
Dans la main droite, ils ont une sorte de cloche en fer qu’ils font tinter en tapotant dessus avec un anneau porté au pouce. En même temps, ils émettent des sons graves avec leur gorge.

Les mollets sont emballés dans de l’écorce de palmier et enserrés par des ficelles en raphia.

Enfin, leur visage est entièrement caché sous un tissu. Personne ne doit savoir qui incarne les Samboumbou.

Ils font inlassablement le tour des « spectateurs ». A chacun de leur passage, quelques femmes sortent du rang, s’avancent et dansent autour d’eux.
Djienaba la doyenne, malgré son âge, les suit en dansant.

Tout ce cérémonial, à peine éclairé par la seule lueur de la lune, est absolument irréel ; l’atmosphère et l’ambiance qui règnent sont très impressionnantes. Cela va même bien au-delà de la sensation de dépaysement. Je ne sais pas comment décrire ça avec des mots. Je sais juste que je ne pourrai jamais oublier ce dernier jour de l’année 2014.
Je regrette qu’Estelle et Anthony n’aient pour ainsi dire rien vu de tout ça puisqu’ils dormaient. Je regrette aussi qu’on ne voit rien sur la vidéo, il faisait trop nuit, on n’entend que le son…

J’ai beau être plongée en totale immersion dans ce monde inconnu, mon corps me rappelle à son bon souvenir. Il est 23h ; je sens que je vais finir par m’effondrer d’épuisement. Les chants en boucle et les danses répétitives battent leur plein, la soirée n’en est qu’à son début, ce qu’on vit est unique, mais je n’en peux vraiment plus.
Je profite que Jean-Baptiste s’inquiète de savoir comment vont les enfants (qui dorment, affalés de tout leur poids sur moi) pour le rassurer et lui demander de nous raccompagner jusqu’à sa case. Je lui explique qu’ils ont juste besoin de dormir et que demain ça devrait aller mieux… Moi aussi il est vital que je dorme, sinon je vais exploser en vol avant la fin de l’aventure…
Tant bien que mal, je réveille une fois de plus Estelle et Anthony qui me grognent dessus (à juste titre). Philéas en tire une par le bras, moi je prends l’autre qui n’arrive pas à ouvrir les yeux, et nous revoilà partis dans l’obscurité. Heureusement que Jean-Baptiste nous reconduit jusqu’à chez lui, car j’aurais été incapable de retrouver le chemin seule dans ces méandres. Je ne distingue même pas le fameux rônier repère pour suivre la bonne direction !
<< Esprit des Pierres, tu aurais pu éclairer un peu plus la lune quand même, on n’est pas nyctalope, on n’y voit vraiment rien là ! >>

Les quelques minutes de marche nécessaires pour traverser le village me paraissent des heures.
Aussitôt arrivés à la case, sans autre salamalec, je remercie Jean-Baptiste et dit bonne nuit à Philéas qui, lui, retourne à la fête. On ne va donc pas pouvoir « fermer la porte » de la case… Il va falloir se contenter du tissu accroché devant l’entrée en guise de rideau. Je tente de me rassurer en me persuadant qu’on ne risque pas grand-chose ici. Et puis il y a des gosses assis sur le banc devant, donc s’il y a une bête sauvage qui s’approche, on les entendra gueuler avant toute hypothétique intrusion et/ou attaque !
Pas le temps de m’inquiéter plus que ça de toute façon. Je secoue un tantinet mes rejetons pour qu’on puisse se coucher le plus rapidement possible. Oui, car on n’est pas encore rendu : il nous reste juste à faire la petite expédition obligatoire « pipi-avant-d’aller-au-lit-même-si-pas-envie ». Je n’ai aucune intention de me lever cette nuit pour les vidanges de vessies… Là, une nouvelle fois, tu prends pleinement conscience de la chance d’avoir des wc à la maison. Pas besoin de s’équiper d’une lampe frontale, de penser à faire suivre un rouleau de PQ, de grimper en pleine nuit jusqu’à la fosse aux asticots, d’y faire une séance d’acrobatie en lévitation avant de pouvoir retourner t’allonger sur un tas de planches pour finir la nuit.
Comme ici il faut rationaliser le moindre déplacement, nous faisons suivre dans notre paquetage tout le nécessaire pour l’atelier « décapage-de-ratiches-nappées-de-sauce-arachide » : les brosses à dents et les dentifrices, une serviette, une bouteille d’eau minérale et les timbales pour le rinçage.
A tour de rôle, la brosse dans la bouche pleine de mousse au goût suspect, la timbale dans l’autre main, l’un vise avec sa frontale le sol à éclairer pour celui qui tente de viser le trou tant bien que mal. Bref, la grande manœuvre se déroule comme si on avait l’habitude de faire ça ; tout porte à croire qu’on commence à maîtriser l’adaptation au milieu.
De retour à la case, je vérifie qu’aucune bête indésirable ne s’est faufilée dans la pièce ouverte aux quatre vents. Je coince comme je peux le rideau devant la porte. Puis on s’installe pour la nuit avec coussin gonflable, veste polaire, bouteille d’eau, petite lampe led, montre. On se contentera d’enlever juste les chaussures pour se coucher. On restera habillé, avec les couvertures en laine du bivouac…
Je ressens un grand soulagement quand je peux enfin m’allonger à mon tour, soulagement qui va vite se transformer en désespoir lorsque je me rends compte à quel point ces lits de brousse sont on-ne-peut-plus inconfortables. Mon dos et mon bassin crient au secours, je n’arrive pas à me caler sur le côté tellement les rondins de bois me font mal partout. Après avoir gigoté dans tous les sens, tel un chien agité tournant frénétiquement dans son coucouche-panier, je finis par choisir une position sur le dos, celle où je sens le moins les bouts de bois dépasser. Je parviens à caler mes omoplates et mon coccyx entre les « lattes » et je ne bouge plus ! L’épuisement (et un petit cachet) m’emporteront dans les bras de Morphée…

<< Bonne nuit Esprit des Pierres, veille sur nous… >>

Pendant ce temps, Philéas est donc retourné à la fête avec Jean-Baptiste. Mais l’ambiance va basculer…
Alors qu’il reprend place avec tout le gratin local, il constate que les esprits se sont échauffés, le vin de palme coule à flot et les effets secondaires se font sentir !!! Djienaba a servi une nouvelle énorme gamelle de fonio/sauce arachide. Ce devait être la ration « apéritif » tout-à-l’heure. Philéas a beau être en pleine digestion laborieuse, il devra faire honneur au partage du plat avec tous les Chefs. Il fait semblant de se servir et manger, dans l’obscurité, personne ne se rend compte de sa feinte.
Soudain, des cris se font entendre au loin. Un vent de panique se propage dans la foule. Des hommes partent en courant, machette à la main. Philéas ne comprend pas ce qui se passe. Il interroge les personnes près de lui, et l’un d’eux lui explique affolé :
<< Ce sont les Peuls ! Ils profitent que tout le village est réuni ici pour nous attaquer. Ils veulent nous voler du bétail. Il faut y aller ! On a juste laissé les enfants devant les cases pour surveiller. >>
Philéas, courageux mais pas téméraire, n’est quand même pas rassuré. Il lui répond :
<< euh… moi je reste là… >> 
(au cas où ça dégénère… aucune envie de prendre un coup de machette perdu…)

Il ne voit rien de ce qui se passe réellement en bas du village, mais il entend bien le raffut.
Quelques minutes plus tard, tout se calme, les villageois remontent à l’église comme si de rien n’était. Jean-Baptiste rejoint Philéas et lui dit :
<< Ce n’étaient pas les Peuls. C’était encore le léopard qui a attaqué et bouffé une de nos chèvres à côté d’une case ! >>

Philéas reste pantois. Le léopard aurait très bien pu bouffer un des gosses qui « gardent » les cases, c’était pareil…
Le léopard aurait très bien pu aussi nous faire une petite visite pendant notre sommeil, ce n’est pas le rideau qui l’aurait empêché de rentrer !!!

Cet évènement, pour le moins inattendu et insolite, décidera finalement Philéas à aller se coucher à son tour peu après minuit.
Il a pris soin de bien coincer la porte en rentrant, le léopard rode toujours dans les parages, il n’a pas pu être capturé…

(BREAKING NEWS : le léopard-mangeur-de-chèvres qui semait la panique à Iwol n’est plus… R.I.P.  Après des mois de traque, en décembre 2015, de courageux villageois ont croisé l’animal sur la piste à hauteur du sentier menant au village voisin d’ANDIEL. Ils l’ont attendu en embuscade planqués dans un arbre, et l’ont zigouillé d’un coup de fusil. La sérénité et la sécurité nocturne sont revenues chez les Bédiks…)

Jeudi 1er janvier 2015 :

 

Tout le monde a réussi à dormir quelques heures malgré l’inconfort extrême de notre couchage.
Le réveil aux aurores est néanmoins difficile : en plus du dos en vrac et des courbatures généralisées, on s’est fait dévorer par les moustiques et autres insectes suceurs de sang, et ce malgré les vêtements couvrant la plupart du corps et les doses massives de répulsif aspergées partout (ça a failli nous tuer avant de repousser quoi que ce soit) !!!

Autre constatation matinale : ça se confirme, on se métamorphose en zombie chaque jour un peu plus…. Après 10 jours d’aventures, nos corps soumis à rude épreuve accusent méchamment le coup. Ce matin, on a vraiment des gueules à faire peur.
Les Bédiks n’ont jamais ce genre de préoccupations (futiles) puisqu’ils n’ont aucun miroir…

D’ailleurs, la plupart ne se sont jamais vus. C’était le cas de Djienaba jusqu’à la réalisation du forage en mai 2014. A cette occasion, l’association avait fait faire plein de tee-shirts à son effigie. Quand ils lui avaient offert le sien, ils lui avaient demandé :
<< Sais-tu qui c’est ? >>
Après avoir observé attentivement la photo, elle avait répondu :
<< Non, aucune idée. Mais c’est bizarre car je reconnais mes bijoux et mon foulard, donc ça doit être moi ? >>.

Le choc des cultures…

Le premier geste après avoir péniblement émergé : se gratter comme des furieux tellement les nombreuses piqures démangent. Étant donné le niveau déplorable d’hygiène (et la colonie de microbes qui squattent nos ongles), il faut faire très attention de ne pas s’infecter.

Puis comme le soleil illumine l’intérieur de la case, on découvre le lieu où on a passé la nuit…

 

Un premier atelier lingette-party s’impose quand je vois la couleur des murs contre lesquels Estelle et moi avons dormi…
Pendant ce temps, Philéas sort tout ce qu’on a apporté pour les enfants d’Iwol, et trie les exemplaires de photos prises lors de sa dernière venue.
De notre côté, Estelle, Anthony et moi préparons notre paquetage et partons en opération commando pour dire bonjour aux asticots !
De nuit, la visite de l’endroit a déjà été marquante. Mais alors de jour…. c’est dantesque !!! De quoi nous mettre en appétit, mais surtout de bonne humeur avec les irrépressibles fous-rires en cascade. Après avoir nourri les asticots en premier, Anthony se poste à l’entrée, bras et jambes écartés. Il tente de faire office de paravent occultant (sans grande efficacité vu son gabarit) pendant qu’Estelle et moi procédons, à tour de rôle et dans l’hilarité générale, aux grandes manœuvres qui débutent par un  << Barrez-vous les mouches ! >>. Rien de tel qu’une petite séance de flexion/extension pour se mettre en jambe de bon matin. De quoi s’assurer un réveil musculaire pour la journée de marche qui nous attend…
Les Bédiks de passage par-là, témoins de la scène, ont dû nous prendre pour des fous furieux !!!
Manifestement, la découverte d’un autre monde est réciproque…

 

Retour chez Jean-Baptiste et Adèle, dont voici (ci-contre) leur maison avec tonnelle/étagère intégrée.

  
En face, il y a les chambres d’hôtes devant lesquelles nous avons dégusté notre repas (indigeste) de réveillon du jour de l’An. Deux des toubabs de la veille y dorment.

Le guide nous rejoint pour préparer le petit déjeuner.
Avec Philéas, ils nous racontent alors comment la fête a été interrompue par l’irruption nocturne du léopard. Mon sang ne fait qu’un tour en écoutant le récit. Pauvre chevrette…. M’enfin, il vaut mieux elle que nous ! Ce n’est pas un rideau (ni des gosses) devant la porte qui aurait empêché un fauve de rentrer…


On a tellement froid dehors (!) qu’on préfère prendre le petit déjeuner à l’intérieur.
Une des malles des affaires du bivouac nous fait office de table (bancale) d’appoint pour ce premier pique-nique de la journée.
Pas de pain dur d’avant-hier à faire griller sur le feu ce matin. On est enchanté de constater que notre guide est allé acheter du pain frais au village situé en bas de la colline. Je ne boude pas ce petit plaisir simple… Suivant les envies et les goûts, ce sera tartines natures ou agrémentées de beurre (congelé par les blocs de glace achetés à Kédougou !) et/ou de confiture (farcie aux fourmis), jus de bissap (boisson emblématique du Sénégal à base de fleurs d’hibiscus et d’énormément de sucre) ou d’orange, eau chaude pour sachet de thé ou mélange de poudres de lait et de cacao (pour tenter un chocolat chaud). Chacun pourra manger à sa faim avant l’atelier exploration du jour.

Au programme pour commencer cette nouvelle année :
– visite découverte d’Iwol et ses environs
– inspection du forage et de la pompe
– distribution des photos, ballons de baudruche, cahiers, stylos et craies que nous avons apportés dans nos bagages.

Après avoir pris quelques affaires, nous voilà partis.

 

 

 

 

 

En traversant le village, nous croisons quelques jolies biquettes miraculées.
Elles ont échappé aux griffes du léopard celles-ci…

 

 

 

Iwol se situe sur les pentes en haut d’une colline, au milieu d’énormes rochers (des dolérites) et d’arbres (parfois sacrés) gigantesques.
Où qu’on aille, il faut donc invariablement monter et descendre, c’est épuisant, à fortiori quand on n’a pas l’habitude !

Ici, la hiérarchie sociale se voit à l’œil nu. Plus une case est construite sur les hauteurs et plus la famille y habitant est en haut de « l’échelle des castes ».

 

 

 

 

 

Notre exploration commence par une descente jusqu’à un puits où les femmes et les filles s’exténuaient à aller chercher de l’eau plusieurs fois par jour. Quand on voit (par où et) jusqu’où les Dames d’Iwol doivent aller et venir avec une bassine de 20 litres posée en équilibre sur la tête, ça force l’admiration… Depuis mai 2014, le forage qu’on (l’association) a fait creuser dans le village a considérablement amélioré la corvée d’eau.

Il nous faut une bonne demi-heure pour parcourir le sentier caillouteux et par endroit escarpé. La chaleur du soleil commence à se faire sentir. Mais ce que nous ressentons surtout, ce sont les muscles endoloris de nos jambes. Les quadriceps et les mollets crient déjà au secours, et la journée randonnée n’en est qu’à son début… Nos globe-trotters en herbe ne manquent pas l’occasion de bien nous le faire remarquer ! Le festival de la foire aux grimaces et des grognements est ouvert.


En arrivant au puits, nous découvrons un enclos : manifestement, il s’agit d’un carré potager. On n’a pas vraiment su identifier ce qui y pousse. On n’a pas non plus compris à quoi servent les morceaux de tissus accrochés sur les bouts de bois de la clôture.

Le puits est équipé d’une pompe manuelle encore en état de fonctionnement. Anthony-shadock grimpe illico sur la chape et se met à pomper pour voir s’il y a de l’eau. J’en profite alors pour sortir le flacon de savon liquide et la serviette que j’ai fait suivre dans mon sac à dos. Opération multi lavages/curages approfondis des mains et des ongles ! Ce n’est pas du luxe, on est vraiment crasseux.
Rien qu’avoir les mains propres fait un bien fou. Alors je n’ose même pas imaginer la joie (et le soulagement) que je vais ressentir ce soir lorsque je pourrai enfin prendre une bonne douche au campement où il est prévu qu’on dorme cette nuit. L’espoir fait vivre…

Après cette petite pause fraîcheur, nous reprenons le cours de notre virée découverte. Forcément, il va falloir remonter… Et là, on subit les 3/4 d’heure de grimpette qu’il nous faut pour rejoindre Iwol… Mais comment font ces femmes avec 20 litres d’eau sur la tête ? C’est surhumain !


Arrivés en bas du village, au pied du majestueux baobab sacré, on aperçoit un attroupement d’enfants près du 4×4. Le guide et Spaghetti s’y affèrent. Ils ont déjà commencé à tout récupérer pour charger le camion.

Mais nous n’avons pas encore terminé notre balade.


En nous approchant, nous constatons qu’il y a une « bassines-party » très animée près du forage. La pompe semble donc fonctionner à merveille. Les femmes se pressent bruyamment autour en attendant de remplir à tour de rôle leurs bassines très colorées.

En passant, Anthony saute dans le trou où la foreuse a cassé lors de la première tentative. Tout est resté en l’état, figé dans le temps, comme pour garder le souvenir de cet épisode extraordinaire.

 

La chaleur monte et le soleil tape fort en ce milieu de matinée. Mais nous poursuivons quand même notre exploration.

Nous voyons des femmes revenir avec leurs bassines d’eau sur la tête. Cela nous intrigue, alors nous décidons d’aller voir d’où elles viennent.


Alors que nous découvrons au passage le plus grand baobab de la région (avec un tronc de plus de 23 mètres de circonférence), deux gamins surgissent soudain de nulle part et s’improvisent guide en nous ouvrant la marche pour nous accompagner à travers brousse.

L’initiative nous convient assez puisque nous ne savons pas trop où nous allons.
Nous leur demandons alors où mène ce chemin, mais manifestement ils ne parlent pas français (ou ne nous comprennent pas) car leurs réponses se limitent à des gestes, des regards curieux et des sourires timides. 

Après un très long moment de marche au milieu des rochers, rythmé par les protestations de plus en plus enragées de nos petits aventuriers, nous arrivons à un autre puits avec un autre carré potager à côté.

Là, une femme travaille dans le jardin, son mioche jouant cul-nul au milieu des plantations.

Cet autre puits n’a de l’eau que pendant l’hivernage et durant seulement quelques semaines après la fin de la saison des pluies. Le reste de l’année, la source est tarie.

Nos jeunes apprentis guides touristiques ne nous lâchent pas d’une semelle. Ils nous font comprendre qu’ils veulent nous emmener plus loin sur la colline.

Oui…. Mais non ! Finalement, la découverte des environs s’achèvera là. Nous sommes en sueur, assoiffés et déjà crevés. Sans compter que l’heure tourne et il faut le temps de rebrousser chemin pour retourner au village qui est loin tout là-bas à l’horizon…

Sous un soleil qui nous écrase de plus en plus de chaleur, nous faisons demi-tour et nous remettons péniblement en marche…

De retour à Iwol, nous sommes étonnés de croiser un tout petit groupe de touristes espagnols accompagnés d’un guide. Il faut bien avouer que dans les catalogues des tour-operators, cette destination est on-ne-peut-plus confidentielle… Généralement, les excursions dans les minorités ethniques concernent les Bassaris, bien plus connus (et nombreux) que les Bédiks.


Nous achevons notre grande virée par la montée (une de plus) jusqu’à l’église (photo ci-contre).

Puis on grimpe (encore) tout en haut de la colline, jusqu’à l’école devant laquelle quelques jeunes jouent au foot.
Là, un nouveau choc des cultures frappe nos petits aventuriers. Estelle et Anthony hallucinent quand ils découvrent les lieux. L’école d’Iwol évoque un peu la cabane en paille des trois petits cochons… Elle se résume à deux cahutes bringuebalantes posées à même la terre, ouvertes aux quatre vents et soumises aux intempéries. A l’intérieur, c’est le dénuement total, il y a moins que le stricte nécessaire.
Deux instituteurs officient pour la cinquantaine d’enfants scolarisés ici, répartis en deux classes (de l’équivalent du CP jusqu’au CM2).

 

Pour les enfants de chez nous, devoir aller à l’école est la plupart du temps vécu comme une contrainte.
Pour les enfants d’ici, la contrainte c’est la corvée d’eau et du pilage du mil pour les filles, la corvée des récoltes pour les garçons. Pour ces enfants isolés du monde, pouvoir aller à l’école est une opportunité à saisir.

Voir comment ça se passe ailleurs est toujours très instructif ! Nos rejetons mesurent bien la chance qu’ils ont de vivre là où ils sont nés…

Après cette nouvelle leçon sur la théorie de la relativité, il est l’heure d’aller faire nos sacs et se préparer à partir. Encore faut-il savoir retourner jusqu’à chez Jean-Baptiste !!!
<< Allô Esprit des Pierres ? Si tu es là, ce serait très sympa de nous indiquer le chemin. Merci !!! >>>
Pas de GPS sous le coude… De toute façon, Iwol n’apparaissant pas sur les cartes, le GPS ne nous servirait pas à grand-chose, il ne ferait que nous rabâcher :
<< Connexion perdue. Tentative de reconnexion en cours. Attention, zone non cartographiée. Dès que possible, faites demi-tour ! >>

La vue depuis l’école est panoramique, on surplombe tout le village. Une aubaine car on « reconnait » le grand rônier indiqué par Jean-Baptiste pour nous repérer !!! On parvient ainsi à retrouver le chemin facilement.
Après un dernier passage chez les asticots, on distribue les photos et on donne les fournitures scolaires apportées.

Puis une fois toutes nos affaires remballées, nous redescendons jusqu’au 4×4 garé à l’ombre du grand baobab sacré. Beaucoup de villageois sont là pour assister à notre départ.
Je croise les doigts pour que le camion ne tombe pas en panne avant la fin de notre trip. J’espère aussi qu’il va pouvoir descendre la colline sans encombre…

Estelle et Anthony montent direct dans la cabine, se vautrent sur la banquette arrière et refusent catégoriquement d’en bouger. Ils sont assaillis par tous les gosses surexcités qui grimpent de tous les côtés pour les observer. Ils ferment les vitres et tentent de se « cacher » en s’enfonçant leur casquette sur la tête et en mettant leurs lunettes. Ils saturent, ils ont chaud, ils sont fatigués, ils en ont marre, ils veulent partir.

Mais avant, il faut quand même que j’aille tester cette fameuse pompe par moi-même ! J’avais dit que je dégusterai l’eau du forage pour trinquer à la réussite de cet incroyable projet, mais finalement je préfère renoncer vu l’état de détresse de mes tripes. C’est plus raisonnable.
On se contentera de remplir les 2 petites fioles qu’on a fait suivre pour prélever un peu d’eau en souvenir.

 

Il nous reste à distribuer les ballons aux enfants qui s’agglutinent de plus en plus, telles des mouches, contre les vitres fermées. Je ne voudrais quand même pas que mes loustics meurent cuits à l’étouffée dans le camion. Je demande un peu d’aide pour faire éloigner la marmaille et en profite pour monter boire un coup dans le 4×4. Je propose alors à Anthony de venir participer à la distribution, en guise d’au revoir, mais il refuse tout net.

Du coup, c’est Philéas qui s’y colle.
Pas plus tôt il sort le premier sachet de ballons que c’est l’émeute ! Les gosses se jettent sur lui en criant :
<< Donne-moi « l’gonflé » ! Donne-moi « l’gonflé » ! >>

Ils se disputent pour attraper le bout de plastique. Tous les coups sont permis. Certains se l’arrachent furieusement des mains ou de la bouche et partent en courant, avec le gamin dépossédé hurlant à ses trousses.
La distribution aura été fulgurante, en quelques secondes, tous les sachets sont vides.
En quelques secondes aussi, beaucoup de ballons leur auront déjà éclaté à la gueule.
Certains ne parviennent pas à le gonfler puis à faire un nœud, surtout les plus petits. Ils s’époumonent en soufflant en vain dedans. Comme ils n’ont pas compris qu’il faut pincer le bout pour empêcher l’air de ressortir immédiatement, à chaque nouvelle inspiration prise, j’ai une peur bleue qu’il y en ait un qui l’avale et s’étouffe avec. Au bout de quelques tentatives infructueuses, ils renoncent et s’approchent de nous en tendant leur « gonflé » pour qu’on les aide.
Et là….. Une épreuve inattendue (ni souhaitée) « d’immunothérapie » s’annonce dans notre Iwol Express… Aucun effort physique à fournir, tout est dans le mental…
Quand Estelle et Anthony comprennent le but du jeu, ils déclarent forfait illico, referment les vitres du 4×4 et se planquent derrière la banquette.

Presque tous les petits ont les narines farcies, débordant et dégoulinant de morve. En Afrique, rien d’anormal à ça. C’est la méthode naturelle du corps pour « filtrer » et empêcher les agents pathogènes de coloniser et infecter la sphère ORL. On pourrait en faire un slogan sanitaire :

« Mucus dans les nasaux
protège des rhinos »

L’hyper-ventilation nasale, occasionnée par les multiples et vaines tentatives de gonflage, n’a fait qu’accentuer encore plus l’expulsion des abondantes sécrétions virulentes. Ils ont le nez, les joues, la bouche et le menton copieusement nappés.
Quand ils enlèvent le ballon de la bouche pour nous le tendre, un magnifique filet de morve gluante y reste collé, reliant la narine à l’embout.
La force mentale m’abandonne. Je me porte pâle à mon tour, incapable de surmonter mon dégoût.
Je laisse Philéas gérer tout seul la situation. Ses yeux en disent long sur ce qu’il pense aussi… Il essaie d’essuyer l’embout du ballon (ce qui contamine au passage sa main et son tee-shirt déjà sales) puis tente une feinte en soufflant « de loin » pour éviter tout contact labial. Sauf que ça ne sert strictement à rien. Alors, prenant son courage à deux mains, comme il a l’habitude de le faire à chaque fois qu’il vient à Iwol, il se met à gonfler les ballons à la chaîne, devant les petits qui dansent de joie devant lui. Mais Philéas-l’expert-routard a aussi ses limites…. et sa bonne étoile qui va le tirer de ce mauvais pas, car soudain
<< Esprit des Pierres, serait-ce toi ? >>
Non… C’est Jean-Baptiste qu’on voit arriver presque affolé. Il dévale la pente jalonnée de caillasses en courant à grandes enjambées avec ses inséparables bottes de sept lieues en caoutchouc aux pieds :
<< Attendez encore un peu avant de partir ! Je vais vous chercher du fonio et une poule pour rapporter chez nous. J’ai pas réussi à l’attraper. >>
L’attraper ? Ce qui veut donc dire qu’elle est vivante ? Je manque de m’étouffer en entendant ça. Le convoyage de volatile n’était pas vraiment prévu au programme de notre aventure !!!
Philéas se tourne vers moi et marmonne discrètement dans sa barbe :
<< Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de cette poule ? Le mieux c’est qu’on la donne au guide et à Spaghetti. >>
Je ne suis pas très favorable à l’idée d’adopter cette pauvre poulette :
<< Euuuuh…… je ne voudrais pas casser l’ambiance, mais je tiens à te rappeler que si on embarque la poule, il va falloir lui boucher le cul pour pas qu’elle chie partout dans le 4×4 !!! Qui la prend sur ses genoux et prête son doigt pour ça ??? Certainement pas moi ! >>
Philéas, embarrassé, tente de lui expliquer que ça ne va pas être possible…
<< Jean-Baptiste, ça nous touche beaucoup, vraiment, mais on ne peut pas accepter. On est limité en poids dans l’avion et on est déjà surchargé. On ne va pas pouvoir ramener la poule non plus, les volailles sont interdites dans l’avion… >> 

Mais Jean-Baptiste insiste :
<< Mais vous n’aurez qu’à la bouffer avant de rentrer en France ! Attendez-moi, je remonte la chercher. Quelqu’un arrive pour vous apporter le sac de fonio. >>

Il est déjà midi passé, et il nous faut partir, sinon le pique-nique de mi-journée va finir par devenir le goûter si ça continue.
On attend en faisant une séance photo des « au revoir et à bientôt » (ce serait plutôt « adieu » pour les marsupilamis et moi). Le « quelqu’un » arrive enfin avec un sac de 5 kg (!) de fonio et nous informe que Jean-Baptiste pourchasse toujours la poule (manifestement bien vigoureuse).
C’est alors que Philéas décide de partir sans attendre plus longtemps.
<< Allez hop, on y va maintenant. Tant pis pour la poule. >>

Le guide nous demande de tous monter dans la cabine du 4×4 jusqu’en bas de la colline, c’est plus sûr. Ah oui….. c’est vrai qu’il faut forcément redescendre par la piste…
<< Esprit des Pierres, je compte sur toi une dernière fois pour nous faciliter la manœuvre. Après ça, je ne te demanderai plus rien, tu ne me verras plus, promis ! >>

Spaghetti démarre, escorté par des gamins qui courent à côté du camion, et nous voilà instantanément ballotés sur nos sièges. Mon dos apprécie moyennement, mais pour une fois, peu importe car on est fatigué. On préfère être secoué que devoir encore marcher. On a eu notre dose pour la matinée. Sans compter qu’il faut garder un peu de jambes pour la randonnée de l’après-midi.


Philéas ne semble pas l’entendre de cette oreille…
<< Autant vous prévenir dès maintenant pour vous préparer à l’idée : on roule tant que c’est à peu près plat, mais ensuite on descend du camion et on continue la piste à pied. C’est beaucoup trop dangereux avec la pente et les freins pas très efficaces du 4×4. Je n’ai aucune envie qu’on finisse dans le décor ! >>
Ce préavis totalement inattendu a l’effet d’une bombe ! Alors qu’il me monte subitement la « boufaïs » et que j’encaisse en silence, Estelle et Anthony explosent :
<< AH NON PAPA ! Hors de question ! C’est bon là ! On s’est déjà crevé le cul à monter à pied. C’est trop dur. Et il fait trop chaud maintenant. Tu fais ce que tu veux, mais nous, on reste dans le 4×4 !!! >>
Je n’ai aucune envie non plus de m’épuiser sur la piste, mais je n’ai pas non plus envie de finir dans un ravin :
<< Bon, on se calme les enragés derrière ! On avance le plus possible et on va bien voir comment ça se passe. >>

Mais ça a été vite vu ! Dès la première pente entamée, le 4×4 prend de la vitesse, dérape sur les cailloux et vacille dangereusement de droite à gauche. Spaghetti s’acharne sur la pédale de frein mais effectivement, ça n’a pas l’air très efficace. La sortie de piste nous pend au nez. Philéas ordonne alors à Spaghetti de s’arrêter :
<< STOP ! Maintenant ça suffit ! Tout le monde descend ! On finit à pied ! C’est non négociable ! >>

De rage, Estelle et Anthony prennent leur bouteille d’eau et sortent du camion comme des furies. Les gosses qui nous suivent depuis le départ nous rejoignent et emboitent le pas à Estelle qui part devant en ruminant tout ce qu’elle peut.

Ambiance…. La tension est à son comble. Vive les vacances en Terre (plus du tout) Inconnue !!!
Le guide est visiblement mal à l’aise, alors pour ne pas avoir à gérer son « stress » aussi, on lui demande de continuer sans nous et de nous attendre avec Spaghetti au pied de la colline….. plus de 2 kms plus bas.

On s’écarte sur le côté pour laisser passer le camion puis on se met en marche. Devant nous, le 4×4 dévale la pente soit en rebondissant sur chaque caillasse soit en dérapant.

Philéas et Anthony me distancent rapidement. Mais qui veut aller loin ménage sa monture… Je marche à mon rythme. De toute façon, je suis incapable d’aller plus vite, mes jambes ont du mal à avancer. Heureusement que ça descend, je me laisse porter en freinant quand même des deux pieds par endroit ! En plus j’ai chaud, je transpire comme un goret. Les couches de sueur accumulées depuis deux jours et demi me donnent la sensation d’être emballée, toute trempée, dans un sac en plastique me collant à la peau. Aaaaaah j’en aurai éliminé ici des toxines !!!! Et que dire des zones stratégiques « toilettées » à la lingette ? Les couches de transpiration se superposent aux couches de produits chimiques. Le résultat de ces mélanges successifs n’est pas terrible, ça brûle, ça pique. Et à certains endroits très confinés (…), les sensations d’inconfort ressenties sont de plus en plus grandes… Je ne rêve que d’une chose : une bonne douche en arrivant au campement ce soir ! Et ça me motive pour continuer à avancer.

Sous un soleil de plomb à l’heure la plus chaude de la journée, je poursuis mon chemin quand soudain, après un virage, je vois au loin un attroupement à côté le 4×4 arrêté. Je rejoins tout le monde pour voir ce qui se passe encore et là, le coup de grâce : crevaison du pneu avant gauche, avec roue plantée dans un trou ! Je vais finir par croire qu’une malédiction s’est abattue ici, cette piste a été maraboutée.
<< Non mais c’est plus possible Esprit des Pierres ! Fais quelque chose !!!! Laisse-nous partir… >>

Cerné par le « Bedik boys band Iwol fan club », Spaghetti est déjà plié en quatre, genoux au niveau des oreilles, tête devant le pare-buffle, pour évaluer la situation. Moi, je m’interroge…
<< A-t-il une roue de secours gonflée au moins ? Et avec le poids de tout le matos, comment va-t-il bien pouvoir enclencher le cric sous la bagnole vu où elle est plantée en plus ? >> 
Le suspense est insoutenable…
Même si je commence en avoir ras la cape des impondérables à l’Africaine qui nous tombent dessus en cascade depuis hier, paradoxalement je ne m’inquiète même plus : de toute façon, le redoutable système D sénégalais finira par nous sortir de là…. inshallah ! Il faut juste ne pas s’impatienter et encore moins être pressé. C’est pas grave, c’est l’Afrique…

Spaghetti et le guide auront réussi l’exploit de changer la roue, en laissant le 4×4 planté dans le trou, sans rien décharger, en moins d’un quart d’heure ! Bon, on n’a plus de roues de secours désormais.
Au final, on aura redescendu la piste à pied en une quarantaine de minutes.

<< Adieu Esprit des Pierres… >>

Nous voilà repartis pour la suite de l’aventure. Prochaine destination : le campement d’Afia pour manger et poser nos affaires pour cette nuit, puis départ pour notre excursion de l’après-midi : randonnée jusqu’à la cascade de Dindéfélo.

On reprend la grande piste en latérite ocre.
Direction plein sud cette fois, pour une trentaine de kilomètres parcourus en une heure et demie environ.

On s’approche de la Guinée Conakry. Les zones frontalières sont toujours plus ou moins délicates. Mais avec l’épidémie d’Ebola qui sévit en Guinée, le Sénégal a fermé sa frontière et donc tous les mouvements de personnes sont passés au peigne fin. On n’est pas vraiment étonné de devoir s’arrêter pour être contrôlé lorsqu’on arrive à un check-point juste avant le dernier croisement avant la frontière. Après ce poste de contrôle, la petite piste à droite va vers Dindéfélo et celle à gauche arrive au village de Ségou, puis c’est la « piste des contrebandiers » menant jusqu’en Guinée située à moins d’une dizaine de kms, derrière la chaîne de collines barrant l’horizon.

Spaghetti se gare devant la barrière, le guide descend du camion. Un mec en uniforme s’approche alors d’un pas nonchalant. Quand le flic se rend compte qu’il y a quatre toubabs dans le 4×4, il s’arrête et nous observe d’un air sévère. Je commence à craindre les salamalecs interminables pour gratter un bakchich. Il répond à peine à nos << Assalamou aleykoum >>, et s’adresse en wolof à notre guide. On ne comprend rien de ce qui se dit, mais le ton sur lequel ils se parlent n’est pas très chaleureux… Le guide revient vers nous pour nous dire qu’il faut présenter les quatre passeports. Je les sors et les lui tends. Le flic les attrape et les lit minutieusement l’un après l’autre en nous dévisageant à tour de rôle. Etant donné le nombre de visas et de coups tampons qu’on collectionne, le contrôle s’annonce long. Je me décompose et marmonne dans ma barbe :
<< – manquait plus que ça…. On n’est pas rendu ! 
– Maman !!!! On crève de faim ! Qu’est-ce qu’il veut lui ? 
– c’est un poste de contrôle avant la frontière. Il y a beaucoup de trafics en tout genre dans le coin, alors il faut montrer nos passeports… Mais on est plus très loin maintenant, on arrive bientôt. >>
Le guide et le flic parlementent un bon moment, on dirait que le ton monte un peu entre les deux hommes. Spaghetti, qui ne dit jamais rien, s’en mêle l’air agacé (il doit avoir faim lui aussi). Et puis finalement, le flic nous rend les passeports et ordonne l’ouverture de la barrière pour nous laisser passer.
En remontant dans le 4×4, le guide nous résume l’épisode : tentative de bakchich, contrôle par crainte de la fièvre Ebola. Il a fallu qu’il lui détaille tout notre programme de visite dans la zone et dire quand il est prévu qu’on repasse par ce poste de contrôle pour notre retour.
On peut enfin repartir.

Une « surprise » nous attend à l’arrivée : le campement où on a prévu de faire escale pour la nuit est fermé ! Non, ce n’est pas une blague… La désertion touristique est une catastrophe. Il n’y a pas âme qui vive, tout semble abandonné.
Bon, dans l’absolu ce n’est pas dramatique, on est autonome puisqu’on se trimballe tout le nécessaire du bivouac : on a les tentes avec matelas/coussins gonflables/sacs à viande/couvertures, les lampes frontales et autres loupiotes à led pour s’éclairer, les glacières avec (le beurre congelé) l’eau et les boissons, on a encore de la bouffe avec désormais les 5 kg de fonio de secours ! Certes on commence à avoir la dalle étant donné l’heure, mais on ne risque pas de mourir de faim !!! Non, en fait, le gros problème pour moi, ce sont mes espoirs de douche qui s’évaporent avec la chaleur de plus en plus présente…
Bref, dans l’absolu donc, dans cette situation << amoul solo ! >> comme on dit en wolof. C’est l’équivalent en langue locale du célèbre << Hakuna matata ! >>. Oui, << y’a pas de problème ! >> car en terres africaines, je le rappelle, il n’y a que des solutions !!! Il suffit de basculer en mode « système D » pour trouver illico un plan B. Cette philosophie de vie mérite réflexion quand même. A méditer…

Une fois le « choc » de la surprise encaissé, on ne se désespère pas et on rebrousse aussitôt chemin vers le village de Dindéfélo. Là-bas, il y a un campement villageois dont on sait que certaines des cases, sur pilotis, sont typiques. C’est l’occasion de les voir. On se persuade qu’avec un peu de chance le campement sera ouvert, et comme en plus les touristes ne se bousculent pas au portillon en ce moment dans le coin, on espère qu’il ne sera pas complet et qu’on pourra y passer la nuit.

Heureusement, ce n’est pas très loin de là, pas besoin de rouler encore pendant des plombes.
Heureusement, le campement est ouvert. Mais ça ne se voit pas franchement à l’œil nu quand on y arrive… forcément…. c’est l’heure de la sieste ! Un jeune dort sur le banc à l’ombre du manguier. Notre arrivée le sort de sa torpeur.
Heureusement, ils ont de la place pour nous héberger (ça semble vide… le contraire aurait été difficile à croire), il faut juste attendre que quelqu’un nous prépare deux cases car on n’était pas prévu dans leur planning. Ils vont aller chercher(réveiller) le « quelqu’un »…
On se sent un peu comme une touffe de cheveux dans la soupe.
<< Attendre ? AMOUL SOLO ! >>
Qu’ils finissent leur sieste, ce n’est pas un souci pour moi car l’espoir d’une douche renaît subitement de ses cendres. Et puis pendant qu’on patiente, on va en profiter pour manger car on est vraiment affamé maintenant ! Et pour cause, c’est 14h.

Deuxième pique-nique de la journée, sous l’énorme manguier, avec un menu plutôt insolite : spaghetti party ! Non, non, je rassure le lecteur, on n’a pas bouffé le chauffeur… Le guide nous a d’abord proposé de nous faire du fonio, mais il n’a pas eu le temps de finir sa phrase qu’un NON unanime s’est fait entendre… Alors il nous a préparé des spaghettis, avec sauce « bolognaise » pour ceux qui voulaient. Estelle et Anthony ont joué la sécurité en se contentant de spaghetti au beurre(congelé… mais rapidement fondu grâce à la chaleur intense ambiante).
 
Une fois les estomacs remplis, nous avons pris possession de nos « chambres/murs en pierres avec salle d’eau individuelle » siouplé.
Dans ce campement, il y a trois sortes de cases construites suivant des techniques traditionnelles différentes (rappelant assez les maisons des trois petits cochons…) : les cases/murs en bambous sont de tradition Mandingue, les cases/murs en pierres sont de tradition Bassari, et les cases sur pilotis sont de tradition Peul.
J’espérais qu’on puisse avoir les fameuses cases sur pilotis, mais cette petite déception a vite été balayée par l’option « salle d’eau individuelle ». La promesse d’avoir un peu d’intimité pour se laver à l’abri des regards indiscrets…

On prend nos sacs et on se répartit les cases : après d’intenses négociations, Estelle et Anthony consentent à être ensemble puisqu’on n’aura pas à dormir sous une tente en pleine nature au milieu des animaux sauvages.
Pas plus tôt ils ont jeté leurs affaires par terre qu’ils nous rejoignent dans notre chambre et s’écroulent sur le lit.
Pendant ce temps, Philéas tente d’ouvrir la porte au fond de la case pour sortir faire un tour à la salle d’eau et surtout aux toilettes. On l’entend rire quand il découvre l’endroit. En revenant, il dit : << C’est bien aéré. Je sens qu’on va rire ce soir ! La mère va adorer la « douche » ! Il n’y a pas de robinet… >>
Je déchante : << C’est-à-dire ???? Comment ça il n’y a pas de robinet ? >>
Je vais, de ce pas, constater par moi-même, et là, les bras m’en tombent.

En sortant de la chambre, j’atterris à l’extérieur dans une courette de graviers emmurée et couverte d’un toit en chaume. C’est très bucolique ! Il n’y a rien d’autre qu’une corbeille pour la poubelle et une vasque ébréchée avec un miroir. Je constate qu’il n’y a effectivement pas de robinet, seulement une timbale en métal. A côté de cette courette, il y a une autre « pièce » carrelée où je ne vois qu’un wc dans un premier temps. En y accédant, je découvre, sur le droite, deux seaux d’eau légèrement terreuse alignés sur une étagère toute de guingois (faite de bâtons de bois) suspendue à deux bouts de ficelle noués à la charpente. Par terre, dans l’angle à gauche, je vois une bonde d’évacuation ; il n’y a ni robinet, ni tuyau, mais j’en déduis qu’il ne peut s’agir que du coin « douche ». C’est juste devant les chiottes, donc c’est pratique pour se laver les pieds pendant qu’on trône sur la cuvette !!! Je comprends alors, un peu catastrophée, qu’il n’y a pas d’eau courante. Pour se laver, comme pour « tirer » la chasse, il faut aller chercher de l’eau au puits avec les seaux posés là. Je réalise que ma délivrance sanitaire passera donc obligatoirement par une douche au seau, exercice que je n’ai absolument jamais pratiqué auparavant ! Estelle et Anthony non plus d’ailleurs, et ils se marrent en voyant la tête que je tire…
<< Comme dit Papa, je vais rire (jaune) ce soir… Ce sera une première pour moi la douche au seau !!!! Par contre, à mon avis, deux seaux, ça ne me suffira jamais vue l’étendue des dégâts. On fait comment pour en demander d’autres ? >>
Je mandate Philéas pour aller se renseigner dehors. Il réussit à trouver quelqu’un dans les parages et revient avec le précieux mode d’emploi :
<< un mec m’a expliqué qu’il suffit de poser le seau vide devant la porte et quelqu’un va nous le remplir au puits.
– ah ouais, c’est cool. Mais bon, connaissant le temps de réactivité locale,  faut pas être dans l’urgence car il ne va pas y avoir un mec posté devant la case en permanence. On va déjà mettre devant la porte le seau qu’on a vidé pour les wc. Et on va quand même aller voir où est ce puits, qu’on puisse se débrouiller seul ce soir !!! 
– bon, ok. Mais maintenant il faut y aller car c’est déjà 4h et il y a un peu de marche jusqu’à la cascade. 
– pitié Papa, faut encore marcher pendant des heures ?
– non, pas des heures. Prenez maillot et serviette, on pourra se baigner là-bas. >>

Nous posons notre seau vide devant la porte en sortant et nous nous mettons aussitôt en chemin pour aller à la cascade de Dindéfélo à environ 2 kms du village.

 

 

 

 

 

 

Le site en lui-même est un cul-de-sac, encaissé dans une anse naturelle de falaises. « Dindefello » signifie « au bas de la montagne » en langue Peul. Cette montagne, c’est Dandé. Le cours d’eau prend sa source au sommet avant de chuter de la paroi rocheuse, haute d’une centaine de mètres, et finir sa course dans un bassin naturel tapissé de blocs de roche qui se sont détachés de la falaise. Le débit de la cascade est variable durant l’année. Il arrive même parfois, lors de la saison sèche, qu’elle n’ait plus assez d’eau et ne coule plus.

Pour s’y rendre, il faut compter une demi-heure de marche. Mais pour être certain d’arriver à destination sans se perdre, il faut surtout être accompagné par un guide ! Car on traverse un dédale de sentiers de plus en plus étroits, de sous-bois luxuriants, de clairières à la végétation dense. Puis il faut arpenter prudemment des chemins rocailleux jalonnés de blocs de roche et longeant le cours d’un ruisseau. Heureusement que la quasi-totalité du parcours est à l’ombre. C’est très appréciable pour éviter la surchauffe au soleil, car même si cette mini randonnée n’est pas très difficile, elle réclame quelques efforts.

 

 

 

Au fur et à mesure de notre progression, nous sommes comme happés par les lieux, telle la famille de la jungle perdue au milieu de la nature sauvage, bercés par les chants des oiseaux (et les protestations de nos jeunes trekkeurs…).

Même si je suis sur le qui-vive dans cet endroit paradisiaque pour les bestioles que je crains de croiser sur notre route, je trouve l’atmosphère très apaisante.

Pour tout dire, cette balade me plaît beaucoup.

 

 

 
Plus on avance et plus le canyon se rétrécit. Et puis soudain, le bruit de l’eau qui chute résonne contre les parois rocheuses abruptes qui nous entourent. C’est le signe qu’on y est presque, le soulagement se lit sur les visages.
On aperçoit alors des gens, on comprend qu’on arrive…. et qu’on ne sera pas seul ! La joie de la découverte est un peu gâchée sur le moment.

Voilà, on y est !!! Derrière une dernière paroi rocheuse apparaît enfin la cascade. Le temps est comme suspendu. La magie opère instantanément : les protestations de nos petits râleurs invétérés sont remplacées par un grand << WOUHAAAAA !!! >>. C’est l’émerveillement. Même pour Philéas qui est pourtant venu ici à de multiples reprises, mais il ne s’en lasse pas. A chaque fois, il y a un petit quelque chose de différent.

 

Pour Philéas, cette fois, il y a deux petits quelques choses de différent.

D’abord, la sérénité, qui règne habituellement dans ce lieu au goût de paradis perdu, est quelque peu perturbée ! Pour ne pas dire complètement pourrie… par une bande de mecs qui braillent…. dans leur téléphone portable !!!
Nous hallucinons quand nous nous rendons compte qu’ils téléphonent ICI, dans ce coin complètement paumé où on ne peut venir qu’intentionnellement, certainement pas par erreur. En plus, c’est un site tellement enclavé dans la montagne et cerné par des à-pics rocheux que c’est vraiment un endroit où on ne pourrait même pas espérer capter le moindre signal d’un quelconque réseau GSM !!! Mais, aussi incroyable que ça puisse paraître, les téléphones de ces Sénégalais captent…
En revanche, pas sûr que leur interlocuteur entende parfaitement bien à l’autre bout du fil, car c’est à celui qui parlera le plus fort pour couvrir le vacarme de l’eau… et l’écho de son voisin de rocher !!! Dans cette « cage » de pierre, la résonance du moindre son est amplifiée par l’écho.
Sur cette petite vidéo de la cascade, au début j’ai réussi à filmer sans personne dans le champ de vision, mais l’ambiance sonore est gâchée par les piailleurs sénégalais que j’ai fini par filmer à la fin !!!

 

Ensuite, seconde petite différence : le rituel de la baignade dans cette grande piscine naturelle, dont une légende locale dit que l’eau y aurait des vertus bienfaitrices.
Habituellement, pas plus tôt Philéas arrive sur le lieu qu’il se met en slip et se baigne. L’eau y est bonne, ça rafraîchit bien après la marche d’accès, surtout avec la chaleur qui règne. Mais il en est tout autrement aujourd’hui…
Anthony et Philéas sont les seuls motivés pour faire trempette. Ils mettent leur maillot et vont s’assoir prudemment sur un rocher au bord de l’eau. Ils poussent un petit cri en cœur quand ils plongent leurs pieds. Philéas s’écrie, surpris :
<< La vache ! Elle est glacée !
– laisse tomber Papa, moi j’y vais pas, elle est trop froide.
– attends, laisse tes pieds un moment, le temps de t’habituer. Il fait chaud dehors, la différence de température est trop grande.
– non, non, je préfère pas, elle est gelée ! >>

Un couple de toubabs d’une cinquantaine d’années débarque alors. Décidément, il y a foule à Dindéfélo en ce premier jour de l’An !!!
On les salue, ils nous répondent en italien. Je savais qu’il y avait beaucoup d’espagnols au Sénégal, mais c’est la première fois que j’y aurais croisé des italiens.
L’homme veut se baigner lui aussi, il semble très motivé. Mais quand, à son tour, il trempe un orteil, la grimace sur son visage ne fait aucun doute : il déchante rapidement.

Contre toute attente, Philéas finit par renoncer aussi :
<< C’est fou ça ! Je n’en reviens pas. C’est la première fois que je viens ici et que je ne peux pas me baigner. Elle est vraiment trop froide, je ne peux pas y aller… Tant pis ! On essaiera de se baigner demain à Ségou. >>

 

 

 

 

 

 

On est resté là encore un petit moment, à observer le cirque bruyant de la bande de mecs. Un sketch ! Ils voulaient absolument s’approcher de la chute, sauf que le seul moyen d’aller toucher les eaux de la cascade c’est à la nage… Mais chacun tentait quand même sa chance de part et d’autre du bassin, en longeant les falaises, en équilibre, sur les rochers mouillés et glissants. On a bien cru(espéré) qu’il y en aurait un qui finirait à l’eau pour mettre encore un peu plus d’ambiance, mais non. Ils ont renoncé eux aussi.

Avec tout ce monde et ce ramdam, difficile de profiter pleinement de l’atmosphère si particulière (et si tranquille en temps normal) du lieu. Alors on décide de repartir au village avant le coucher du soleil, qu’on puisse profiter de la lumière du jour pour (tenter de) se doucher.

Sur le chemin du retour (même distance, même durée, même concert de protestations), le guide nous a expliqué que dans ces forêts vit l’un des derniers groupes de chimpanzés encore présents au Sénégal. Ils peuvent être observés au lever du jour lorsqu’ils vont s’abreuver au ruisseau. Nous les avons entendus (les chimpanzés se gueulent dessus, ça ne passe pas inaperçu !), mais malheureusement nous n’avons pas réussi à les voir en haut des arbres à travers l’épaisse végétation et les sacs de nœuds formés par les lianes. En revanche, notre guide nous a montré un nid : je ne savais pas que les chimpanzés construisaient des nids ! 
Philéas rêve depuis longtemps de cette rencontre furtive, cela fait partie des (rares) choses qu’il n’a pas encore pu faire là-bas. Mais bien sûr, c’est prévu sur sa liste ! Très certainement en 2016.

Moi, pour le moment, je ne rêve que d’une chose : pouvoir me laver ! C’est l’urgence sanitaire (pour ne pas dire humanitaire) absolue !!! Arrivés au campement, je presse le pas et me précipite vers notre case. Devant la porte, le seau vide, laissé en partant, a été rempli. Philéas a repéré le puits pour aller au ravitaillement pendant les opérations de décapage. Tout se présente bien. La délivrance est imminente ; reste plus qu’à me lancer avec enthousiasme dans cette nouvelle épreuve inédite de notre Iwol Express : la douche au seau.
<< bon, désolée mais j’y vais en premier ! Là, tout de suite, je ne sais pas comment je vais procéder pour défier les lois de la gravité, mais je vais être créative et m’adapter, comme toujours. Il faut bien une première fois à tout… >>
Philéas (qui, évidemment, maîtrise la douche au seau, mais pas les subtilités de la toilette féminine) commence à se moquer de moi. Estelle et Anthony rigolent, ils pressentent qu’ils vont être au spectacle. Du coup, ils veulent absolument rester et attendre dans notre chambre pendant la manœuvre.
<< Maman, s’il-te-plaît, on reste sur le lit. Promis, on te laisse tranquille !!! On ira se laver après. Papa a dit qu’il viendra nous aider aussi pour porter le seau trop lourd. 
– bon, ok, ok ! Allez, au boulot. >>
Ne pouvant attendre une minute de plus, je prends ma serviette, ma trousse de toilette, du linge propre et me rue au « patio-salle-d’eau ». Philéas, le seau plein à la main, me suit en ricanant. Estelle et Anthony s’affalent sur le lit en étouffant un fou rire.
Je suis tellement obnubilée par l’appel de la flotte que je zappe complètement mon incontournable rituel : passer l’endroit au crible pour vérifier qu’il n’y ait aucune bestiole indésirable qui se soit incrustée sous la paillote ouverte aux quatre vents. Le lieu est pourtant extrêmement propice aux invités de ce genre. Mais tant pis, je prends le risque !!!

La manœuvre va donc consister à me laver en extérieur, mais (à peu près) à l’abri des regards indiscrets des locaux, curieux d’apercevoir une toubab à poil. Il y a du passage derrière le mur, on entend trafiquer et parler. Mais bon…. ils ne peuvent voir que le haut de ma tête dépasser, donc je m’en accommoderai. Et puis à ma grande surprise, je trouve que c’est plutôt agréable dehors sous cette paillote.

Première étape : le mouillage initial (de la bête en sueur). Va falloir la jouer serré et bien calculer son coup. Il n’y a que deux seaux à disposition, dont l’un déjà vidé aux trois-quarts pour les wc. Je n’ai aucune idée de la quantité d’eau dont je vais avoir besoin. Je décide donc de commencer avec parcimonie en utilisant la timbale que je plonge dans le seau, puis je me verse avec empressement l’eau sur la nuque et le dos. Je pousse un cri de surprise lorsque je sens à quel point elle est gelée ! C’est le choc thermique au contact de ma peau en surchauffe. J’entends aussitôt Estelle et Anthony derrière la porte qui s’écroulent de rire. Je leur crie :
<< Heureusement que vous m’aviez promis de rester tranquilles sur le lit tous les deux !!!! >>
Je plonge à nouveau la timbale et m’asperge un bras. Je replonge la timbale délicatement pour éviter au maximum que la terre en suspension, qui s’est déposée au fond du seau, ne se mélange à l’eau. Fidèle à moi-même, je bascule en mode sarcastique :
<< J’ai l’impression d’être un poulet rôti qu’on arrose de son jus dans le four ! Je me mouillerais à la louche que ce serait aussi efficace… Vu la taille de la timbale, et vu ma surface corporelle, à ce rythme-là, je ne suis pas rendue !!! >>
Alors, pour me simplifier les choses, Philéas me propose de me soulever le lourd seau pour me le verser progressivement dessus. J’accepte volontiers et m’accroupis pour lui éviter d’avoir à lever trop haut.
<< Doucement hein !!! D’abord parce qu’elle est vraiment très fraîche ; ça fait du bien, mais sur le coup c’est un peu trop vivifiant. Ensuite parce qu’on va tâcher d’être économe, ça t’évitera d’aller au puits.
– non mais déjà, j’irai récupérer les seaux dans la case des gosses, et je mettrai les vides devant leur porte. On gagnera du temps. >>
Heureusement qu’il est là mon Philéas ! A deux, c’est effectivement beaucoup plus simple. Mais survient pour moi l’inévitable casse-tête de l’arrosage efficace des zones féminines moins accessibles…
<< Maintenant, va vraiment falloir que tu m’expliques comment tu arrives à défier les lois de la gravité toi. L’eau, forcément ça tombe et coule direct. Jusqu’à preuve du contraire, ça ne remonte pas.
– Tu dois bien être la seule femme au monde à ne pas savoir te laver sans un pommeau au bout d’un flexible de douche !
– oui ben excuse-moi de pas être assez habile, mais à moins de faire le poirier, je vois mal comment procéder pour ressusciter la moule qui crie au secours !!! >>
Estelle et Anthony sont en apnée, l’oreille collée derrière la porte, de plus en plus morts de rire. Il ne manquerait plus qu’ils nous fassent une syncope.
<< Rigolez bien les deux là-bas !!!! On verra comment vous allez vous débrouiller quand ce sera votre tour !!!!! >>
Philéas ricane aussi en douce…
<< T’as qu’à te tremper carrément dans le seau !
– mais t’es dégueulasse, je vais pourrir toute l’eau !!! Et puis de toute façon, le seau n’est pas assez large ni assez plein !!! Non, allez, c’est bon, aux grands maux les grands moyens. Le moment de honte sera vite passé. >>
Je me positionne sur la bonde d’évacuation. Je remplis une timbale d’une main et, tant bien que mal, je fais asperseur avec l’autre main. Un sketch… Le fou rire me prend à mon tour. Cette technique système D n’est pas idéale, mais fera l’affaire.

Deuxième étape : le savonnage (découennage/décapage des couches de crasse accumulées depuis 3 jours). Là, tempête sous un crâne : sans tremper ma savonnette dans le seau d’eau « propre » pour ne pas la souiller, comment vais-je réussir à la faire mousser entre mes mains tout en y versant de l’eau pour qu’elle mousse justement ? Me sentant de nouveau pas dégourdie du tout, j’éclate de rire. Philéas, toujours bienveillant et fort de son expérience, avec une patience à toute épreuve, se risque à me suggérer une méthode :
<< t’as qu’à la faire mousser dans une seule main pendant que de l’autre tu verses un peu d’eau….. >>
Ben pardi, ça tombe sous le sens ! Je m’exécute, mais la savonnette me glisse instantanément de la main et atterrit par terre. Je la récupère « panée » de tout ce qu’elle a ramassé sur le sol…
<< OK…. tout va bien, en plus de moi, j’ai une savonnette sale à laver maintenant ! >>
Je rattrape la savonnette et la rince avec ma timbale. Comme je n’arrive décidément pas à la tenir d’une seule main, Philéas, dans son extrême bonté, me vient une fois de plus en aide :
<< Allez va, donne-moi ta timbale, je vais te verser l’eau… >>
Grâce à mon Sauveur, le savonnage peut enfin commencer. Je frotte aussi fort que possible, à la limite de m’entamer la peau. Je rêve même carrément d’une gratounette exfoliante (alors que je déteste ça). Rien que la simple odeur de ma savonnette au citron me donne l’impression d’être un peu moins crade. Sauf que je vais rapidement déchanter. Le stock d’eau s’amenuise. Il ne me reste plus que la timbale de pleine. J’en arrive aux zones sinistrées « confinées », et là, c’est la catastrophe ! Le simple contact avec la mousse citronnée me provoque une sensation de brûlure insoutenable. Je beugle de douleur. Philéas ne comprends pas ce qui m’arrive :
<< Qu’est-ce qui se passe ?
– oh la vache… ça me brûle ! La moule hurle à la mort < achevez-moi > !!! Vite de l’eau, c’est insupportable !!! >>
J’attrape la timbale comme une furie, manquant la renverser par terre, et me balance la flotte sur l’incendie à l’entresol… sauf que dans ma précipitation, je rate la cible…. (décidément…. moi qui suis plutôt habile de mes mains en temps normal, il faut croire que la chaleur et la fatigue ont eu raison de ma motricité manuelle).
<< Je t’en supplie, va vite me chercher de l’eau !!! Je vais pas pouvoir supporter ça longtemps !!!! >>
Philéas prend alors les seaux vides et part en courant chercher ceux de nos petits aventuriers hilares qui, eux, ne perdent pas une miette du « drame » qui se joue. Les villageois, de passage dans la rue derrière le mur, non plus apparemment… J’entends des gosses rire aux éclats. Et moi pendant ce temps, j’attends dans la position du crabe, très inconfortable et acrobatique, mais qui a le mérite de m’éviter au maximum tout contact. Je gémis en serrant les dents.
Philéas revient chargé comme un âne. Il pose un seau et me balance dessus la moitié de l’autre d’un coup. L’eau froide atteint la cible du premier coup et éteint l’incendie…
<< OUF ça soulage ! Ah non mais vraiment, j’en peux plus là : vive les joies de l’aventure quoi !!! >>.

Sauvée des flammes, je peux terminer les opérations de savonnage et passer à la suite. 
 
Troisième étape : le rinçage (de la suppliciée). Après ces émotions et ces sensations fortes, nous sommes techniquement au point avec Philéas ! Il me porte le seau pour me verser doucement l’eau en cascade pendant que je me rince en mode pub tahiti douche. La couleur du jus marronnasse qui coule est indescriptible…  Le soulagement que je ressens est incommensurable. Je me délecte du bonheur immense de me sentir propre… 
 
♬ ♪ ♫ ♪♪ ♫ ♬ ♪ ♫ ♪♪ ♫ 
Il en faut peu pour être heureux,
vraiment très peu pour être heureux.
Il faut se satisfaire du nécessaire… Oh oui !
Un peu d’eau fraîche et de verdure,
que nous prodigue la nature,
quelques rayons de miel et de soleil…
♬ ♪ ♫ ♪♪ ♫ ♬ ♪ ♫ ♪♪ ♫

Mon baptême de douche au seau aura été un grand moment (de ridicule et d’humiliation) que je ne suis pas prête d’oublier…

C’est au tour d’Estelle et Anthony de passer l’épreuve de l’initiation à la douche au seau. Ils ont mal aux abdos tellement ils ont ri, mais au moins, ça les aura détendus de cette journée harassante… Après cette bonne douche, ils seront requinqués.
Philéas embarque le peu d’eau qu’il reste et accompagne nos joyeux apprentis baroudeurs jusqu’à leur case. Devant la porte, ils y découvrent les seaux vides qui ont été remplis.
Leur patio-salle-d’eau jouxte le nôtre, je ne vois rien mais je peux tout entendre. Et je ne vais pas être déçue !!! Anthony semble beaucoup s’amuser, l’eau fraîche ne lui posant pas trop de problème, au contraire. Quand vient le tour d’Estelle, c’est moins « évident ». On l’entend pousser des petits cris stridents car, évidemment, elle trouve que l’eau est froide. Comme ils ont du gel douche, le savonnage ne pose pas de « soucis techniques ». Au moment du rinçage, elle rit comme une hyène en suppliant son père de verser doucement. Mais Philéas finit par lui balancer carrément tout le contenu d’un seau d’un coup : j’entends un grand SPLASH accompagné d’un hurlement d’hystérique. Anthony est écroulé de rire :
<< Vas-y Papa, encore un seau !!! Elle est pas assez rincée…
– ANTHONY t’es un sadique. Je vais te crever !!! 
– Calme-toi Estelle. Bon allez, pendant que tu termines, je vais prendre ma douche moi aussi. On se retrouve ensuite pour manger. >>.

Derrière le mur, l’attroupement de gamins profitent toujours du spectacle sonore. Car il faut bien avouer qu’on met l’ambiance ce soir au Campement villageois de Dindéfélo, on ne passe pas inaperçu… comme souvent… partout où la FOGUES Family passe, la zénitude trépasse…

Nous voilà enfin propres et rafraîchis, dire que ça fait un bien fou est un doux euphémisme.
La nuit tombe, la température avec. Nous prenons alors nos lampes, le spray répulsif insectes et rejoignons le guide et Spaghetti.
Ce soir, nous pique-niquons sous la « paillote-bar-resto » du campement. Il n’y a que nous. L’atmosphère est calme et sereine. En guise d’éclairage, deux misérables bouts de chandelle brûlent sur la table. Nous nous empressons de les déplacer et les poser sur des couvercles de bocaux récupérés dans nos glacières. C’est joli ces bougies, mais à part risquer de mettre le feu à la nappe et aux serviettes en papier, ça n’éclaire pas grand-chose. Heureusement que nous disposons de nos lampes frontales, ça nous est d’un grand secours pour identifier ce que nous avons dans les assiettes.
Le repas terminé, nous ne faisons pas de vieux os. Tout le monde est crevé. Il nous faut dormir pour reprendre des forces avant la dernière grande épreuve de notre Iwol Express…
Nous récupérons les couvertures dans le 4×4 (mieux vaut les avoir et ne pas en avoir besoin que risquer de se geler toute la nuit une fois de plus) et partons à nos cases dans la nuit noire. Manque de bol, le générateur électrique du panneau solaire est tombé en panne donc plus de créneau horaire avec un peu d’électricité dans les chambres. De toute façon, ça ne change pas grand-chose car ça ne fonctionne plus dans notre case : l’ampoule a grillé, et elle a beau avoir été changée, il y a un faux contact à l’interrupteur. Mais ce n’est pas grave, nous sommes suréquipés en systèmes d’éclairage mobiles !
Nous préparons alors toutes nos affaires pour être prêts à lever le camp après le petit déjeuner du lendemain. Pendant ce temps, Estelle et Anthony jouent aux explorateurs avec leurs loupiotes dans leur case et font une découverte étonnante qu’ils viennent nous montrer en courant. Anthony nous explique :
<< Papa ? Maman ? Vous avez essayé le lit ?
– non, pas encore, pourquoi ?
– il est électrique !!!
– de quoi ?
– regarde le tour de magie…. >>
Là, Anthony se frotte la tête contre le drap, des étincelles apparaissent et ses cheveux restent droits sur sa tête ! Je ne sais pas en quelle matière est ce tissu, mais en tout cas, c’est un excellent générateur d’électricité statique.
Au moment de nous coucher, nous nous rendons compte qu’on ne peut pas fermer la porte à clé de l’intérieur, seulement de l’extérieur. V’là aut’chose ! Je ne suis pas très enchantée à l’idée de laisser Estelle et Anthony dormir seuls la porte juste poussée. Nous décidons donc de les enfermer de dehors et de garder leur clé avec nous. En cas de problème, ils n’auront qu’à sortir dans le patio-salle d’eau et nous appeler. Quant à nous, nous entassons tous les sacs à dos derrière la porte pour faire barrage : si quelqu’un cherche à entrer, on l’entendra forcément…
En tout cas, moi, je n’ai absolument rien entendu durant la nuit car j’ai ENFIN réussi à dormir plusieurs heures d’affilée : ma douche au seau froide a dû être miraculeuse !!! 

Vendredi 2 janvier 2015 : avant-dernier jour de notre aventure Iwol Express. L’heure de la dernière grande épreuve a sonné : le trek final est annoncé.
Ce matin, personne n’est dans une forme olympique. Tout le monde est courbaturé et fourbu de la journée de la veille. Estelle se plaint d’ailleurs de son genou : s’il nous lâche maintenant, ça ne va pas être pratique pour la randonnée qui nous attend… Hier, ce n’était qu’un petit entraînement…

Après avoir pris un solide petit déjeuner, nous chargeons toutes les affaires dans le 4×4 puis partons du campement de Dindéfélo, direction la cascade de Ségou pour notre dernière exploration.
Durant le trajet, Spaghetti nous paraît de plus en plus contrarié. Nous demandons au guide ce qui le tracasse. Il nous explique alors que pour aller à Ségou, la piste est en très mauvais état (déjà qu’on trouve les pistes pourries, je n’ose même pas imaginer…), et comme nous n’avons plus de roue de secours depuis la descente d’Iwol, il a peur de crever !!! J’avais déjà complètement oublié cet épisode, pourtant c’était hier !!! Depuis, il n’a pas encore pu faire réparer le pneu. La prudence est donc de mise.
Arrivés au village de Ségou, nous prenons le chemin qui mène au point de départ du trek pour aller jusqu’à la cascade. La tension monte d’un cran : Spaghetti, pourtant impassible d’habitude, est visiblement nerveux.
Il faut avouer que quand on découvre là où on doit passer, il y a de quoi s’inquiéter pour les roues !!! La piste n’est qu’une succession de caillasses saillantes et coupantes. Nos pneus presque lisses pourraient être éventrés à la moindre fausse manœuvre. Le camion doit faire le fakir s’il veut passer sans éclater !!! Spaghetti roule au pas, plus doucement que ça, c’est l’arrêt ; à ce rythme-là, on ne sait pas à quelle heure on va arriver. Chaque caillou est négocié à grand coup de volant. Nous sommes secoués, nos lombaires font du trampoline mais nous retenons notre souffle et croisons les doigts.
Au bout de quelques minutes, Spaghetti jette l’éponge : il sort du chemin, roule dans un champ et va se garer à l’ombre d’un arbre immense. Le guide nous explique qu’il refuse d’aller plus loin car la piste est encore plus mauvaise ensuite (ah bon ? Plus mauvaise ? C’est possible ???), il ne veut pas prendre de risque. Tout bien réfléchi, il a raison Spaghetti : mieux vaut marcher un peu plus maintenant et pouvoir repartir après le trek, car nous avons beaucoup de kms à parcourir ensuite. Il décide donc de nous attendre dans le camion pour garder toutes les affaires. Le trek final s’en trouve quelque peu rallongé et part de là !
Ce n’est que le matin mais il fait déjà très chaud. Nous nous tartinons de crème solaire, prenons nos petits sacs à dos chargés de bouteilles d’eau et de quoi grignoter pour les fringales. Estelle et Anthony, qui détestent marcher et qui sont fatigués de ces derniers jours, ne sont pas du tout motivés et nous le font bien comprendre… Tout va se jouer au mental… C’est parti…


Le guide nous emboîte le pas et retourne sur la piste défoncée que le 4×4 a abandonnée.
Le paysage qui nous entoure est pittoresque et me plait beaucoup, mais je réalise qu’il faut atteindre les collines au loin… Oui… forcément… la cascade de Ségou dévale une falaise, donc l’eau ne peut provenir que du haut des collines…
Ce n’est pas que je me décourage, mais avec le soleil qui cogne fort, cette mise en jambes en plein cagnard va nous tuer dès le départ de l’action.

Je suis surprise lorsque nous dépassons un groupe de femmes avec des gamins, je n’ai pas compris où ils allaient, ce chemin est un cul de sac.

 

 

 

 

Au bout d’un moment, le sentier se rétrécit, la végétation commence à changer et à être plus touffue.
Puis soudain, nous traversons un bois de bambous ; c’est plutôt inattendu ici mais c’est le signe que nous approchons d’une zone où il y a de l’eau.
Le guide nous montre alors quelque chose de rare : la floraison des bambous. Elle est rare car pas du tout annuelle. Ici, des scientifiques ont observé que le phénomène se produit en moyenne une fois tous les 10 ans.
Nous ne savions même pas que les bambous fleurissaient, c’est une grande découverte plutôt insolite pour nous.
Les fleurs de cette variété de bambous sont plutôt moches mais surprenantes, on dirait des pompons ressemblant à des bogues de châtaignes.
Peu après ce bois de bambous, l’eau fait son apparition. Le guide nous explique alors que le départ du trek est là. Il n’y a bientôt plus de chemin, mais il y a de l’ombre à partir de maintenant ! Cela se ressent immédiatement sur la température qui devient beaucoup plus supportable, une bénédiction…

 
 
 

 

 

 

 

 

 

Au fur et à mesure que nous avançons, je comprends mieux pourquoi très peu de guides touristiques indiquent la cascade de Ségou ! Il faut reconnaître qu’elle est plutôt difficile d’accès. Ce n’est pas insurmontable, mais elle se mérite…
Comme celle de Dindéfélo, elle est nichée au terminus d’un canyon, moins haut mais plus étroit et encaissé.
Pour y aller, il n’y a donc aucun sentier : il faut crapahuter pour remonter le cours du ruisseau à travers un labyrinthe rocailleux à la végétation exubérante.
Ce dédale est plutôt escarpé par endroit, il faut monter, descendre, remonter, redescendre. Les quadriceps sont soumis à rude épreuve et les jambes fatiguent vite. Estelle et Anthony préfèrent s’aider d’un bâton… en plus de râler comme des poux et nous maudire à haute voix…

 

 

Pour pouvoir progresser, il nous faut traverser le cours d’eau à plusieurs reprises car on ne peut passer que par un seul côté.

 

 

Nous traversons des clairières étroites absolument féériques, magnifiques avec leur tapis de fougères verdoyantes (plantes qu’on ne s’attend pas du tout à voir ici).

 

 

Certains passages prennent même des faux airs de via ferrata, mais sans aucune protection !!! Très concentrés, nous jouons les équilibristes, tels des bouquetins à la queue leu leu.

 

Pendant toute la procession, je supplie (pour ne pas dire soûle) mes troupes de consciencieusement regarder où elles posent les pieds pour ne pas tomber, et les mains car, évidemment, je crains encore et toujours la rencontre animale non désirée !!!

Par chance, la seule bestiole qui s’est mise en travers de notre chemin a été un énorme mille-pattes.

Les courbatures de la veille nous tirent de plus en plus, nous nous sentons faiblir. Je m’inquiète un peu car il va bien falloir trouver l’énergie nécessaire pour le retour… Mais après 1 h 45 de trek intense (même pour Philéas qui n’est que l’ombre de lui-même en cette fin d’aventure), l’émerveillement est au rendez-vous…. Pour moi, l’effort vaut très largement la peine d’avoir été fourni car la récompense est au bout du chemin, et elle n’est que pour nous cette fois…
Pour Estelle et Anthony, le plaisir/soulagement d’avoir atteint la cascade est… comment dire… beaucoup plus mitigé… Ils ne pensent qu’à une chose : trouver un rocher pour s’assoir, reprendre leur souffle, bouder, boire et grignoter quelque chose.

 
 
 

 

 
Philéas se met aussitôt en slip et plonge le bout d’un orteil dans la vasque de rochers au pied de la chute d’eau. Le bassin est beaucoup plus petit qu’à Dindéfélo, mais l’eau est moins froide. Philéas arrivera à s’y tremper entièrement, le temps d’aller jusque sous la cascade et de revenir. Mais pas plus longtemps, il la trouve un peu trop fraîche à son goût tout de même…
 

 

Ici le temps est comme suspendu. Nous sommes seuls pour profiter du site, bercés par les seuls piaillements entêtants des myriades d’oiseaux et le bruit de l’eau.
J’adore ce petit goût de Jardin d’Eden perdu au fin fond d’une forêt envoûtante, bien plus que Dindéfélo finalement, pourtant plus spectaculaire.
Nos petits explorateurs, de leur côté, font du boudin en silence, des éclairs de ras-le-bol leur sortant des yeux…
Pendant ce temps, le guide observe la cime des arbres à la recherche de la famille chimpanzé qui vit dans les parages. Malheureusement, nous n’aurons pas le privilège de pouvoir les observer. Dommage !

Cette parenthèse enchantée doit se refermer trop vite, mais nous devons penser au retour qui s’annonce laborieux.
Il me faut (re)motiver nos « desperate children » qui se transforment en chiens enragés : ils ne s’expriment plus qu’en grognant et en nous aboyant leur saturation… Mais il faut bien avouer que maintenant qu’ils savent précisément ce qu’il faut fournir comme efforts pour venir jusqu’ici, trouver des arguments de motivation pour leur faire entendre raison est mission impossible. Ça ne sert à rien de leur raconter des cracks : ils en ont bavé pour l’aller, ils savent pertinemment qu’ils vont en chier pour le retour !
Il est donc inutile de m’épuiser à tenter, en vain, de leur faire entrevoir un quelconque point attractif à la seconde mi-temps de ce trek final… Autant se mettre en route sans perdre plus de temps.
Nos jambes ne mettent pas longtemps avant de flageoler, les muscles finissent par trembler à chaque flexion/extension. Mais il ne faut ni faiblir, ni traîner la patte vu le parcours d’équilibriste incontournable.
Au fur et à mesure de la progression, les grognements de rage laissent la place à des lamentations et des gémissements de fatigue : Estelle et Anthony s’approchent de leurs limites, et moi avec…

 

 

 

 

 

 

Nous crapahutons tels des zombies, les guiboles tétanisent, nous dépérissons à vue d’œil.
La sortie de la forêt ombragée va nous achever ! Nous retrouvons le sentier écrasé de chaleur avec le soleil au zénith. Avancer devient un supplice tellement il fait chaud. Nous avons mal partout.
Estelle et Anthony se mettent à pleurer en silence, leurs nerfs lâchent, ils sont à bout de force. Soudain, Anthony n’arrive même plus à marcher, ses jambes ne le portent plus. Philéas, éreinté lui aussi et les lombaires en vrac en bonus, est obligé de le porter sur son dos. Voyant ça, Estelle, en larmes, sort de ses gonds : elle s’arrête à son tour, refuse de continuer, s’assoit sur le sentier et menace de ne plus bouger tant que le 4×4 ne vient pas la chercher. Manquait plus que ça !!! Il nous reste encore beaucoup de route jusqu’à ce soir, sans compter que nous n’avons même pas encore mangé et l’heure tourne…
Face à cette grève du zèle, il me faut déployer un trésor d’énergie (malgré mes batteries à plat) et de force de persuasion pour la convaincre de se relever et de continuer à avancer. Je n’ai aucune intention de moisir ici !!! Je porte le sac à dos de Philéas et la bouteille d’eau d’un côté, de l’autre je tracte ma fille en la traînant par la taille bras dessus bras dessous.
Le cortège des éclopés a achevé son trek final au mental…
Arrivés au 4×4, toujours garé à l’ombre et avec Spaghetti faisant la sieste sur la banquette arrière, nous nous écroulons, exténués. Nous n’en pouvons plus, nous mourons de chaud, nous avons soif, nous avons faim, nous avons les jambes en compote. Estelle et Anthony sanglotent d’épuisement pendant que nous les applaudissons et les félicitons pour l’exploit qu’ils viennent d’accomplir et pour la vaillance dont ils ont fait preuve depuis le début de cette aventure. Estelle ne perd pas pour autant son sens de la dérision :
<< PLUS JAMAIS ÇA LES PARENTS !!! Je suis au bout de ma vie là… Non mais sérieux, je vois un tunnel avec une lumière au bout… Que quelqu’un m’achève s’il-vous-plaît !!! >>

Nous sommes très FIERS de nos valeureux aventuriers car maintenant ils pourront dire qu’Iwol Express, ILS L’ONT FAIT !

 

 

Nous soufflons quelques instants avant de monter dans le camion et partir.
Nous entamons le grand marathon du retour qui nécessite deux jours…

Nous rebroussons donc chemin, en repassant par le même check-point de la « police des frontières » qui pose moins de « problème » cette fois. Nos deux seuls soucis, pour l’heure, sont : manger dès que possible et surtout ne pas crever un pneu !

Première étape : KEDOUGOU à une trentaine de kms de là, distance que nous parcourons en pratiquement deux heures par la même piste défoncée ralliant la grande piste en latérite. En route, étant donné l’heure qu’il est, le guide décide de téléphoner à des cousines à lui pour qu’elles nous préparent un repas. Nous arrivons à Kédougou peu après 14h30. Nous faisons escale dans un terrain vague à l’ombre de grands arbres. Le guide nous descend tout le nécessaire pour le pique-nique et repart en 4×4 avec Spaghetti pour déposer la roue crevée à faire réparer à la « boutique du vulcanisateur », et pour aller chercher les cousines cuisinières avec le festin. Nous restons donc tous les quatre seuls à attendre (avec impatience) leur retour. Il ne faut pas longtemps avant qu’un troupeau de gosses, curieux de voir une famille de toubabs parachutée là, ne surgissent de nulle part. Ils s’approchent de nous en se cachant derrière les arbres et nous crient en riant :
<< Toubab ! Toubab ! Donne-moi 100 francs ! >>
Nous sommes cernés et n’avons rien d’autre à leur donner que les quelques bananes qu’il nous reste. Erreur…. c’est la bagarre générale pour se chiper les bananes !!! L’attente devient alors interminable. La chaleur, la faim, la fatigue (et mon imagination débordante un peu trop fertile) me font un peu perdre tout discernement :
<< Et s’ils nous avaient abandonnés en embarquant toutes nos affaires ??? On serait beau tiens !
– ah non, ne commence pas… >>
Heureusement, je ne vais pas pouvoir délirer trop longtemps, car le 4×4 revient au bout d’une demi-heure avec, à l’arrière, les trois cousines chargées de grosses gamelles.
Elles descendent du camion et viennent nous les déposer sur la paillasse par terre. Vu la taille des cocottes (qui semblent flambantes neuves) et les doses préparées, je suppose qu’elles vont rester manger avec nous. Mais en fait, non, pas du tout. Tout ça, ce n’est que pour nous, le guide et Spaghetti. Les filles, elles, ne restent pas et repartent immédiatement, à pied !

Nous finissons d’installer le pique-nique et nous « mettons à table » pliés en quatre sur la natte-nappe. Philéas attrape les gamelles (qui ont encore leurs étiquettes, elles sont bel et bien flambantes neuves) et les ouvre pour découvrir le menu imposé : d’un côté une sorte de volaille en sauce, et de l’autre du riz aux légumes. La joie et le soulagement à l’idée de manger vont être de courte durée pour Estelle et Anthony. Le riz est pimenté et leur emporte les papilles dès la première énorme bouchée engloutie. Ils n’arrivent pas à le manger et renoncent, ça pique trop pour eux.
La quantité astronomique de bouffe qu’il reste nous met mal à l’aise, les filles ont vraiment fait à manger pour un régiment… Alors nous décidons d’en donner aux gamins qui continuent à nous observer « cachés » derrière les troncs d’arbre qui nous entourent.

Le pique-nique terminé, nous remballons tout et repartons ramener les gamelles puis récupérer le pneu à présent réparé.
Nous rejoignons ensuite le bitume (nos lombaires vont pouvoir souffler un peu…), qui nous ramène jusqu’au campement de Wassadou à 175 kms de là.

 

 

 

Après presque 3 heures de route surchauffée, nous arrivons au campement de Wassadou (notre deuxième étape) à la tombée de la nuit et…. on roule carrément à l’aveugle sur le dernier sentier car…. plus de phares !!! Ce n’est pas une blague !!! Spaghetti s’est arrêté au bord de la route quand le jour a commencé à baisser, mais on n’a pas compris ce qu’il trafiquait devant le camion. Il inspectait les phares qui sont tombés en panne à un moment indéterminé de l’aventure… Malgré ça, le cheval sentant l’écurie, il s’était alors mis à rouler à 110 km/h sans y voir grand-chose dans l’obscurité !!! Nous n’étions pas franchement rassurés derrière.
Décidément ! Plus de boitier de vitesse pour les quatre roues motrices, les pneus lisses, les freins plus très efficaces, le frein moteur H.S., et enfin plus de phares… En fait, c’est tout le 4×4 qui tombe progressivement en ruine faute de moyens pour l’entretenir…  On n’en savait rien… Et dire qu’on aurait pu rester en rade n’importe où, à n’importe quel moment !!!

Nous n’épiloguerons pas sur ce dernier contretemps, nous sommes pressés de tout décharger, récupérer toutes nos affaires et aller à nos chambres pour pouvoir prendre une vraie douche…. tant que c’est l’heure où il y a de l’eau et de l’électricité !
Inutile de préciser que cette douche (avec pommeau et flexible !!!) bienfaitrice est un pur bonheur, même si la flotte est toujours aussi fraîche et vivifiante…
Nous allons ensuite sous la paillote pour le repas du soir. Nous y retrouvons Samba qui est au rendez-vous, revenu pour notre grand départ du lendemain.
Nous ne nous attardons pas pour profiter de cette dernière soirée. Nous sommes exténués et devons encore défaire et refaire tous les bagages avant de pouvoir se coucher….. et se geler pendant cette dernière nuit en Terres Sénégalaises.

Le réveil aux aurores (par le doux bruit des groupes électrogènes) le lendemain matin est douloureux : nous ne sommes qu’une gigantesque courbature, les jambes sont totalement endolories.

 
 
 
 
 
 
 
 
 


Dernier petit déjeuner face au lever de soleil sur le fleuve Gambie, accompagné par les piaillements envoûtants des oiseaux.

Dernier petit bonjour aux magnifiques merles métalliques qui cherchent à se réchauffer aux premiers rayons de la journée.

 

Dernière observation des babouins vivant dans l’arbre sur l’autre rive. On dirait que c’est dur pour eux aussi le matin, ils sont beaucoup plus calmes que le soir…

 

Et puis il est l’heure de mettre les voiles.
Au programme de cette dernière journée : cuire à la vapeur de notre propre sueur dans la chaleur étouffante du four taxi brousse, en parcourant les quelques 525 kms qui nous séparent de l’aéroport de Dakar. Temps de cuisson : neuf heures, pause déjeuner comprise.
La route est goudronnée et en grande partie en assez bon état (car partiellement refaite grâce aux financements des chinois qui s’implantent massivement en Afrique), ce qui va grandement nous faciliter l’épreuve de notre seconde grande traversée du pays, d’Est en Ouest cette fois…

Samba a avancé son grand carrosse-corbillard blanc. Nous y chargeons toutes nos affaires (avec une partie du fonio, on n’en a gardé que 2kg)… ainsi que le guide qui nous a demandé de l’embarquer avec nous sur une grande partie du trajet. Nous devons le déposer en passant à M’Bour dans le courant de l’après-midi.

C’est parti… pour le parcours qui n’en finit plus…

 

 

 

 

 

Après avoir avalé 340 kms de route en plus ou moins 4h30, nous arrivons à la troisième étape : KAOLACK l’unique et indescriptible… deuxième ville du Sénégal où nous avons (sur)vécu quelques mois en 1994… En 20 ans, tout a beaucoup changé, pourtant l’idée générale reste la même. Nous faisons découvrir ce lieu mythique à Estelle et Anthony, éberlués et…. soulagés de ne pas avoir eu à naître et vivre ici !!!

 

 

 

 

 

Bien que cette ville-décharge-à-ciel-ouvert ne soit pas du tout appétissante, nous y faisons la pause déjeuner, toujours au même endroit : chez l’incontournable et incomparable Anouar (libanais très catholique) qui tient un restaurant avec sa sœur, depuis des temps immémoriaux ! C’est le resto, faisant office de « relais routier », fréquenté par Philéas pour le ravitaillement d’étape lors de ses expéditions SénéGauloises annuelles.

 

 

Dans un coin de la salle, devant le bar, trône un sapin enguirlandé (100% plastique made in China). Cela nous rappelle soudain que nous sommes toujours en période de vacances de Noël !!! Le dépaysement est tel que nous l’avions complètement oublié depuis un bon moment… Il faut donc se préparer à retrouver le froid de l’hiver incessamment sous peu…

Estelle et Anthony ont profité d’être là pour aller voir de leurs propres yeux et beaucoup rire des consignes affichées dans les toilettes. Ces directives ont le mérite d’être très claires ; il semble que ça sente (au sens figuré) surtout le vécu…

Après avoir papoté avec Anouar, pris des nouvelles locales et nous être sustentés, nous reprenons la route.
Il nous reste 3 heures de cuisson pour 185 kms à parcourir.

 

 

 

 

 

 

Les paysages de cette région sont radicalement différents. C’est le Sahel, et dans la zone autour de Kaolack, les terres sont saturées de sel.

 

 

 

 

 

 

 

En chemin, nous déposons le guide à M’BOUR. Puis une soixantaine de kms plus loin, nous atteignons l’entrée de la toute nouvelle autoroute. Il n’y a pas foule ! Et c’est tant mieux car l’approche, l’arrivée et la traversée de Dakar est un enfer… Ce tronçon d’autoroute est une bénédiction, il permet de raccourcir l’itinéraire de pratiquement 2 heures en évitant les kms de bouchons permanents !

 

 

 

 

 

 

 

Après 9 heures de route, dernière étape de notre seconde grande traversée : l’aéroport international Léopold Sédar Senghor à Yoff. Nous remercions Samba, notre super chauffeur qui a été impeccable comme à chaque fois, et lui disons au revoir.
Commence alors l’interminable attente jusqu’à l’heure de notre premier avion retour prévu à 23h15… Sans surprise, nous décollerons avec du retard, le contraire nous aurait étonné…

 

 

 

 

 

 

Dimanche 4 janvier 2015 : le vol de nuit a été éprouvant pour Estelle. Elle a commencé à vomir peu après le décollage. J’ai d’abord pensé qu’elle avait mangé un truc qui l’avait dérangée. Mais comme ça bougeait un peu dans l’avion, je me suis rendue compte qu’en fait elle avait le mal de l’air. Impossible de lui donner de quoi la soulager, elle vomissait à chaque fois qu’elle avalait un comprimé.
Heureusement qu’il y avait des sacs pour vomir à nos sièges. Le hic c’est que l’étanchéité laisse un peu à désirer ! Je me suis retrouvée avec un sac plein sur ma tablette, au milieu de mon diner, pendant que les hôtesses servaient les plateaux repas et n’étaient donc très pas disponibles. Je tenais le sac et il s’est éventré à la base, en laissant s’échapper le contenu, bien odorant, dans mon « assiette ». Pendant ce temps, ma pauvre Estelle remplissait un autre sac… Le vol cauchemar…
Avant l’atterrissage, j’ai récupéré toutes les poches à vomi neuves que j’ai pu et je les ai discrètement glissées dans mon sac à dos. Et j’ai bien fait car on en a eu bien besoin à l’arrivée à Madrid au petit matin. L’attente aux contrôles a été épique avec Estelle la tête sur son sac à vomi. On n’est pas passé inaperçu lorsqu’il a fallu que je lui enlève ses chaussures (pour passer aux portiques de sécurité) parce qu’elle ne pouvait pas le faire elle-même ne s’arrêtant pas de faire des efforts pour vomir bruyamment, pendant que les voyageurs dans la queue derrière s’impatientaient. En plus, il y avait des panneaux de présentation de la fièvre Ebola un peu partout, on ne se sentait pas du tout observé avec suspicion !!!!
L’attente pour prendre le second avion pour Barcelone a été compliquée, et le vol, n’en parlons pas. Estelle était épuisée, elle n’en pouvait plus…
Arrivés à l’aéroport de Barcelone, une fois tous les bagages récupérés, on est parti le plus vite possible en dissimulant comme on pouvait Estelle qui, en plus de vomir dans son sac, s’est mise à saigner abondamment du nez ! On aurait vraiment pu croire qu’on transportait une malade d’Ebola, et il était hors de question de prendre le risque de se faire embarquer pour être mis en quarantaine. La pauvre, elle était blanche comme un bidet Jacob Delafond, une poche à vomir sur la bouche, le nez par-dessus qui pissait le sang à chaque fois qu’elle faisait un effort pour dégoupiller de la bile… C’était très gore.


Nous sommes rentrés au bercail tous épuisés, frigorifiés, plus ou moins enrhumés et…. sales comme des peignes. D’ailleurs, la première chose qu’on a faite en arrivant à la maison, après avoir jeté tous nos sacs par terre, c’est aller faire des fêtes de fous furieux à nos douches !!! Aaaaah les retrouvailles avec mon pommeau, c’était quelque chose !!!!

La reprise dès le lendemain matin a été très difficile pour tous les quatre (Estelle et Anthony avaient des évaluations toute la journée, les pauvres). Mais ce n’est finalement pas bien grave car Estelle, Anthony et moi, nous étions tellement contents (quel euphémisme) de retrouver notre petit confort douillet : un vrai lit pour de vraies nuits de sommeil, une vraie douche, des wc dignes de ce nom, pas besoin de systématiquement inspecter ses vêtements et de taper ses chaussures avant de les mettre pour chasser d’éventuelles bestioles qui s’y seraient glissées, etc etc etc…. Philéas, quant à lui, était content aussi de rentrer, mais pour mieux repartir dès que possible… Il pense déjà au prochain voyage familial !

Durant ces deux semaines de péripéties, la Fogues family a réussi à survivre à son trip « Iwol express en terre (plus du tout) inconnue » qui s’est avéré être une aventure vraiment exceptionnelle à plus d’un titre !!!! 
De l’avis d’Estelle et Anthony, ce fut d’abord un voyage jusqu’au bout d’eux-mêmes, mais aussi et surtout unique… oui UNIQUE, dans le sens de UNE SEULE FOIS… et plus jamais ça…

 

ÉPILOGUE :
Nous avons mis au congélateur les kilos de fonio ramenés à la maison afin de détruire par le froid tous les germes/parasites/bactéries/champignons/et autres particules potentiellement pathogènes.
Quelques jours plus tard, nous en avons sorti un peu pour faire une dégustation.
Avant de la faire cuire à la vapeur comme le couscous, Philéas a voulu rincer la graine de fonio : bien lui en a pris !!! Le premier jus de trempage est instantanément devenu marronnasse avec de la terre qui s’est déposée au fond du saladier. Il a donc fait un deuxième rinçage, avec le même résultat, puis un troisième, puis un quatrième, et encore un cinquième… Quand on a vu la quantité de terre enlevée du fonio, on a mieux compris pourquoi on a eu ce goût de terre qui nous est revenu en bouche lorsqu’on en a mangé à Iwol !!! 
Il nous reste encore du fonio au congélateur. Si quelqu’un est tenté par une aventure gustative unique et inoubliable, qu’il se fasse connaître !!! La Fogues family se fera un plaisir de vous initier…

(décembre 2014 / janvier 2015)

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Le diaporama animé et musical (41 mn) de toute cette aventure de dingue peut être visionné ci-dessous…

 

 

 

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