[ #HistoiresExpatriées ] La distance… ☎️✍️✉️

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(édition n°2208/2019)
(avec pour marraine Kelly, expatriée au Canada)

Thème proposé :

LA DISTANCE

 
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Avec tous les moyens modernes existant grâce à internet (ou à cause ? Il y a parfois de quoi se poser sérieusement la question…) pour rester en contact et être connectés 24h/24, la distance est (virtuellement) réduite comme peau de chagrin lorsque l’on est loin des siens. L’avènement des nouvelles technologies de communication a complètement changé la donne pour les expatriés de ce point de vue-là.
 
Pour ce qui est de la distance géographique réelle, c’est une autre histoire. La science n’ayant pas encore mis au point la téléportation, ni inventé le don d’ubiquité, voir ses proches en chair et en os régulièrement quand on est aux antipodes, ça reste un “problème”. Devoir être aux abonnés absents pour les évènements marquants de la vie (anniversaires, naissances, mariages, décès, etc.) n’est jamais réjouissant.
Petite anecdote à ce propos : lorsque je me suis envolée pour le continent africain, j’avais un cousin bébé (dont je suis sa seule cousine en France) qui allait fêter son premier anniversaire quelques jours après mon départ. Je n’allais pas être présente ni à ce moment-là, ni l’année suivante pour souffler sa deuxième bougie, et j’étais un peu catastrophée à l’idée d’être une parfaite inconnue pour lui à mon retour…
 
Ce que je redoutais le plus en quittant la France, c’était de ne plus pouvoir parler et voir mes parents (je suis fille unique) aussi souvent et autant que je le souhaitais, surtout papoter avec ma mère (que j’appelais plusieurs fois par jour lorsque je vivais à cinquante kilomètres de chez elle) avec qui j’avais une relation assez fusionnelle. J’ai compensé autrement…
 
 
D’une manière générale, il est indéniable que la gestion de l’éloignement est un aspect majeur dès qu’il s’agit de partir de son pays pour tenter l’expérience de vie à l’étranger.
Dans mon cas personnel, le contexte et les circonstances de ma parenthèse expatriée ont rendu les choses un peu particulières. Je vous raconte ?
 
 
 
Du point de vue de la localisation, j’ai eu de la “chance” de vivre un temps au Sénégal puisqu’il ne se situe pas à l’autre bout du monde par rapport à la France. “Seulement” distant de moins de 4000 kms de ma région natale (dans le Sud), à peine plus de cinq heures de vol sont nécessaires pour rejoindre le pays de la Teranga qui, en plus, n’a presque pas de décalage horaire (-1h ou -2h suivant l’heure d’été ou l’hiver chez nous).
Rien d’insurmontable pour qui voulait sauter dans un avion pour nous rendre visite, si ce n’est le prix des billets bien souvent dissuasif (contrairement à ce que l’on pourrait penser, aller en Afrique coûte souvent cher).
 
On n’est jamais rentrés en France durant le temps de notre expatriation, on n’avait pas les moyens financiers de se payer les billets d’avion (les vols low-cost n’existaient pas à cette époque). Mais même si l’on avait pu, on ne serait pas rentrés en cours de route car sinon, on ne serait probablement plus repartis pour terminer nos contrats (l’expérience de vie ailleurs était très éprouvante, et puis on savait dès le départ que l’on partait pour une durée déterminée).
Ce sont donc nos familles qui sont venues nous voir au Sénégal, l’occasion pour elles de découvrir ce pays de l’intérieur. Ainsi, on a accueilli des invités une fois à Kaolack (1ère ville où l’on a habité) et trois fois à Thiès (seconde ville où l’on a vécu) : la première visite environ deux mois après être partis de France, suivie par la deuxième six mois plus tard, puis la troisième encore deux mois après, enchaînée par la dernière quelques jours ensuite. Après quoi, on n’a plus vu personne jusqu’à notre retour définitif en France cinq mois plus tard. Ce fut interminable…
 
 
 
Si ma parenthèse expatriée s’était déroulée à l’ère de la suprématie des réseaux sociaux et autres applis permettant de neutraliser l’éloignement en deux clics, mon expérience de vie “ailleurs” aurait été radicalement différente. Mais pas forcément facilitée. Car de toute façon, cela n’aurait rien enlevé aux difficultés que l’on a pu rencontrer et aux galères que l’on a traversées tout au long de cette période. #BadKarma
En revanche, je pense que ça m’aurait permis de me “délester d’un poids” en pouvant partager tout notre vécu en temps réel (mais sans aucun recul du coup, ce qui n’est pas forcément mieux) et recevoir du réconfort “en direct live” lorsque j’en avais grand besoin. Enfin… je suppose que ça m’aurait soulagée, mais ça, je ne le saurai jamais. Ma parenthèse expatriée au Sénégal s’est définitivement achevée il y a fort longtemps puisqu’elle s’est déroulée au siècle dernier, à une époque où les téléphones portables et autres smartphones n’existaient pas, où les ordinateurs commençaient à peine à se démocratiser et où internet n’était encore qu’en gestation outre-Atlantique.
 
Mais alors comment je faisais pour partager le quotidien avec mes proches à l’ère des dinosaures ?
Ce n’était pas hyper simple !
 
 

 Allô ? Tu m’entends ? AAAALLÔÔÔÔ ??? ??☠️ 

 
Pour donner des nouvelles de vive voix aussi régulièrement que possible, ça nous a coûté un rein.
D’abord à Kaolack, on n’avait pas de téléphone fixe dans notre logement. Donc pour pouvoir joindre nos parents, on avait deux possibilités.
 
Soit on achetait (quand on réussissait à en trouver, ce n’était pas évident) des cartes de 120 unités téléphoniques (qui coûtaient environ 15 € pièce à l’époque) pour pouvoir appeler à peine une poignée de minutes (pour ne pas dire secondes) depuis une cabine publique dans la rue. Ces rares moments étaient une grande source de stress pour moi (incorrigible pipelette que je suis. J’ai même été surnommée “chatter-box” par une de mes profs d’anglais au collège, c’est dire l’étendue des dégâts…) car, à chaque appel furtif, le compteur des unités dégringolait à une vitesse folle. J’avais à peine le temps de dire « allô, ça va ? », attendre un laps de temps de décalage (me paraissant interminable) la réponse à l’autre bout du fil, et ne pas pouvoir donner de nos nouvelles en détail en retour. J’avais un peu l’impression d’être devant un bandit-manchot de casino crachant frénétiquement le jackpot, sauf que ce n’était pas moi la gagnante mais cette maudite cabine qui engloutissait goulûment mes unités (mes nerfs et des litres de sueur) ! Et ça, c’était quand la liaison était correcte sans trop de fritures, parce que bien souvent, on s’entendait mal, voire carrément pas du tout. Ambiances dialogues de sourds surréalistes. Je ressortais de ce bocal surchauffé toujours très frustrée, avec juste l’impression de n’avoir reçu et pu donner qu’une simple preuve de vie. Parfois, quand ça voulait bien fonctionner, mes parents me rappelaient au numéro de la cabine, et là c’étaient eux qui se faisaient plumer le porte-monnaie.
 
Soit on espérait recevoir un coup de fil directement au Cercle (l’Association des coopérants français habitant Kaolack) qui avait une ligne téléphonique. Oui mais voilà, c’était un peu au petit bonheur la chance puisque l’on ne pouvait pas vraiment savoir à l’avance si on allait être appelés. Nos familles savaient juste que l’on était potentiellement joignables là-bas les lundis soirs et jeudis soirs, si on allait au CercleOn a raté plusieurs fois des appels, ce qui était très frustrant aussi ! Ce n’était pas donné non plus, même si on abrégeait les conversations autant que possible.
Il arrivait aussi parfois que les parents de Philéas lui téléphonent à son travail.
Dans tous les cas, il n’était pas possible de téléphoner en PCV depuis le Sénégal.
 
 
Ensuite, à Thiès, on s’est fait raccorder au réseau de téléphonie fixe local. Nos familles pouvaient ainsi nous joindre plus facilement, et moi je pouvais nous ruiner en factures de téléphone, quand la SONATEL ne nous coupait pas la ligne

« […] Lorsqu’on a emménagé à Thiès, on s’est fait installer une ligne téléphonique à la maison. Quelques temps après, suite à plusieurs jours de panne de téléphone, Philéas contacte la SONATEL (équivalent sénégalais de France Telecom) pour signaler que notre ligne est en dérangement. La réponse du “service clients” est à peine croyable :
《 – Évidemment que ça ne marche plus ! On vous a coupé la ligne car vous n’avez pas payé votre facture.
– Comment ça je n’ai pas payé ? Mais je n’ai jamais reçu de facture moi ! Vous l’avez envoyée où ?
– Et bien chez vous ! Mais personne n’a réussi à trouver votre maison. Donc personne n’a pu vous laisser la facture et on nous l’a ramenée. Donc elle est impayée ! Donc un de nos techniciens est allé chez vous pour vous couper la ligne ! Et depuis, on n’arrive pas à vous joindre par téléphone pour vous le signaler.
Adresse introuvable pour déposer une facture, mais trouvée du premier coup sans aucun problème pour venir suspendre le téléphone ?!?! Chercher l’erreur…   […] »

 
Bref, pour réellement partager régulièrement, la solution (à prix prohibitif) du téléphone n’était ni vraiment simple ni totalement satisfaisante. Finalement, ça nous a surtout servi à (tenter de) rassurer du mieux possible nos parents sur nos états de santé physiques et psychiques en déperdition. Sauf que c’était quand même assez contre-productif. Comment parvenir à ne pas inquiéter lorsque l’on a soi-même le moral dans les chaussettes ?
C’était très dur parfois de ne pas trop laisser poindre nos états d’esprit. L’éloignement et le manque exacerbaient les ressentis. Une seule fois je n’ai pas réussi à contenir le flot d’émotions me submergeant lorsque j’ai entendu pour la première fois l’inquiétude réelle dans la voix de mon père (lui qui ne laissait jamais rien transparaître…). Je pleurais toutes les larmes de mon corps, effondrée à côté du téléphone, ne parvenant pas à parler tellement j’avais la gorge serrée et la respiration bloquée, ce qui angoissait encore plus mon père exprimant son impuissance à une telle distance.
 
 
Avec le recul, je pense qu’il était mieux pour nous de ne pas pouvoir tenir informés en temps réel nos familles. C’était déjà suffisamment difficile de gérer nos propres stress, alors en plus de ça, se sentir coupables d’inquiéter nos proches à distance, c’était compliqué à vivre. Et puis après chaque coup de fil, je me sentais encore plus mal alors que c’était censé me remonter le moral.
 
 
 

 Épistolairement Vôtre… 

 
L’autre façon dont j’abusais pour donner de nos nouvelles, c’était par écrit. Ce n’était pas du tout par soucis d’économies car, étant donné ma capacité à être bavarde et prolixe même sur papier, les frais postaux ont aussi explosé le budget.
 
Pendant ma parenthèse expatriée, j’ai donc assouvie mon obsession pour l’écriture. Je me suis plongée à corps perdu dans la tenue chronologique de carnets de bord, à chaud et sans filtres. Cela me servait ensuite de base à la relation épistolaire que j’ai mise en place avec mes parents. Je puisais là-dedans pour retranscrire (après un certain temps de “digestion” des faits relatés) toute notre vie quotidienne dans de très longues lettres leur étant destinées.

Mes récits étaient délibérément racontés avec humour et (auto)dérision, même quand les situations ne s’y prêtaient pas du tout. C’était ma façon à moi de prendre du recul par rapport à tout ce qui nous arrivait là-bas.
D’ailleurs, depuis ce temps, je m’évertue à appliquer à la lettre la citation de Beaumarchais : « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. »
 
Chaque lettre était écrite sur du “papier pelure” très fin (pour réduire le poids et donc le coût d’envoi déjà conséquent), recto verso, et dès qu’elle faisait entre une dizaine et une vingtaine de pages (pour une sombre histoire de fourchettes de tarifs), je la leur envoyais par poste aérienne dans des enveloppes légères spécifiques (en théorie, c’était aussi censé arriver “plus vite” à destination. Dans les faits, cela n’a pas toujours été le cas, sans compter que quelques lettres ne sont jamais arrivées).
Lorsque je suis rentrée en France, ma mère m’a donné deux gros classeurs remplis de pochettes plastifiées où elle avait conservé précieusement les centaines de feuilles que j’avais noircies compulsivement. Je ne m’y attendais pas du tout, c’était un véritable petit trésor pour moi. (Ça m’a permis aussi de prendre conscience du volume qu’avait pu représenter tout mon blabla…)
 
 
En dehors de ces longues chroniques manuscrites, j‘ai également accepté de participer à un “atelier correspondance” avec l’école primaire où allaient deux de mes petites cousines à cette époque. Leur classe choisissait des questions, me les écrivait et me les envoyait par la poste avec des dessins, et je leur répondais en retour. Ce fut le fil rouge de leur année scolaire.
 
Sinon, j’écrivais aussi beaucoup de lettres à toute ma famille, mes ami(e)s et mon entourage pour raconter un peu des anecdotes de notre (sur)vie au fin fond du Sénégal.
Chaque jour, j’espérais que Philéas ramène du courrier à la maison. Petite précision à ce propos : au Sénégal, pas de facteur ! On se faisait adresser le courrier à la boîte postale de l’entreprise où travaillait Philéas. Il fallait donc aller le chercher à la poste locale, en devant souvent payer un bakchich au passage… Quand une lettre pour moi arrivait, j’étais limite euphorique, c’était comme une fête, une bulle de décompression neutralisant la distance l’espace d’un instant ! Sauf que j’ai été plutôt déçue de ne pas recevoir souvent de réponses, et de moins en moins au fur et à mesure que le temps passait. La vérité c’est que tout le monde n’était pas aussi à l’aise avec l’écriture que moi, mais je ne le comprenais pas vraiment à ce moment-là. J’avais un peu interprété ça (à tort) comme une certaine forme de “désaffection”, du genre “loin des yeux, loin du cœur”. Mais en rentrant en France, j’ai su par la suite que ce n’était pas vrai puisque les nouvelles étaient prises directement auprès de nos parents, c’était beaucoup plus simple et facile pour la plupart. Sauf que moi, j’avais alors besoin de savoir que l’on ne “m’oubliait” pas… De ce point de vue-là, j’ai mal (di)géré la distance…
 
 
 

 La gestion de la distance, vue sous un autre angle… 

 
Pour finir, voici quelques anecdotes relatives à d’autres aspects de la gestion de la distance avec lesquels nous avons dû composer durant notre parenthèse expatriée.
 
 
Dès l’arrivée en terres sénégalaises, il a fallu gérer la distance nous séparant de… nos affaires embarquées pour le temps de l’expatriation ! On avait expédié par avion-cargo la plupart des choses dans deux grosses cantines qui ont été “prises en otages” à la Douane pendant trois semaines.
Et en plus de ça, de mon côté, j’avais envoyé mes vêtements et chaussures que je n’avais pas pu prendre dans mes bagages avec moi (déjà en excès de poids en soute) par la poste dans deux gros colis que j’ai reçus au Sénégal… un mois plus tard. J’ai donc eu le grand plaisir de jongler avec trois fois rien pour m’habiller pendant quelques semaines. Bon, finalement, comme pendant cette période j’ai enchaîné les maladies et qu’il faisait excessivement chaud, je n’avais pas besoin d’une grande garde-robe pour rester allongée légèrement vêtue, donc ça ne m’a pas trop manqué.
 
 
Il a fallu s’habituer à devoir perdre son temps à cause de la distance pour les choses banales de la vie quotidienne. Exemples :
Quel était le point commun entre aller chez le coiffeur, voter pour les élections Présidentielles au Consulat et renouveler mon passeport aux services consulaires ?
Une journée entière de perdue, 400 kms dans les dents et une plongée dans l’enfer des embouteillages ! (je ne rajoute pas “beaucoup de fatigue, de stress, d’attentes, des litres de sueurs, des nerfs soumis à rude épreuve”, mais ça fait partie de la bonne réponse aussi…)
Oui, ces activités ne prenant pas énormément de temps en France, étaient extrêmement chronophages au Sénégal : 3h30 pour aller de Kaolack à Dakar distants de 200 kms, accomplir la mission pour laquelle on venait subir les bouchons monstres de la capitale, et à nouveau 3h30 et 200 kms pour rentrer à Kaolack. Autant dire qu’il ne fallait pas oublier par inadvertance quelque chose à la maison…
Précision : il existait des “coiffeurs” de rue à Kaolack. Inconscient Confiant, Philéas a testé, mais le résultat fut un carnage ! Renseignements pris auprès des autres expat’, il a suivi les conseils et s’est résigné à devoir aller à Dakar pour se faire couper les cheveux dans un “salon de coiffure” plus “conventionnel”. Moi, comme je ne suis pas maso téméraire, je n’ai jamais voulu essayer. J’ai préféré laisser pousser mes cheveux (déjà longs au départ de l’action). Je les ai juste fait raccourcir par ma mère lorsque mes parents sont venus en vacances chez nous dix mois après notre arrivée au Sénégal.
 
Dans le même ordre d’idée, on a eu la chance inouïe de ne jamais avoir eu besoin d’un dentiste (ou d’un gynéco). Le seul (digne de ce nom) qui nous était alors recommandé se trouvait à Dakar aussi. Pas super pratique donc pour organiser un rendez-vous à la Capitale nécessitant 7 heures pour parcourir 400 kms de routes défoncées avec, en bonus, l’enfer chaotique et indescriptible de la circulation urbaine dakaroise…
 
Bref, question déplacements, que ce soit professionnels pour Philéas ou pour nos diverses vadrouilles dans le pays, il nous a fallu apprendre à évaluer la distance en nombre d’heures(jours) et non pas en nombre de kilomètres à parcourir. C’est normal, c’est Sénégal ! Suivant où l’on devait se rendre, ça pouvait vite devenir dantesque (et c’était toujours une aventure rocambolesque).
Par exemple, pour simplement partir en Casamance, au Sud du pays, à seulement 250 kms de Kaolack, il fallait compter 5h30 de voyage rien que pour l’aller (quand tout se passait bien), et donc autant pour le retour.
 
 
Notre parenthèse expatriée nous a aussi enseigné l’art de régler les tâches administratives à distance (sans tomber en dépression).
 
Tout devait se faire par courrier (et/ou par téléphone parfois), internet n’existant pas à cette époque. Mes parents n’ont donc pas été les seuls à bénéficier d’une relation épistolaire très suivie… Il y a aussi la sécurité sociale/mutuelle santé des expat’ à laquelle on était affiliés, ou bien encore les assurances que l’on a sollicitées après nos cambriolages de domicile ou après la perte/vol de ma carte bancaire (les procédures locales étaient dignes d’un sketch, entre les visites au commissariat pour déposer plainte, se faire établir des documents officiels remplis de tampons, les coups de fil aléatoires depuis une cabine téléphonique aux différents services en France qui nous renvoyaient les uns vers les autres, aggravant ainsi encore un peu plus notre risque de faillite due aux coûts exorbitants des appels).
 
Il n’y avait pas de distributeurs automatiques là où l’on était, alors pour retirer des devises, on allait chez un épicier libanais lorsque l’on vivait à Kaolack, puis chez un pharmacien lorsque l’on habitait à Thiès. Oui, c’est très bizarre, mais c’était la méthode locale des expat’ pour faire du change là-bas : on faisait un chèque en Francs français (à l’époque, l’Euro n’existait pas encore) et on obtenait l’équivalent en espèces en Francs CFA. Il nous fallait donc des chéquiers. Et comme on n’avait pas ouvert de compte bancaire au Sénégal (on n’est pas kamikazes), on utilisait nos chéquiers français. Là où ça se corsait, c’était quand ils étaient finis et qu’il fallait en avoir de nouveaux. C’était toute une histoire ! On les faisait commander d’avance par nos parents en France et à chaque venue de nos familles au Sénégal, elles nous les apportaient dans leurs valises avec tout le réassort des choses dont on avait besoin et que l’on ne trouvait pas sur place (médicaments, parapharmacie, produits de toilette, d’hygiène, lunettes de vue après que l’on m’a volé les miennes, etc.).
Pour les cartes bancaires expirées à renouveler, pour une remise de chèques, pour connaître le solde de notre compte en banque (on ne recevait pas les relevés bancaires là-bas), c’était pareil, même cirque.
Même trafic également pour les photos que je prenais. À cette époque, il n’existait que la photo argentique, donc nécessitant pellicules et développement. Je transmettais les pellicules finies à mes parents pour qu’ils les fassent développer en France. En retour, ils me faisaient passer des pellicules neuves.
 
 
Mais en définitive, gérer la distance au Sénégal a aussi et surtout consisté pour moi à (essayer de) comprendre, décrypter et apprivoiser un monde jusqu’alors totalement inconnu où les modes de vie, les us et coutumes sont aux antipodes des miennes. À ce titre, ce fut un voyage intérieur intense et lointain
 
 
 
« — Alors le Sénégal, c’était comment ? 
Loin.
— De la France ?
— Et d’aujourd’hui. Encore maintenant, j’ai parfois du mal à croire que j’ai réussi à y (sur)vivre.
— J’ignorais tout ce que vous avez vécu là-bas.
—  Tu n’es pas le seul, et tu ne sais pas tout. Et c’est tant mieux… »
 
 
 
 
 
 
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édition n°20 : La Nature…
édition n°18 : Leurs coutumes/habitudes devenues miennes.(je n’ai pas participé à ce numéro)
édition n°17 : Qu’est-ce qu’on écoute au Sénégal ?
édition n°16 : Un mot, une expression…
édition n°15 : La cuisine…
édition n°14 : Mon intégration…
édition n°13 : Le système médical…
édition n°12 : Les rapports humains…
édition n°10 : Le corps ailleurs…
édition n°7 : Votre coin de France.(je n’ai pas participé à ce numéro)
édition n°5 : Mon ailleurs la nuit…
édition n°4 : Ma nouvelle routine…
édition n°3 : Pourquoi es-tu partie ?
 

D’autres participations abordant ce thème sont listées en fin d’article ici.

 
 
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10 Comments on “[ #HistoiresExpatriées ] La distance… ☎️✍️✉️

  1. Bonjour Angélique,

    C’est sympa de constater que chaque expatrié a ses solutions pour gérer la distance avec ses proches. Merci !
    J’ai pour projet de résoudre ce problème dans les relations enfants / grands-parents grâce au projet du fil d’Ariane (www.lefildariane.co)
    Je serais heureux d’avoir votre ressenti sur le projet, n’hésitez pas à me contacter.

    Bien à vous
    Stanislas

    • Merci d’être passé par ici.
      Votre projet est tout-à-fait louable, je vous souhaite beaucoup de réussite.
      A titre personnel, cela ne me concerne plus : je ne suis plus expat’ depuis près de 25 ans, je n’ai plus de grands-parents depuis bien plus longtemps encore, et comme je n’ai plus mes parents non plus, mes propres enfants n’ont jamais pu avoir de liens avec leurs grands-parents maternels. Bref, je ne suis pas du tout la bonne “cible”, désolée.

  2. J’ai adoré ton article (comme toujours). Beaucoup d’humour, d’humilité et de vécu.
    Je ne sais pas si ça aurait été plus simple en effet aujourd’hui, car les proches qui restent en France peuvent avoir du mal à comprendre ce que l’on vit, sans avoir mis les pieds dans notre pays d’accueil. Tout dépend du pays d’accueil certes 😉 Et je crois qu’au final, on garde beaucoup de choses pour soi, pensant que les gens ne pourront pas comprendre ou plus souvent pour les protéger…

    Ton article a carrément réussi à me rendre nostalgique d’un monde moins connecté… mais je suis sure que ce n’était pas le but initial. Malgré un monde plus connecté, parfois le réseau ne marche pas dans ton pays d’accueil, la coupure d’électricité arrive pile poil au moment où tu veux appeler ta famille, etc. Et comme je préfère les romans épistolaires (suis plus écrivaine qu’oratrice), je finissais par écrire de long emails à mes potes, que j’adore relire aujourd’hui.

    J’ai quand même beaucoup ri suite à ta phrase “… car sinon, on ne serait probablement plus repartis pour terminer nos contrats”. Je me suis fait la même réflexion en Côte d’Ivoire. On me demandait souvent pourquoi je préférais profiter des pays mitoyens pour mes vacances. Je répondais “par curiosité” mais au fond, j’avais peur de retrouver bien trop de confort physique ou émotionnel en France, pour ne jamais vouloir repartir. Finalement 12 mois plus tard, c’est la Côte d’Ivoire que je ne voulais quitter. Ah et les distances “physiques” en Afrique de l’Ouest sont assez hilarantes…

    Pour faire court, merci pour ce doux moment 🙂

    • Oh MERCI Lucie ? ! Ça fait du bien de savoir que quelqu’un peut vraiment comprendre ce qu’a pu être la vie sur le continent africain, c’est tellement rare… Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer dans les “coulisses de mes histoires expatriées”, j’avais fini par renoncer à raconter de vive voix une fois rentrée en France. Mais par écrit, non. Et maintenant, depuis le RdV des #HistoiresExpatriées, encore moins : il faut que ça sorte ? ! C’est tellement libérateur pour moi… Je ne sais pas si tu as tenu un carnet de bord pendant ta parenthèse ivoirienne, mais si c’est le cas, garde tout ça précieusement, imprime sur papier tout ce que tu as pu écrire par mails, et ressors le dans 20 ans… Je te promets un voyage intérieur intense ?…

  3. J’ai bien ri en lisant ton article et ça m’a rappelé quand ma sœur s’était installée au Mexique au début des années 90. Je lui écrivais de longues lettres qui arrivaient quelques semaines plus tard. On l’appelait à son travail (il me semble) mais pas longtemps car ça coûtait très cher et on a appris ses galères de boulot… à son retour en France.

    • Enchantée de savoir que mes tribulations SénéGauloises t’ont bien fait marrer !!! C’est ce que je recherche avant tout pour raconter sur un ton léger des choses qui ne l’étaient pas forcément sur le moment. On n’a pas tout raconté en rentrant en France. Mais grâce au RdV des Histoires Expatriées, je peux “exorciser” pas mal de choses après tant d’années, après tout, il y a prescription maintenant ;-)…

  4. Encore un article où je retrouve beaucoup de ma propre expérience alors même que je suis partie à l’ère des téléphones, skype et autres whatsapp ! ^^
    Même il y a juste quelques années j’ai du galérer avec le retrait d’espèces chez des commerçants ^^, ou les trajets qui durent des plombes ! (20km en 2h30 ^^)
    Et même si je pouvais joindre ma mère très très souvent (ce qui fut un soutien énorme pour me “décharger” du poids de certains tracas) j’essayais toujours de faire attention pour ne pas trop l’alarmer non plus :/ finalement les communications faciles ont aussi ce défaut dans les expériences difficiles !
    (Et puis ça peut avoir le mauvais côté de nous enfermer dans la spirale de la complainte et de ne pas arriver à prendre du recul). Mais ça a quand même du être difficile d’être aussi “loin” !

    • J’imagine très bien ce que ça a pu être pour toi à Madagascar !!! En écrivant ma participation, j’ai finalement réalisé que ce n’était pas plus mal de ne pas pouvoir partager en direct étant donné notre contexte. Pouvoir(savoir) prendre du recul est essentiel…

  5. C’est sympa d’aborder la distance proprement dite. Et je compatis… malgré le nombre d’années, je confirme que au CR aussi on compte la distance en heures… 220km en 4h30 pour rejoindre la capitale! Ça rivalise pas mal hein… et pire encore, les routes sont goudronnées !!!
    C’est fou tes histoires, j’arrive à me les imaginer…

    • C’est vrai qu’il y a beaucoup d’endroits sur la planète où se déplacer est toute une histoire, ce n’est pas réservé à l’Afrique, loin de là. Quand on ne sait pas ce que ça peut représenter dans le quotidien d’un expat’ concerné, c’est difficile à appréhender. C’est cool si mes récits parviennent à “transmettre” les choses !

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