Mes oiseaux migrateurs…

PRÉAMBULE

 
C’est au printemps 1989, peu après le décès de mon grand-père paternel, que j’ai décidé de me lancer dans une folle quête (sans fin), celle de mes origines. Autour de moi, on se demandait quelle mouche m’avait encore piquée…
 
Je passais alors mon BAC en juin, puis je partais faire mes études à la fin de l’été. J’allais avoir 18 ans en décembre de cette année-là, autant dire pas vraiment l’âge habituel pour scanner son passé.
J’ai plongé dans le chaudron de la généalogie avec l’enthousiasme démesuré et la fougue inébranlable de ma jeunesse, et ce qui devait arriver arriva : la passion qu’elle engendre (inévitablement) m’a aussitôt engloutie toute entière et ne m’a plus jamais lâchée depuis. Le désir d’explorer mes gènes s’est gravé définitivement dans mon ADN.
 
C’est ainsi que j’ai fouillé le passé, cherché partout, remué ciel et terre, inondé les mairies et les paroisses de courriers, bombardé de questions mon entourage, mis les pieds dans le plat parfois… J’ai aussi hanté les archives départementales dès que je n’avais pas cours, le nez plongé pendant des heures dans de vieux grimoires registres bourrés de poussières et de moisissures auxquelles je suis hautement allergique… Je repartais systématiquement de la salle de lecture les poumons en alerte asthmatique, le nez et les yeux rougis et ruisselants en alerte démangeaison, ressemblant plus à une lapine atteinte de myxomatose qu’à une étudiante en expertise comptable…
 
Petit à petit, j’ai fait la connaissance de mes ascendants de plus en plus lointains dans le temps. Mais j’ai aussi (et surtout) découvert un pan de mon histoire familiale « récente », celle qui était déjà connue de mes aînés et qui ne m’avait pas spontanément été encore racontée, mais aussi celle que personne ne connaissait et qui a pu parfois stupéfier.
 
Avec l’avènement d’internet, des barrières géographiques à mes recherches sont tombées. Poursuivre mon enquête en a ainsi été facilitée. Cela m’a permis d’en découvrir encore plus, de croiser sur la toile des cousins généalogiques, dont certains ont été la clé pour me permettre de déverrouiller des lignées insaisissables mystérieusement bloquées pendant plus de 10 ans.
Depuis plus de trois décennies maintenant, épisodiquement, je remonte le fil du temps avec une patience infinie (impatiente que j’étais dans la vie… la magie de la généalogie), à travers les branches de mon arbre ancestral.
 
Il est temps pour moi désormais de laisser une trace de certaines de mes trouvailles quelque part, avant qu’il ne soit trop tard. Ce sera ici, sur mon blog, à travers des voyages dans le temps.
 
Je consacre ce premier récit à l’histoire de mes oiseaux migrateurs, des ancêtres voyageurs qui, par la force des choses, ont tout quitté, ont fui, ont mis les voiles, pour suivre une autre destinée que celle qui était tracée. Embarquement immédiat pour un voyage dans le temps à travers l’Italie, l’Allemagne, la France, l’Espagne, le Maroc et l’Algérie.
 
 
 
 

ITALIE – ALLEMAGNE – FRANCE


 
Mon grand-père maternel italien est né en 1916 dans un wagon à Duisburg en Allemagne.
Il a été prénommé Banditto qui se traduit (en enlevant un « t ») par « bandit »… Avec un tel prénom si unique, il ne pouvait qu’avoir une destinée tout aussi singulière !
Ceci dit, ses deux frères et ses deux sœurs ne sont pas en reste niveau originalité puisqu’ils ont été appelés pour leur part (prénoms traduits) : Lion, Fourche (bébé n’ayant pas survécu), Hyène et Élysée !
(de gauche à droite) Hyène, (nonna) Margherita, Elysée, Bandit, Lion
 
À l’origine de ces choix très personnels de prénoms si provocateurs particuliers, ses parents : nonno Angelo et nonna Margherita, athées anticléricaux tendance anarchistes assumés (ceci explique peut-être cela…).
 
nonno Angelo

nonna Margherita
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ils se sont rencontrés par hasard (mais le hasard existe-t-il vraiment ?) dans une taverne à l’occasion d’une fête de village au pied des Dolomites dans le nord de l’Italie. Lui était bel homme, bien habillé, très élégant, et il aimait danser passionnément. Elle en tomba éperdument amoureuse, au point de lui donner une photo au dos de laquelle elle écrivit : « Toi qui sauras m’aimer, tu auras mon cœur en cadeau… ». Déclaration spontanée sacrément osée pour une toute jeune femme au début du 20ème siècle non ?
 
À cette époque, nonno Angelo vivait en Allemagne depuis plusieurs années déjà, et comme il le faisait régulièrement, il était revenu en « vacances » dans sa région natale vénitienne.
Les circonstances de son expatriation sont assez rocambolesques. Il voulait absolument rejoindre ses quatre grands frères qui avaient émigré dans le bassin de la Ruhr en Allemagne à la fin du 19ème siècle. Un beau jour, alors qu’il devait avoir seulement 11 ou 12 ans, il s’est enfui de chez lui, est monté en cachette dans le train ramenant ses frères en Allemagne et a débarqué clandestinement là-bas. Objectif atteint.
 
Nonna Margherita fut tellement conquise qu’elle voulut l’épouser et partir vivre avec lui en Allemagne. Sauf que ses parents s’y opposèrent catégoriquement, considérant l’élu du cœur de leur fille comme peu fiable et financièrement trop précaire à leurs yeux (en d’autres termes : pas un bon parti…).
Mais nonna Margherita avait un point commun avec son cher et tendre : une détermination affirmée à être libre de décider de sa vie !
Elle partit alors à Milan pour s’y faire employer comme domestique dans une famille aisée, le temps de gagner suffisamment d’argent pour rejoindre son Roméo qui était retourné travailler dans la métallurgie allemande. Il lui fallut plus de temps que prévu car nonna Margherita dépensait sans compter parfois. Elle racontait qu’elle avait payé l’équivalent d’un mois de salaire une belle robe destinée à être portée quand elle retrouverait son amoureux.
Les frères de nonno Angelo finirent par envoyer de l’argent aux parents de nonna Margherita pour constituer une dot et pouvoir ainsi se marier. Là, contre toute attente, ce fut le père de nonno Angelo qui déconseilla vivement à la nonna Margherita d’épouser son propre fils prétendant que c’était un « voyou ».
 
Mais c’est bien connu, l’amour est plus fort que tout…
 
En 1910, nonna Margherita claqua la porte de chez ses parents et partit seule s’installer à Duisburg. Elle fut hébergée chez l’un des frères de nonno Angelo jusqu’à ce qu’ils se marient civilement quelques mois plus tard.
Les premières années, ils vécurent heureux et eurent leurs quatre premiers enfants : Leo (Lion), Forca (Fourche), Iena (Hyène) et papy Banditto (Bandit). Ils gagnaient bien leur vie, nonno Angelo travaillant dans des usines sidérurgiques, nonna Margherita étant cuisinière dans une cantine ouvrière et s’occupant des autres migrants italiens qui cohabitaient avec eux.
 
Il paraît que l’amour rend aveugle et que le mariage lui rend la vue…
 
Les choses commencèrent à se gâter. Nonna Margherita racontait avec nostalgie qu’ils auraient pu acheter une maison et rester vivre en Allemagne, mais nonno Angelo ne s’en souciait pas, il vivait la grande vie, ne manquant de rien et surtout pas de caisses de bières sous la table…
Et puis la première guerre mondiale éclata. Au début, les travailleurs étrangers continuèrent à travailler dans les usines de sidérurgie transformées en usines militaires dédiées à la fabrication de canons. Au fil du temps, la vie est devenue de plus en plus dure, il n’y avait plus suffisant à manger pour tout le monde, y compris pour les allemands eux-mêmes. Jusqu’au moment où, en 1917, les familles de migrants italiens furent contraintes de se séparer pour quitter l’Allemagne : seuls les hommes furent retenus pour continuer à travailler dans les usines.
 
C’est alors que nonna Margherita accomplit la migration la plus mémorable et éprouvante de sa vie. Elle dut partir seule avec ses très jeunes enfants (dont mon grand-père Banditto qui n’avait même pas un an) et quelques maigres affaires sous le bras. Elle dut parcourir à pied les 900 kms qui séparent Duisburg de Piovena son village en Italie, survivant durant toute cette expédition au jour le jour avec des moyens de fortune, sans nourriture ni possibilité de se laver.
 
900 kms…
à pied…
seule avec ses enfants de un à six ans…
et il leur a fallu traverser les Alpes par le Tyrol et les Dolomites…
en 1917…
 
De cette grande traversée, elle répétait sans cesse « UN MOIS ET QUATRE JOURS DE VOYAGE !!! », sous-entendu « voyage aventureux et mythique »… (c’est un euphémisme !)
 
Quand je regarde aujourd’hui sur googlemaps ce que peut représenter une telle route, ça me laisse encore plus sans voix. Un véritable exploit à mes yeux !
 
Arrivée à la frontière italienne, tous ses biens personnels de valeur ainsi que les cartes d’identité lui furent confisqués.
Une fois de retour dans sa famille, durant les années de guerre restantes et d’invasion autrichienne, tout leur fut réquisitionnés. Les soldats prenaient tout ce qu’ils voulaient, toute la nourriture dont ils avaient besoin. Ce qui l’épargnera de bien des soucis c’est qu’elle parlait allemand et qu’ainsi elle réussissait à « amadouer » les envahisseurs en leur racontant qu’elle était expatriée en Allemagne jusque-là et qu’elle y avait une belle vie.
 
Ce n’est que lorsque la guerre fut finie, et en raison de l’effondrement économique qui s’ensuivit en Allemagne, que nonno Angelo retourna en Italie en 1918. Il retrouva femme et enfants. Un petit dernier naquit en 1919.
Comme il n’y avait plus d’activités dans les usines allemandes, il ne put retourner y travailler. Alors en 1921, il décida de quitter sa famille pour partir travailler en France. Cet exil solitaire durera sept ans. Sept années sans jamais donner de nouvelles ni envoyer d’argent à nonna Margherita qui dut s’occuper toute seule de leurs quatre enfants. Sept années de mystère absolu dont personne n’a jamais su les dessous de l’histoire. Il se contentait de raconter vaguement que pendant toute cette période, il avait travaillé à Paris à la gare de Lyon et qu’il avait été entretenu par des prostituées qui l’avaient trouvé si beau…
 
À ce jour, toutes mes recherches sont restées infructueuses ; je n’ai encore jamais réussi à trouver la moindre « preuve » de cette tranche de vie parisienne. Les archives ferroviaires que j’ai pu interroger sont formelles : elles n’ont aucune trace de nonno Angelo dans leurs registres.
 
De retour de France, les années passèrent. Il vécut une toute dernière parenthèse expatriée pendant la seconde guerre mondiale : en 1942, nonno Angelo était encore en Allemagne. Après quoi il revint définitivement en Italie et y retrouva nonna Margherita.
 
nonno Angelo
 
 
 
Après être né en Allemagne, Papy Banditto a donc grandi en Italie, sans vraiment connaître son père (nonno Angelo), absent, pendant son enfance. Il n’est pas allé à l’école longtemps, il a dû travailler dès son adolescence.
 
Accusé, dans des circonstances pas très claires, de vol dans l’entreprise où il était « apprenti », Papy Banditto s’est vu contraint de quitter sa famille pour aller « purger sa peine » dans une confrérie religieuse à 600 kms de chez lui, du côté de Rome. Se retrouver en « prison » chez des moines, lui, un athée convaincu, c’est un peu un comble à la limite de l’humiliation.
Cette période de sa vie est restée assez obscure et plutôt mystérieuse. Ce qui a attisé ma curiosité évidemment… Mon enquête m’a finalement permis de découvrir contre toute attente que, là-bas, il a été baptisé religieusement peu de temps avant de fêter ses 18 ans (une partie du prix à payer pour son absolution).
Il y a juste un détail qui « coinçait » pour les curés : son prénom… Banditto… chez les catho, ça fait désordre…
Il sera alors rebaptisé Carlo Maria Victor. C’est à partir de là que son prénom d’usage « officiel » deviendra Charles, Banditto n’étant plus utilisé que pour l’état civil et l’administratif.
Cette découverte d’un baptême contraint fut un véritable coup de théâtre familial tellement cela paraissait impossible. Ce secret avait été bien gardé manifestement !
 
 
 
 

ITALIE – FRANCE – MAROC


 
 
Tout juste adulte, Papy Banditto, viscéralement opposé au régime fasciste instauré en Italie par Mussolini, ne trouve son salut que dans l’exil. Alors, pour éviter d’être enrôlé contre son gré dans l’armée, et au final être envoyé combattre dans les rangs des franquistes en Espagne, il décide de s’enfuir de son pays par n’importe quel moyen.
L’opportunité se présente en 1936/1937 (la date réelle reste mystérieuse) : il part vers la France avec son équipe de football pour une compétition sportive. Officiellement, il apparaît sur un passeport collectif à Paris, mais aucun retour en Italie n’est enregistré. Mystérieusement disparu des radars, sa trace réapparaît du côté de Lyon.
Bizarre mais pas du tout un hasard…
En réalité, Papy Banditto veut intégrer les Brigades Internationales, qui voient le jour fin octobre 1936, pour rejoindre les volontaires étrangers partis se battre en Espagne en soutien aux Républicains luttant contre Franco pendant la guerre civile de 1936/1939. Il se trouve que des bureaux de recrutements des Brigades Internationales existent justement du côté de Lyon !
Mais son plan tombe à l’eau. Il ne pourra pas se présenter à temps pour être recruté, les frontières espagnoles ayant été fermées à peine quelques mois plus tard.
Je n’ai pas réussi à avoir de détails de cet exil incroyable, ni à savoir où il s’est caché ni qui précisément l’a aidé, si ce n’est qu’il s’agissait d’un immigré italien vivant déjà là-bas. Tout ce que je sais c’est qu’en Italie, comme tous ceux qui ont fui comme lui, il a été accusé par le régime fasciste de traitre déserteur antifasciste et condamné à mort par contumace par un tribunal militaire.
Comme il n’a jamais été « capturé » par les autorités fascistes, une mise en scène d’exécution a été organisée : des pantins, faits de paille, représentant chacun des « déserteurs », furent officiellement fusillés en place publique… en guise d’avertissement à la population…
papy Banditto
 
Pendant ce temps, l’instinct de survie de Papy Banditto lui a permis de trouver un plan B pour sortir de sa « cavale » : fin 1937, à la caserne de Lyon-Perrache, il s’est engagé dans la Légion Étrangère qui lui promettait l’obtention de la nationalité française un jour. Au final, il y restera durant huit années, jusqu’après la fin de la guerre en 1945.
 
Durant cette période, il est envoyé en Algérie et enfin au Maroc.
 
Je ne m’étends pas sur l’épisode « soldat de la seconde guerre mondiale » pour le compte de la France. Il y a survécu, il a « juste » été blessé en sautant sur une mine. Il a terminé comme sous-officier au grade de  sergent, a été médaillé et s’est vu attribuer la croix de guerre avec étoile d’argent.
 
Une fois dégagé de ses obligations militaires et de la Légion étrangère, il est resté vivre au Maroc jusqu’en 1956. Il y était chauffeur et mécanicien.
 
Durant l’hiver 1956, il quitte définitivement le Maroc pour le sud de la France avec ma mère âgée de 7 ans, ainsi que sa deuxième épouse, italienne (son amour de jeunesse restée coincée en Italie lors de son exil en France) et leur fils bébé.
Il sera veuf une seconde fois, se remariera avec une troisième femme dont il divorcera au bout de deux ans, avant de finalement se marier une quatrième et dernière fois.
 
Il a succombé à une crise cardiaque le 5 décembre 1980 dans ma ville natale du Gard, la veille de mes 9 ans…
 
 
C’est lorsqu’il vivait à Port-Lyautey (renommée Kénitra depuis), au Maroc, qu’il a rencontré ma grand-mère Olga. Il l’a épousée en 1948, dans la foulée lui a fait une enfant (ma mère) née neuf mois et demi après leurs noces en 1949.
 
ma maman
 
Tout semblait lui sourire. Mais la romance fut de très courte durée… Le destin en a décidé autrement.
Il va être veuf l’année suivante en 1950. Mamie Olga n’avait pas 26 ans, elle n’a pas survécu à une intervention chirurgicale.
Il venait à peine d’obtenir sa nationalité française. Il s’est retrouvé seul avec un bébé et un métier de chauffeur/routier/mécanicien peu compatible. Pour lui prêter main forte, il a fait venir d‘Italie sa sœur Iena. Elle a été en quelque sorte une maman de substitution pour ma mère qui m’a toujours dit qu’elle adorait les moments où elle allait en vacances en Italie chez sa tante.
Au bout de quelques temps, pour conserver la garde de ma mère, papy Banditto a dû lutter contre les menaces « d’enlèvement » de la part de ses beaux-parents (c’est en tombant par hasard sur de vieux courriers que j’ai découvert cette épisode sordide), un couple endeuillé en mal d’enfants après avoir d’abord tragiquement perdu leur unique fils de 10 ans, écrasé par une voiture peu d’années auparavant, puis mamie Olga leur unique fille qui a succombé à l’hôpital d’une anesthésie générale alors qu’elle n’était qu’une jeune maman.
 
mariage à Port-Lyautey le 9 octobre 1948.
 
 

ALGÉRIE – MAROC


 
 
Mamie Olga a toujours été un mystère pour moi. Forcément, ma mère n’en ayant aucun souvenir (elle avait 14 mois quand elle l’a perdue), elle n’a rien pu m’en raconter. La seule chose qu’elle me disait, c’est qu’elle était institutrice, sauf que c’est ce qu’on lui a fait croire #FakeNews. En réalité, elle était employée des Postes du Maroc.
 
Au-delà des rares très vieilles photos existantes dont j’ai héritées, tout ce que je sais de ma grand-mère maternelle se résume aux maigres informations que j’ai pu glanées depuis que je me suis lancée dans ma généalogie…
 
Aussi bête que cela puisse paraître, ma première découverte concerne sa naissance. J’ai ainsi appris qu’elle était de sang mêlé, née en 1924 à Oran en Algérie, d’une mère israélite prénommée Djohar (bien que ma maman ait connue sa grand-mère jusqu’à son adolescence, elle ignorait qu’en réalité son prénom était Djohar, car tout le monde l’appelait Pierrette) et d’un père, Gaston, personnage énigmatique et charismatique, Agent Public du Ministère Marocain des Travaux Publics de son état, et artiste lyrique autoproclamé.
Pépé Gaston
Mémé Djohar, dite Paulette
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Pépé Gaston et mémé Djohar ont vu le jour et se sont unis à Oran en Algérie.
 
Pépé Gaston est pied-noir, fils d’un père français né à Marseille (un gigolo devenu bigame, comme je le raconte plus loin) et d’une mère franco-espagnole native de Madrid fruit d’un amour illégitime.
 
Mémé Djohar est issue d’une lignée israélite algérienne, dont une partie était originaire de Tetouan au Maroc. Le peu que j’ai pu reconstituer de cette branche d’ancêtres m’a donné beaucoup de fil à retordre avec les noms et prénoms pour le moins exotiques et leurs retranscriptions phonétiques (laborieuses et fantaisistes) dans les registres par les officiers d’état civil !
 
Ils se sont mariés civilement (bizarrement, je n’ai retrouvé aucune trace d’un quelconque mariage religieux, ni d’aucune conversion confessionnelle, ceci expliquant sans doute cela…), puis ont migré au Maroc pour une raison qui m’est inconnue. Ils le quitteront pour partir s’installer dans le sud de la France. Je ne sais pas exactement quand, je situe leur ultime migration entre 1956 (année où ma mère, enfant, est arrivée en France) et l’été 1962 (d’après le recensement militaire mentionné sur la fiche matricule de pépé Gaston).
À partir de cette époque, ma mère allait régulièrement chez ses grands-parents, les tensions s’étant manifestement apaisées avec le temps… Jusqu’au décès de mémé Djohar pour lequel ma mère a pour ainsi dire tenu pour responsable pépé Gaston, dont elle disait avoir découvert son vrai visage, l’accusant d’avoir été si odieux avec elle qu’il l’aurait poussée au suicide. Officiellement, mémé Djohar est tombée accidentellement par une fenêtre à l’étage de leur maison.
 
Mes arrière-grands-parents Gaston et Djohar n’ont donc eu que deux enfants à onze ans d’intervalle (choses inhabituelles à une époque où la « norme » était plutôt d’avoir beaucoup d’enfants très rapprochés) : mamie Olga et un garçon mort à l’âge de 10 ans écrasé par une voiture.
mamie Olga
 
Pendant des lustres, mes recherches généalogiques sont restées bloquées à ce stade. Je n’aurais jamais rien su d’autres s’il n’y avait pas eu la magie d’internet et les petits miracles qu’il permet d’accomplir parfois…
Il paraît que le hasard n’existe pas…
 
Un beau jour, début 2005, à peine quelques semaines après m’être inscrite sur une plateforme de recherches généalogiques, j’ai retrouvé une petite-cousine, dont le prénom a une consonance russe comme « Olga » (un mystère d’ailleurs ce choix de prénom, aucune racine d’origine slave n’a jamais été identifiée dans notre ascendance). C’était tellement improbable que j’ai eu beaucoup de mal à y croire ! Non seulement sa grand-mère était la cousine germaine de mamie Olga, mais en plus nos mamies se fréquentaient vraiment, étaient très liées et très complices. Et le plus incroyable c’est que sa grand-mère était toujours en vie !
Durant l’été de cette fameuse année 2005, j’ai alors pris mon courage à deux mains et, avec l’accord de cette petite-cousine providentielle, j’ai écrit à sa grand-mère, âgée et fatiguée, qui vivait en maison de repos.
Aussitôt après, j’ai reçu deux courriers : une réponse laconique de cette mamie écrite par l’un de ses fils, et puis une longue lettre, à laquelle je ne m’attendais pas du tout, envoyée par un autre de ses fils (le papa de cette petite-cousine tombée du ciel) qui avait quelques souvenirs d’enfance, lointains mais très précis, de mamie Olga qu’il avait connue en chair et en os !
 
La lecture de ces deux témoignages inestimables, aussi succincts soient-ils, ont eu sur moi l’effet d’une énorme déferlante me submergeant mais comblant, enfin, un gouffre…
Depuis ces jours bénis où ma bonne étoile généalogique m’a souri, je sais désormais que ma mamie Olga était une petite femme ronde, remplie de bonne humeur, débordante d’énergie et ne tenant pas en place, dont le rire très communicatif, révélateur d’un bonheur intense, marquait les esprits. Elle a été une enfant puis une jeune fille toujours heureuse et très gaie, qui aimait beaucoup chanter et qui adorait danser. Elle a d’ailleurs rencontré papy Banditto en dansant à l’occasion d’un bal à Port-Lyautey. (ce n’est pas franchement très original, mais bon, à l’époque, c’était souvent comme ça que les couples se rencontraient. Les bals étaient en quelque sorte les speed-dating et autres sites de rencontres d’alors…)
 
Tout ceci peut paraître anecdotique, mais à mes yeux ça veut dire beaucoup, car cela m’explique d’où peuvent bien me venir ces traits de caractères que je ne voyais chez personne dans la famille que j’ai connue…
Mamie Olga ♥
 
 

FRANCE –  ESPAGNE – ALGÉRIE – MAROC


 
Je termine cette saga d’ancêtres voyageurs avec un bouquet final.
Le fruit de mes décennies de recherches sur ces personnages hauts en couleurs est lacunaire (pas assez « récent » pour avoir pu recueillir un quelconque témoignage oral), mais les quelques pépites que j’ai découvertes, en fouillant de fond en comble les archives auxquelles j’ai pu accéder, valent leur pesant de cacahuètes.
 
Mamie Olga avait comme grands-parents paternels un pépé marseillais, Félix, et une mémé au doux prénom hispanique de Maria del Pilar.
 
Pépé Félix est resté très très très longtemps insaisissable, faute d’informations précises pour pouvoir chercher. Jusqu’au fameux jour où j’ai fait la connaissance de la petite-cousine providentielle. Elle détenait un indice, vague mais capital : elle avait entendu dire dans sa famille que pépé Félix et mémé Maria del Pilar s’étaient mariés à Alicante en Espagne.
Ni une ni deux, j’ai remué ciel et terre pendant des mois pour, finalement, réussir à retrouver leurs actes de mariage espagnols (civil et religieux). Petit miracle que j’attribue à ma bonne étoile généalogique, une fois de plus…
 
C’est à partir de là que, petit-à-petit, j’ai découvert que la vie de pépé Félix fut… comment dire… olé-olé !
 
Un beau jour, pour une raison non identifiée, Félix quitte Marseille, sa ville natale, et disparaît des écrans radars.
Avant de remettre la main dessus en Espagne, sans savoir comment ni pourquoi il est parti là-bas, je le retrouve totalement par hasard (encore une fois grâce à la petite-cousine tombée du ciel) à Lyon où il devient un gigolo en épousant, à l’âge de 25 ans, une riche veuve de 39 ans avec déjà trois enfants.
Pépé Félix et sa cougar n’auront pas d’enfants ensemble.
Le couple disparait à nouveau pour je-ne-sais-quelle raison (c’est à croire que pépé Félix était en cavale, fuyant quelqu’un ou quelque chose).
Je les retrouve ensuite vivant à Nantes, mais brièvement. La cougar y a manifestement été abandonnée car, la même année, coup de théâtre, pépé Félix se marie en Espagne… alors qu’il est toujours marié en France !
Au bout de cinq ans d’absence du mari volatilisé, la cougar finit par obtenir un jugement de divorce dans lequel il est indiqué que pépé Félix a été activement recherché par des huissiers afin de le convoquer pour qu’il assiste à son jugement de divorce, mais personne ne l’a trouvé.
Et pour cause… Pendant que les autorités françaises sont à ses trousses, pépé Félix, bigame assumé, se la coule douce à Alicante avec sa nouvelle dulcinée espagnole née à Madrid. Olé !
 
Pépé Félix et mémé Maria del Pilar eurent leurs cinq premiers enfants à Alicante, avant de mettre les voiles pour l’Algérie où ils s’installeront à Oran, et où quatre autres enfants naquirent (dont mon pépé Gaston, le mari de Djohar).
Malgré les années, ses déboires judiciaires ne semblent pas s’être éteints : sur l’acte de naissance d’un de ses enfants en Algérie, une mention a été rajoutée en bas de l’acte :  « recherché par gendarmes »… Mais pour quel motif ? L’épisode du divorce et de la bigamie pendant cinq ans remonte alors à 15 ans en arrière, difficile de penser que ce peut être encore pour cette raison.
 
Pour la petite anecdote, parmi les neuf enfants du couple que j’ai pu identifier, le fils aîné a hérité des gènes du voyageur. D’après son livret militaire, après les quatre ans passés dans l’armée en tant qu’engagé volontaire, il migre vers l’Angleterre et reste quelques mois à Liverpool. Puis il remet les voiles direction Bordeaux. Un an plus tard, il repart, pour la Belgique cette fois, où il vivra à Anvers une petite année, avant de finalement revenir en France pour s’installer et se marier à Dunkerque. Son dernier domicile connu est à Casablanca au Maroc, pour un retour aux sources probablement puisque c’est là-bas que vivait sa mère, mémé Maria del Pilar.
 
 
Après le décès de pépé Félix à Oran en Algérie, mémé Maria del Pilar s’exila avec la plupart de ses enfants au Maroc, où elle finira sa vie à Casablanca.
 
Mémé Maria del Pilar a donc épousé un polygame (le savait-elle seulement ? Il est permis d’en douter…). Mais le comble c’est que son propre père, Jean-François, l’était aussi !
 
Papé Jean-François, natif d’Agen, était un ingénieur civil français, expatrié en Espagne pour concevoir le canal de l’Ebro et pour participer au projet de construction d’un tronçon de voie ferrée.
Bien que déjà marié et père de famille en France, il a plaqué sa femme et ses trois enfants à Agen pour partir refaire sa vie (sans divorcer, ni se marier une autre fois) avec une espagnole, Maria Dolorès, native d’Alicante qui, pour sa part, a eu des enfants légitimes et illégitimes, nés dans des régions différentes, avec deux autres pères différents, en plus de ceux qu’elle a eus avec papé Jean-François.
D’ailleurs, à ce propos, il y a embrouille sur l’identité réelle des pères d’après l’ordre de naissance des deux premières fournées d’enfants… Je ne pourrai sans doute jamais dénouer de manière certaine ce sac de nœuds, mais mon petit doigt me dit qu’il y a eu forcément tromperie sur les déclarations de naissance des marmots.
Explication par l’exemple (attention, il faut se concentrer pour pouvoir suivre le mic-mac) : mamé Maria Dolorès se marie une première fois à Alicante en novembre 1853 avec un certain José. Problème : d’après un recensement de l’époque, elle accouche seulement quatre mois plus tard, en mars 1854, à plus de 400 kms de là, à Madrid, d’une petite Dolorès portant le nom de… papé Jean-François déclaré comme étant le père !?!?
Je retrouve, plus tard, le mariage à Alicante d’une Dolorès dite née à Madrid vers 1855, dont la mère est bien mamé Maria Dolorès mais dont le nom de famille, cette fois, est celui du père déclaré dans l’acte, à savoir le premier mari délaissé José !?!?
Mon instinct me pousse à penser que ces deux petites Dolorès ne sont en réalité qu’une seule et même personne. J’imagine que mamé Maria Dolorès, tout juste mariée et enceinte, aurait suivi papé Jean-François direction Madrid. Une fois là-bas, lorsqu’elle a accouché, comme elle vivait illégitimement avec papé Jean-François, elle a jugé plus « pratique/convenant » de déclarer son bébé comme étant la fille de papé Jean-François. Comme personne ne la connaissait là-bas, il était impossible de découvrir le pot aux roses….
Deux ans plus tard, dans une autre région, mamé Maria Dolorès donne naissance à un garçon déclaré né de père inconnu. Sauf que ce garçon se retrouvera plus tard identifié avec le nom de famille de papé Jean-François, patronyme que le jeune homme transmettra aux huit enfants qu’il aura à son tour.
C’est quand même bizarre. Elle vit toujours dans le pécher avec papé Jean-François, puisque durant les quatre années suivantes, le couple aura un autre garçon, encore dans une autre région, ainsi qu’une dernière fille, mémé Maria del Pilar.
 
 
Papé Jean-François mourra à Madrid, à peine plus de deux ans après la naissance de mémé Maria del Pilar.
Après quoi, mamé Maria Dolorès retournera définitivement vivre à Alicante où elle s’y mariera une dernière fois et y aura un ultime enfant, avant de s’y éteindre à seulement 44 ans.
 
 
Et moi, je descends de l’arbre de cette sacrée branche familiale de pigeons voyageurs, dont certains ont été des oiseaux migrateurs plutôt volages…
 
Avec une telle histoire familiale, on pourrait penser que j’ai hérité du « gène du voyage » découvert récemment par des scientifiques (ils estiment qu’environ 20% des gens seraient porteurs). Et bien… pas du tout ! Et même si j’ai appris un jour, avec stupéfaction, que mes parents avaient envisagé de s’expatrier par bateau en Australie (mais ça, c’était avant que je ne débarque sur Terre et que j’envahisse leur vie), je n’ai jamais spontanément ressenti l’envie/le besoin de partir vivre ailleurs. Ce qui ne m’a pourtant pas empêché de le faire à mon tour… C’était en 1994/1995 pour une parenthèse expatriée au Sénégal en Afrique. Et ce fut une sacrée aventure, dont j’ai enfin commencé à en raconter des tranches de vie afin de laisser un témoignage pour mes générations futures…
 
 

 

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25 Comments on “Mes oiseaux migrateurs…

  1. Superbe histoire.
    Aussi fondu de généalogie, je n’ai pas découvert autant de mouvement dans la mienne ni dans celle de mes proches !!!!
    Bravo pour ce récit passionant

  2. Quelle magnifique saga de cette famille « migrateuse » au gré des évènements et des histoires d’amour !!!
    Très beau et à publier en livre…
    MERCI

    • Merci pour ce beau commentaire.
      Les histoires d’Amour sont toujours à l’origine des plus belles histoires. Faire un livre des destins de mes ancêtres, ce serait vraiment un rêve et surtout un magnifique hommage pour la postérité. Quelqu’un m’a même dit un jour que ça mériterait un film. Si seulement !

  3. Bonjour,
    Je suis tombée sur votre en cherchant les ancêtres ROURE d’un ami ardéchois qui se demande s’il descend du fameux Antoine ROURE écartelé en 1670. Il a parmi ses ancêtres Joseph ROURE époux de Marie MAZOYER. La curiosité m’a poussée à lire votre blog passionnant. Bravo pour votre persévérance et merci pour le partage du fruit de vos recherches

    • Merci Claire pour votre message.
      Vous avez attisé ma curiosité : qui est ce fameux Antoine ROURE écartelé en 1670 ???? Je n’en avais encore jamais entendu parler ! Si vous pouviez m’en dire plus (sur ma messagerie geneanet, ce sera plus pratique), je serais ravie !

  4. Tu as très bien raconté l’histoire d’une partie de ta famille bisous

  5. Bonsoir,
    Quelle histoire, quelle aventure. Bravo pour tout ce travail de recherche, et votre manière de l’exprimer, avec un peu d’humour et de sérieux.
    Maurice

  6. Bonjour ,
    je suis membre geneanet et mes recherches m’ont conduite sur votre arbre. Et du coup sur votre blog.
    Votre histoire est magnifique pleine d’humour et votre style agréable à lire.
    Je vous félicite et vous remercie pour ce partage.
    Bonne continuation et vous souhaite encore de nombreuses découvertes .
    Amitiés
    Carmen MARCEL-REY

  7. Chère Angélique, après être allée sur ta page Facebook, j’ai atterri sur ton blog et je viens de lire ton article avec délice…
    Félicitations ! c’est très bien écrit et savoureux. A bientôt :)))
    Je t’embrasse,
    Dominique (Beretti)

  8. J’ai aussi commencé ma généalogie à l’âge de 17 ans. A l’époque j’étais mineur. Ma famille n’avait pas quitté la plaine de la Saône et je me rendais dans les mairies à bicyclette !
    Mon histoire est moins épique que la vôtre mais j’ai aussi une grand-tante paternelle qui a émigré au Maroc au moment du Protectorat. Un de ses fille y est restée, à Agadir après avoir vécu le tremblement de terre. Elle y a été inhumée.
    Et au cimetière Pax de Rabat, j’ai retrouvé un oncle à la mode de Bourgogne, inhumé dans le carré militaire, car il avait été tué lors du débarquement anglo-américain.
    Enfin un grand oncle qui avait débuté sa carrière militaire à Bône (`Annaba) s’était marié dans cette ville le 12 novembre 1918 avec une jeune fille dont la famille était originaire du royaume de Naples.
    Bravo et merci pour ce très beau récit

    • Merci pour votre message et votre temoignage.
      Vous êtes l’une des très très rares personnes à me dire avoir commencé sa généalogie jeune. Ce serait intéressant de savoir pourquoi on a été attirés aussi tôt dans le chaudron de la généalogie !

      Mamie Olga, dont je parle dans mon récit, a été enterrée à Port-Liautey et sa dépouille est restée là-bas quand sa famille est venue en France.
      Ma propre mère s’était renseignée pour savoir comment la rapatrier. Mais elle en avait été dissuadée : depuis cette époque, de la place avait été faite dans les cimetières, les réductions de dépouilles non réclamées avaient été mises en fosses communes.
      Et puis des trafics existaient : des personnes (peu scrupuleuses) renvoyeaient des dépouilles contre rémunération, faisant croire qu’il s’agissait bien du défunt, mais c’était des réductions d’inconnus en réalité. Trafic de squelettes…
      Donc elle avait renoncé à y aller.
      Au cimetière là-bas, je m’étais renseignée et il n’y a plus aucune tombe au nom de mamie Olga et de son frère… Ainsi va la vie.

  9. Bravo super interessant ! beau travail de recherches tout azimut mes ancétres eux n’ont pas bougé de l’Ardéche… un seul vient de l’Isére

    • Merci Fabienne d’avoir lu ce bout de saga familiale, et merci d’avoir pris la peine de me laisser un commentaire.
      C’est presque pareil pour l’Ardèche en ce qui concerne ma branche paternelle cette fois. Ma grand-mère était une ardéchoise pure souche depuis des siècles !!! Et mon grand-père a aussi quelques branches ardéchoises qui n’ont pas trop bougé non plus, ce sont de vrais cévenols, « ardécho-lozéro-gardois ».

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