Soirée et nuit (agitée !) en bivouac au cœur du Parc du Niokolo Koba…
[…]
Le soleil va bientôt se coucher. Le stress monte…
On se sent crasseux et poisseux. J’ai beau le savoir depuis longtemps, il me faut me résigner à l’idée qu’il n’y aura pas de douche ce soir. Pour Estelle et Anthony, la perspective d’une vague toilette à la lingette ne les dérange pas plus que ça. Moi si en revanche, mais faudra faire avec !
De son côté, Philéas, parfaitement rodé à la vie de baroudeur en milieu sauvage, ne s’embarrasse pas avec ce genre de question très terre-à-terre. Pour lui non plus pas de douche, mais il a un autre plan B que l’option « lingettes-party ». Il se renseigne auprès des gardes pour savoir si, par hasard, un cours d’eau passe près du campement. Il se trouve justement que la rivière Niokolo Koba (qui a donné son nom au Parc) coule non loin de là. Mais quelle chance !!!
Très enthousiaste, il décide immédiatement d’aller se laver dans la rivière avant la tombée de la nuit, et nous invite à faire de même… Estelle et Anthony refusent tout aussi catégoriquement que moi !!! Il en est hors de question ! Et pour plein de raisons….. plus ou moins fumeuses, j’en conviens, mais ça se discute :
– d’abord, je n’ai pas l’intention de me mettre à poil en plein air n’importe où, sous prétexte que seuls des animaux pourraient mater.
– ensuite, je n’ai aucune envie de prendre le risque de choper la bilharziose en marchant pieds nus sur les rives vaseuses et dans l’eau croupissante de la rivière.
– après, j’ai vraiment trop peur d’une éventuelle attaque de crocodile ou d’hippopotame (qui pullulent ici).
– enfin, l’idée de me tremper dans de l’eau sale (des animaux y caguent dedans tout de même) pour me rendre propre, est totalement absurde à mes yeux. Sans compter que ressortir de ce bouillon de culture en sentant la vase, ne me fait pas rêver du tout !!!
Philéas, lui, a déjà pris sa trousse de toilette, sa serviette, et du linge propre. On ne participera pas à son débarbouillage, mais on l’accompagnera quand même pour assister à la scène.
Il faudra qu’un des deux militaires, claquettes au pied mais armé de son fusil mitrailleur, nous escorte jusqu’au bord de la rivière…
C’est à ce moment-là qu’on a pleinement pris conscience qu’on se trouve en pleine brousse peuplée d’animaux sauvages potentiellement dangereux.
La marche à travers bois jusqu’à la rivière ne dure que cinq minutes, mais elles sont interminables tellement je flippe qu’on se retrouve nez-à-nez avec une bestiole hostile !!!
Estelle et Anthony n’en mènent pas large non plus. Ils nous collent aux basques tels des gardes du corps en mission de protection rapprochée.
Au moindre bruit environnant (autre qu’un chant d’oiseau), je sursaute lourdement, ce qui fait pousser un cri à Estelle, ce qui pousse Anthony à s’agripper à mon dos, ce qui me fait accélérer le pas en levant les genoux et en riant nerveusement. C’est pas un peu le principe de l’effet papillon ça ?
Je ne maîtrise plus rien. On a le palpitant à fond et tous les sens à fleur de peau. Sauf Philéas….. qui reste imperturbable…… mais consterné par sa bande de poules mouillées. Quant au militaire nous ouvrant le chemin sans un mot, il doit nous prendre pour une famille de fous furieux.
On arrive au bord de la rivière, et là, je dois avouer que j’en reste bouche bée. C’est juste beau. La végétation du rivage d’en face se reflète à la surface des eaux vertes.
Le lieu a l’air tellement paisible.
On observe, ébahis, ce paysage avec pour seule ambiance sonore les chants des oiseaux qui se font de plus en plus vigoureux en cette fin de journée.
Le calme et la sérénité vont être de courte durée !
Attirés par notre arrivée, des babouins surgissent soudain sur les branches de l’arbre juste en face, de l’autre côté du rivage. Ils nous observent avec curiosité. On devient l’attraction !!! Il en sort de partout, et ils se mettent à faire un ramdam pas possible.
Pendant ce temps, Philéas descend vers la rive avec ses affaires et s’installe sur des rochers.
Toujours imperturbable, il se déshabille, prend sa savonnette et rentre dans l’eau après avoir fait l’équilibriste sur les rochers glissants.
Le voilà comme seul au monde, béat et ravi, se savonnant tranquillement dans les eaux du Niokolo Koba.
Il nous explique qu’on a eu tort de refuser de se joindre à lui, car l’eau est bonne, ça fait un bien fou après une journée aussi chaude.
Oui… mais non ! On préfère rester au bord et surveiller.
Quand soudain, je me rends compte qu’il y a un truc « non identifié » un peu plus loin derrière lui. Je me demande ce que ça peut bien être, car je n’avais pas fait attention si ça y était déjà quand il est rentré dans l’eau.
Je le préviens…. d’une façon qui trahit un peu mon stress… Estelle et Anthony, alertés par ma remarque, stoppent net leur observation amusée de la famille singes, et cherchent du regard ce qui m’inquiète.
Mais que n’ai-je pas dit !!! L’effet papillon va finir de nous pourrir l’instant qui se voulait magique…
Anthony remarque lui aussi que ce qui émerge à fleur d’eau ressemble étrangement à la tête d’un crocodile en embuscade.
Estelle, distinguant à son tour le truc « non identifié », panique et se met à crier : << Papa sort de là tout de suite, il y a un crocodile derrière toi !!! >>.
On a tellement vu de reportages animaliers qu’on ne doute pas une seconde que ça puisse être autre chose.
Philéas, lui, est dans sa bulle. Il daigne à peine se retourner pour vérifier, alors qu’il est aux premières loges pour ça !!!
Devant son absence de réaction, Estelle est au bord de la crise de nerfs.
Anthony reste figé d’angoisse à côté de moi.
Les babouins redoublent d’excitation sur les branches en face, ils sentent qu’il se passe quelque chose d’inhabituel.
Moi, je zoome à fond avec mon appareil photo pour tenter d’en avoir le cœur net. Mais ce n’est pas très clair et je me mets à sérieusement douter…. Je me sens tout-à-coup impuissante.
Le militaire, qui s’est éloigné du rivage pour nous laisser un peu d’intimité, ne comprend pas vraiment ce qui se passe.
Sans grande conviction, Philéas tente de nous rassurer en nous disant que ce n’est qu’un rocher.
Estelle, tétanisée et en larmes, lui crie désespérée << mais non c’est pas un rocher, ça a bougé !!! >>.
Moi, je ne sais plus quoi faire, tous ces coups d’adrénaline de la journée m’ont lessivée. Je suis trop fatiguée pour avoir les idées claires. Il me faut garder un peu d’énergie pour affronter la nuit sous la tente…
Finalement, non sans nous maudire, Philéas abrègera son barbotage rafraîchissant.
Il bougonne dans sa barbe en sortant de l’eau, toujours en jouant les équilibristes. A la façon d’attraper sa serviette et de s’essuyer, je vois bien qu’il n’est pas content… Mais pour nous, le soulagement est indescriptible.
Il ne se sera pas fait bouffer par un croco, ce n’était effectivement qu’un rocher !!!
Sur le chemin du retour jusqu’au campement, toujours escortés par notre militaire armé, nous tentons de retrouver notre calme après toutes ces émotions fortes.
Philéas, lui, nous nargue en nous rabâchant que cette petite toilette, même superficielle, lui a fait un bien fou, et que nous aurions dû faire pareil !!! Mais en marchant, il est bien obligé de reconnaître qu’il ne sent pas vraiment la savonnette mais plutôt la vase….
Arrivés au camp, la tension est un peu retombée.
Nous finissons d’installer nos tentes et de préparer tout ce dont nous aurons besoin pour la nuit. Il faut répartir les affaires.
Estelle veut absolument dormir avec son père. Mais après la scène au bord de la rivière, Philéas la prévient immédiatement :
<< Je t’avertis ! T’as pas intérêt à broncher, sinon je te sors de la tente et tu dors dehors avec les bestioles ! >>
Argument imparable… Mieux vaut prévenir que guérir !!!
Anthony ne dit rien, il est content de dormir avec moi car il sait qu’il ne risque rien : je n’oserai jamais mettre une telle menace à exécution.
Avant que la nuit tombe, il ne nous reste plus qu’à aller faire un semblant de toilette à notre tour. D’abord lingette-party aux latrines à l’abri des regards. Puis nous allons à la pompe. Anthony s’improvise shadock en chef pour nous remplir le bidon d’eau. Il a fallu qu’il pompe un petit moment avant que l’eau n’arrive.
Une bassine d’eau, une boîte de conserve, du savon liquide, des lingettes, et hop, on a fait comme on a pu !!! La couleur du jus qui coule en nous lavant les mains nous met en appétit…..
Et ça tombe bien, car c’est l’heure de manger.
Au menu du repas du soir : du pot-au-feu ! Plus insolite, ça paraît difficile… D’autant plus qu’il n’est pas mauvais du tout.
Des nattes sont installées par terre, à côté du feu de camp que les gardes ont allumé.
Le pique-nique est prévu à la lueur (et la chaleur) des flammes, de nos lampes frontales, de l’unique ampoule suspendue à la paillote, et …… de la petit télé qui trône sur une table.
Le peu d’électricité est produite par une paire de panneaux solaires en piteux état. La puissance n’est pas vraiment au rendez-vous. Tout juste de quoi allumer une ampoule de faible intensité, ou bien recharger de temps en temps la batterie du téléphone de secours, ou surtout avoir une ou deux heures de télé le soir.
La vie doit finir par être mortellement ennuyeuse ici…. plusieurs mois quasiment coupés du monde, avec pour seule compagnie les animaux sauvages…
Au programme télévisé ce soir : les infos sur l’unique chaîne captée dans cette zone isolée. Le côté décalé de la situation nous interpelle plus que ce qui est diffusé à la télé. Mais en tendant une oreille, on apprend qu’une tentative de coup d’État vient d’avoir lieu en Gambie voisine. Heureusement que l’itinéraire de notre périple ne prévoit pas de traverser ce minuscule pays encastré en plein milieu du Sénégal !!!
Après ce repas singulier, opération « lavage de dents » avant d’aller rejoindre nos tentes.
Mais soudain, l’un des gardes repère un animal dans un arbre et nous appelle. Mon sang ne fait qu’un tour. Comme si on n’avait pas eu assez de poussées d’adrénaline aujourd’hui !
Il ne manquait plus que ça, juste avant d’aller se coucher… De quoi se mettre en condition optimale pour dormir sereinement !!!
Malgré tout, la curiosité est plus forte que la peur. Le safari-photo se poursuit dans l’enthousiasme général…
Nous approchons (presqu’)en silence de l’arbre en question.
En braquant une lampe vers ce que nous montre le garde, la magie opère instantanément : une magnifique genette nous observe tranquillement, allongée sur une grosse branche. Elle est de belle taille. Son pelage est très beau. Ses yeux rouges reflètent la lumière de nos frontales, c’est impressionnant dans cette nuit noire, mais nous sommes émerveillés.
Au bout de quelques instants d’observation et de commentaires à voix basse, je m’étonne qu’elle ne réagisse pas du tout à notre présence. Elle ne bronche pas, ne manifeste aucun signe d’agressivité en réponse à nos lumières qui l’éblouissent. Quand je fais remarquer qu’elle ne donne pas l’impression d’avoir peur de nous, l’un des gardes m’explique qu’elle est habituée à l’endroit puisqu’on a installé nos tentes sur son territoire, juste sous l’arbre où elle dort habituellement !!!
Je ne sais pas si cette information complémentaire est sensée me rassurer ou au contraire m’inquiéter encore un peu plus pour la nuit… Si l’on doit dormir au pied de son arbre, et qu’elle décide d’y retourner, ça veut dire qu’inévitablement, il va bien falloir qu’elle passe à côté de nos tentes pour pouvoir grimper au tronc !!! Je me crispe en imaginant la scène.
Pour chasser cette crainte des esprits, je (prends sur moi et) m’empresse de faire diversion en invitant nos aventuriers nocturnes à sortir leur planche d’animaux pour y entourer avec fierté la GENETTE. Car finalement, croiser cet animal-là pendant notre safari n’était même pas envisageable puisqu’il vit la nuit. Voir un carnivore le jour n’est déjà pas aisé, alors la nuit, autant dire que ça relève du miracle, bien qu’une trentaine de lions aient été identifiés sur le secteur.
Bien qu’Estelle et Anthony auront fait tout leur possible pour retarder l’échéance fatidique, nous irons nous coucher en nous répétant que, décidément, nous avons vraiment eu beaucoup de chance d’avoir vu autant d’animaux et d’oiseaux en une seule journée.
Mercredi 31 décembre 2014 : Estelle n’a pas bronché d’un poil cette nuit !!! Comme par magie, la menace de son père a été extrêmement soporifique. Une fois calée dans son sac-à-viande, elle n’a plus osé bouger et a réussi à dormir sans trop de difficultés. Du coup, Philéas a pu bien dormir aussi, je l’ai même entendu ronfler comme un ours.
En revanche, pour moi, nuit quasiment blanche, chaotique et surtout dantesque !
– D’abord grâce à mon colocataire de tente qu’il a fallu gérer : Anthony-le-somnambule-en-perpétuel-mouvement !!! Une fois endormi, il a passé la première partie de la nuit à sortir de son sac de couchage et se déshabiller car il avait chaud, puis à se mettre en boule au milieu de la tente en grelottant parce qu’il avait froid. Tant bien que mal, dans cet espace étroit encombré de nos affaires, je me contorsionnais pour le rattraper, le rhabiller, le remette dans son sac-à-viande et lui caler la tête sur son coussin gonflable. Une fois la manœuvre réalisée, je me recouchais et essayais de prendre le sommeil.
Quand il a eu fini d’avoir trop chaud, son cirque du striptease a cessé. Mais c’était sans compter sur la boussole greffée dans le cerveau de mon fils… Tout le reste de la nuit, il a continué à gigoter dans tous les sens, emmailloté dans son sac de couchage tel une chrysalide dans son cocon. Il a réussi l’exploit de visiter les 4 coins de la tente comme s’il cherchait le Nord (ou La Mecque) ! J’avais beau le remettre droit pour qu’on puisse s’allonger tous les deux dans le même sens, il jouait à la girouette. Je ne m’en sortais pas, et je n’en pouvais plus.
– Ensuite à cause du vacarme qu’ont fait les animaux durant la nuit. Je savais que la genette n’était pas loin, mais je doutais que ça puisse être elle seule qui fasse autant de raffut. Le moment où j’ai le plus flippé a été quand j’ai entendu des cris de singes, des grognements agressifs de bête féroce (non identifiée sur l’instant) suivis de hurlements de détresse, beaucoup de bruit de chahuts dans des broussailles et puis finalement le silence après une lutte qui semblait acharnée. Tout paraissait s’être déroulé très près de nous, et pour rien au monde je ne me serais risquée à sortir de la tente pour voir ce qui se passait dehors !
Le lendemain matin, j’ai voulu en avoir le cœur net ; je n’avais pas rêvé tout de même…
<< – Quelqu’un a entendu la bagarre cette nuit ? C’était quoi ?
– Toi aussi tu as entendu ? Tu dormais pas ? C’était une hyène qui a bouffé un bébé babouin tombé de l’arbre. Les autres singes du groupe n’ont rien pu faire pour le sauver. Ça s’est passé juste là, de l’autre côté du muret.
– Ah oui quand même…. une hyène…. c’est dangereux ça une hyène. Elle devait être affamée pour oser s’approcher aussi près d’un campement avec un feu !
– Oui, elle a repéré le singe et elle l’a croqué. >>.
Seul point commun à cette nuit mémorable : on s’est tous gelé, sans exception !!!! On ne sait pas quelle température il pouvait bien faire, mais quand on est sorti de la tente au petit matin, de la buée sortait de nos bouches en parlant. Les Gardes nous ont dit qu’il devait faire autour de 10°.
Malgré la fraîcheur ambiante, se réveiller aux premières lueurs du jour et regarder le soleil se lever est assez magique. Le calme règne (enfin) dans les environs, après cette nuit agitée. Seuls quelques oiseaux nous signalent leur présence de leurs doux chants matinaux. On distingue aussi les ablutions suivies des premiers « Allah Akbar » de la journée murmurés avec dévotion par nos quatre compagnons de camp, accroupis, chacun dans son coin, le front sur son tapis de prière. Je suis surprise qu’ils prient toujours isolés et non ensemble, mais je n’ose pas leur demander pourquoi.
Autre chose m’intrigue à chaque fois que c’est l’heure de la prière : comment font-ils pour savoir, en pleine brousse, vers où ils doivent prier ? Car, sans se concerter, ils sont invariablement dirigés vers la même direction. Bien sûr il y a le repère du soleil, mais quand il est au zénith par exemple ? J’ai quand même osé poser cette question-là qui me paraissait d’ordre plus général… En fait, c’est tout simple, il suffisait d’y penser : comme il n’y a pas de mosquées, chaque campement dispose d’un repère (une pierre sur une murette par exemple) pour indiquer la direction de La Mecque. Tout est très bien organisé pour les ouailles aventuriers…
Pendant ce temps, alors qu’on allait se débarbouiller à la pompe, un tout autre repère attire soudain nos yeux.
Un inquiétant trophée trône ostensiblement sur le passage !!!!
On n’avait pas fait attention la veille, et pourtant on ne peut pas le rater !
Nul doute que la bête a été tuée à l’endroit même où Philéas a fait son brin de toilette la veille… De quoi se rappeler, dès le saut du lit (enfin….. lit….. disons plutôt « matelas » de tente, inconfortable au possible….), que nous sommes en terre sauvage et potentiellement hostile !!! Pour ma part, avec l’ambiance nocturne assurée par la faune locale, je ne risquais pas de l’oublier !!!