[ #HistoiresExpatriées ] Mon intégration…

 
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(édition n°1412/2018)
(avec pour marraine Eva, expatriée au Japon)

Thème proposé :

MON INTÉGRATION DANS
MON PAYS D’ACCUEIL

 
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Je vais tuer le suspense d’entrée de jeu : pendant ma parenthèse expatriée au Sénégal, il n’y a pas eu d’intégration. Ni pour Philéas, ni pour moi.

Mais comment est-il possible de ne pas s’intégrer au pays de la Teranga, là où l’hospitalité et la générosité coulent dans les veines de la population ?

Au risque d’écorner (à nouveau) une réputation (qui, pourtant, n’est plus à faire), j’en profite, au passage, pour jeter un pavé dans la mare ! Il ne s’agit là que de mon point de vue, franc et direct, donc cela n’engage que moi (et tous ceux qui pensent comme moi…).

Pour ce que j’ai pu observer et expérimenter, la sacro-sainte Teranga s’applique plus volontiers (pour ne pas dire opportunément) aux touristes (et autres voyageurs de passage), qu’aux expatriés… Forcément, un “pigeon” qui vient en vacances au Sénégal est plus facile à plumer qu’un “oiseau migrateur” aguerri venu y vivre un certain temps…
Ce serait un poil exagéré de prétendre que c’est plus un “concept marketing” qu’autre chose, mais il y a quand même un peu de ça dans mon ressenti de l’époque où j’y vivais.

Depuis, de l’eau est passée sous le pont…
J’ai révisé, en grande partie, mon implacable jugement. Je ne mets plus tout le monde dans le même panier. Il est toujours mieux de savoir séparer le bon grain de l’ivraie…
Je me suis (presque complètement) réconciliée avec ce pays qui m’a accueillie, m’en a fait voir de toutes les couleurs, mais au final m’a transformée.
La preuve : alors que je ne voulais plus jamais y remettre les pieds, j’y suis quand même retournée (un peu contrainte et forcée la première fois) en vacances (et dans ce contexte, ça change tout…), à plusieurs reprises.
Nous y avons aussi embarqué nos enfants deux fois.
Philéas y est retourné encore plus souvent que moi et continue puisqu’il y va (presque en pèlerinage) avec son sac à dos chaque année, en emmenant à chaque fois avec lui une poignée d’amis qu’il initie au virus envoûteur de l’Afrique (ils ont TOUS été ensorcelés à leur tour…).
Avec quelques-uns desdits amis, nous y avons réalisé un projet humanitaire (tracé d’une piste d’accès jusqu’au village, forage avec pompe pour avoir de l’eau sur place, construction “en dur” de l’école avec éclairage solaire) au fin fond du Sénégal Oriental
dans un village traditionnel isolé en haut d’une colline, sans eau courante ni électricité.
J’y retournerai certainement
encore et encore (il reste plein d’endroits où je ne suis pas allée)… mais sûrement pas pour y vivre à nouveau !

 

BREF ! Alors pourquoi ne nous sommes-nous pas intégrés ?

Il y a eu diverses justifications à cela. Elles nous étaient propres car uniquement issues de nos expériences personnelles.

La principale raison était simplement logique. Comme nous savions dès le départ que notre expatriation était à durée déterminée, la question d’une réelle intégration ne se posait même pas à vrai dire. Pour ma part, je n’y voyais aucun intérêt. À mes yeux, ce n’était finalement qu’une parenthèse “ailleurs”, et non pas un réel changement de vie. (Et pourtant, paradoxalement, cette période charnière a bel et bien changé irréversiblement beaucoup de choses…)

Une autre raison (de taille) était plus subjective. Face aux différences abyssales dans le mode de vie et les us et coutumes locales que nous avons découverts et auxquels nous avons été confrontés, il nous était absolument impossible de nous imaginer pouvoir vraiment nous intégrer. Le fossé culturel et les murs d’incompréhensions nous paraissaient infranchissables en ce qui nous concerne.
Certes, là-bas, j’ai découvert (bien malgré moi) l’incroyable, fascinante, extraordinaire et insoupçonnée capacité que possède l’Être Humain pour s’adapter aux contraintes de l’environnement dans lequel il (sur)vit. Pour autant, il est évident que tout le monde n’est pas taillé pour être capable de réellement s’intégrer.

Et puis, de toute façon, soyons clairs : nous ne le voulions tout bonnement pas. Nous n’étions pas du tout dans l’état d’esprit de personnes désireuses de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière et “renier” notre vie d’avant en changeant de langue, de mode de vie, de culture, de coutumes, de traditions, en se “fondant dans la masse”, en s’assimilant.

Cependant, nous avons quand même plongé allègrement dans l’inconnu. Sauf que tout au long de cette tranche de vie, notre immersion s’est avérée plutôt éprouvante. Cela nous a “secoués” au point de nous dissuader de poursuivre cette aventure plus longtemps. À la fin de nos contrats de travail respectifs, nous avons pris nos cliques et nos claques et nous sommes rentrés au bercail (en assez piteux état) sans nous retourner !

Point d’intégration donc, ni envisagée, ni envisageable.

Néanmoins, après plusieurs semaines d’intenses cogitations, en mode #TempêteSousUnCrâne, j’ai finalement décidé de participer à cette édition des #HistoiresExpatriées, histoire de raconter quelques-uns des épisodes pas très agréables de notre expérience.
C’est l’occasion pour moi d’extérioriser certaines mésaventures en les partageant “publiquement”, en guise d’exutoire (partiel). Cela donnera ainsi une petite idée (en tout cas, je l’espère) des raisons pour lesquelles on n’avait pas voulu rester là-bas, alors qu’on aurait pu le faire sans aucun problème (tout est possible au Sénégal, les opportunités ne manquent pas)

Voici donc quelques tranches de vie en vrac, (presque) brutes de décoffrage, des « Desperate Expat’»

Le plaisir de se sentir en insécurité

S’il me fallait désigner l’épisode qui a été le tournant radical dans ma façon d’appréhender l’expérience “vivre ailleurs” dans laquelle j’étais plongée, ce serait bien celui-là ! C’est à partir de ce moment que ma vision a changé (pas très favorablement…) et que j’ai “fait le deuil” de mon insouciance et de mon aptitude à la confiance (déjà pas très grande à la base) envers autrui.

Moins de deux mois après avoir débarqué, alors que nous habitions encore à Kaolack, Philéas a été menacé de mort à son boulot par un de ses collègues sénégalais s’étant fait évincer de son poste pour cause d’incompétence notoire et grave manquement professionnel.
Philéas n’était pas du tout à l’origine de cet évènement, il n’avait même pas les mêmes fonctions dans l’entreprise. Mais il avait été désigné par sa hiérarchie pour remplacer au pied levé ledit collègue jugé incapable de remplir sa mission et rétrogradé à un poste de subalterne sans plus aucune responsabilité.
La fureur de “l’éconduit” avait été d’autant plus flippante que l’individu en question était un mastodonte, un imposant tas de muscles (enrobés d’une bonne couche de graisse) mesurant pas loin de 2 mètres ! Autant dire que mon cher et tendre coq gaulois tout maigrichon (il affichait alors – 5 kg au compteur sur un poids total déjà pas épais au départ) ne faisait pas le poids face à ce géant noir vert…

Je n’avais pas été mise au courant quand les menaces avaient été proférées.
Philéas voulait m’épargner une (énorme) source de stress supplémentaire alors que je venais à peine de traverser une grosse zone de turbulences médicales et de difficultés d’adaptation physiologique au climat local. J’étais déjà épuisée physiquement, mon moral avait commencé à en prendre un sérieux coup.
J’avais donc appris cette excellente nouvelle, pas du tout anxiogène, tout-à-fait fortuitement, au hasard d’une conversation avec un autre collègue de travail de Philéas, expat’ français celui-ci. Sa mise en garde avait été on-ne-peut-plus claire (et on-ne-peut-moins brutale) :
-《 Méfie-toi sérieusement de lui, il t’en veut vraiment à mort… Si jamais, un jour, tu reçois un coup de couteau, il ne faudra pas t’étonner ! 》.

Ambiance idéale pour atteindre le nirvana de la confiance et de la sérénité !

Inutile de préciser qu’à partir de ce moment-là, j’ai eu (vraiment) peur
Déjà que je suis plutôt une trouillarde méfiante de nature, alors là, me sentir potentiellement en danger et impuissante à 5000 kms de chez moi, ce fut l’apothéose.
Sans compter qu’entre temps, on avait appris que Thiès, la seconde ville où on devait partir vivre après Kaolack, était réputée plus “compliquée” niveau sécurité. Vols et agressions à domicile, de jour comme de nuit, y étaient monnaie courante. Il y avait un commissariat mais avec pratiquement aucun policier pour endiguer le problème là-bas, car trop “proche” de Dakar, l’infernale capitale, où les brigades de polices étaient affectées en priorité.

Au début de l’aventure, quelques semaines à peine après être arrivée, je me sentais déjà de moins en moins tranquille à Kaolack.
Plusieurs “évènements”, plus ou moins anodins, m’avaient alertée.

Ce fut le cas, par exemple, la fois où on avait dû faire face aux premiers signes d’hostilité de la part de gamins dans la rue.
Ça s’était passé dans notre quartier, non loin de notre domicile. Alors qu’on traversait à pied une sorte d’esplanade de terre sablonneuse, où les enfants et les jeunes du coin passaient une bonne partie de la journée, un gamin s’était mis subitement à courir vers nous en brandissant un bout de bois et en criant dans sa langue on-ne-sais-pas-trop quoi. Tous les autres gamins présents s’étaient alors mis à suivre l’assaillant, en hurlant les poings en l’air. Quand on les a tous vus se précipiter vers nous, on a bien cru que l’on allait se faire lyncher en place publique ! Je m’étais arrêtée net, foudroyant du regard le morveux me menaçant avec son bâton. Il était resté le bras dressé, en arrêt sur image. Il avait beau n’être qu’un enfant entouré de plein d’autres, la loi du nombre l’aurait emportée… Heureusement qu’une sénégalaise est sortie de chez elle en leur gueulant dessus, ce qui a eu pour effet immédiat de disperser tout ce petit monde…
Depuis le début, on avait déjà quelques petits “soucis” avec les enfants en général à Kaolack. Leur curiosité envers un couple de “blancs” vivant parmi eux devenait souvent un peu trop débordante. Mais jusqu’alors, c’était resté au simple (mais néanmoins bien pénible à la longue) stade des moqueries ostentatoires.

Une autre fois, alors qu’on vivait à Thiès, je me suis retrouvée seule avec deux gamins dans une situation pas très confortable. J’attendais dans la rue devant le boulot de Philéas  qui devait passer m’y récupérer ce soir-là en revenant de son déplacement. Deux gamins s’approchent pour me demander de l’argent. Situation on-ne-peu-plus banale du quotidien. Voyant que je les ignore volontairement, l’un des mioches se colle contre le portail devant lequel je poireaute et sort un long couteau de cuisine en me menaçant :
Toubab ! Donne-moi ton sac et ton argent, ou je te tue !
Je garde mon calme (autant que possible) et ne réagis pas davantage (pour ne surtout rien laisser paraître de ma peur). Il longe le mur avant de l’escalader pour l’enjamber et continue de me menacer avec son couteau de boucher. Là, je commence quand-même à m’inquiéter un tantinet, réalisant tout-à-coup que je ne peux pas aller me mettre en sécurité en rejoignant le gardien des lieux derrière le bâtiment. Heureusement, une sénégalaise passant dans la rue, et témoin de la scène, est venue vers moi et a fait déguerpir ces deux apprentis voyous. Je ne sais pas vraiment jusqu’où ils auraient osé aller pour me dépouiller…

Durant toute la durée de notre parenthèse expatriée, il y a eu d’autres contextes et d’autres situations où je me suis sentie (plus ou moins) en insécurité. Je limite cette partie de mon récit à deux derniers exemples. #FlashBack

L’ambiance enivrante des jours d’émeutes
Un beau matin, sans crier gare, on se met à entendre au loin des explosions et des coups de feu.  On ne sait pas trop ce qui peut être à l’origine de tout ce ramdam qui dure toute la journée. Notre fatou nous a prévenus de faire attention en sortant ce jour-là, mais je n’ai pas trop compris pourquoi.
Le soir, ça semble s’être calmé. On part faire quelques courses. Arrivés en centre-ville, on découvre, stupéfaits, des CRS et des militaires français de partout dans les rues. Vachement rassurant ! Notre épicier libanais est débordé : plein de militaires veulent lui acheter de l’alcool pour la soirée.
Ne comprenant pas ce qui se passe, on décide de faire un saut au Cercle (Association des coopérants français habitant Kaolack) pour se renseigner auprès des autres expat’, et pouvoir aussi regarder les infos à la télé. On apprend alors que des émeutes étudiantes ont éclaté dans le pays. Kaolack a donc connu des manifs mouvementées ce jour-là et le lendemain, avec tirs de bombes lacrymogènes pour disperser la foule.
On a été mis en garde pour d’éventuelles prochaines fois : en cas de manifestations, les expat’ ne doivent surtout pas sortir et rester enfermés à l’abri chez eux. Dans pareille ambiance d’émeutes, les sénégalais très énervés prennent facilement les toubabs pour cible. On nous a d’ailleurs raconté les déboires d’un expat’ qui s’est fait défoncer sa voiture en tentant de rentrer chez lui ; il avait bien cru ne pas pouvoir s’en sortir.
On a expérimenté une autre fois l’ambiance “émeutes en ville” ; ce coup-ci, c’était lorsqu’on habitait à Thiès. Un jour, en fin de matinée au boulot, on a soudain entendu une vague de hurlements dans le quartier où je travaillais. En regardant par la fenêtre, on a vu les rues envahies par les élèves du lycée voisin. Mon patron (sénégalais, habitué à ce genre d’évènements) a eu très peur, s’est levé précipitamment de son fauteuil et est descendu en courant pour fermer à clé la porte du Bureau. Sa réaction ne m’a pas du tout rassurée… Il est remonté, l’air soulagé, et s’est rassis. Mais il a sursauté lorsqu’on a commencé à entendre des coups de feu. En fait, sa réaction m’a plus effrayée que les détonations des bombes lacrymos. Heureusement, plus de peur que de mal : on est resté enfermés jusqu’à ce que ça se calme. Le vent qu’il faisait ce jour-là nous a juste permis de bien profiter des effets des gaz lacrymogènes propagés dans les bureaux par les fenêtres ouvertes. J’ai été prise d’une crise d’éternuements et de larmoiements incontrôlable. Quant à Philéas, au moment où les faits se sont déclarés, il circulait en voiture et s’est retrouvé en pleine manif dans une des rues assaillie. Il a verrouillé toutes les portières et ne la menait pas large, mais par chance, il ne lui est rien arrivé.

La valse étourdissante des agressions verbales
Un week-end, Philéas a l’autorisation de récupérer un des véhicules de fonction de son entreprise pour qu’on puisse partir s’aérer l’esprit loin de la merde ambiante de notre quotidien. Le samedi, il récupère la bagnole. Tout va bien, on se fait une joie de pouvoir aller passer la journée du dimanche au bord de l’océan, sur notre plage “havre de paix” à 1h30 de routes de Kaolack.
Sauf que rien ne s’est passé comme prévu ! (mais bon… comme d’habitude en fait…). Illustration d’un cas appliqué de la “Loi de Murphy” (ou Loi de l’emmerdement maximum pour les intimes).
Dimanche matin, 8h, on est au taquet. En sortant mettre les affaires dans la voiture, je découvre qu’un des pneus arrière est crevé. (Première surprise du matin, chagrin.). Rien de bien original, c’est une situation tellement banale, presque quotidienne. Philéas, impatient de s’affaler sur un transat pour roupiller à l’ombre des filaos, s’empresse de prendre la roue de secours dans le coffre. Dommage ! Le pneu est à plat aussi. (Deuxième surprise du matin, c’est pas bien.). Pas très original non plus ; le précédent conducteur ayant crevé n’a pas jugé opportun de faire réparer la crevaison qu’il a subie. (Pourquoi faire ? La bienveillance a ses limites, même au pays de la Teranga…). La moutarde monte au nez de Philéas. De rage, il prend le pneu sous le bras et part à pied le faire réparer à la boutique du premier vulcanisateur qu’il trouve. Il revient une heure plus tard et change la roue en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. On saute dans la voiture, soulagés de mettre les voiles. Le soulagement est de courte durée : la voiture ne veut pas démarrer ! La batterie semble nase. Pourtant, la veille, tout marchait bien. On n’a pas laissé les phares allumés non plus. Philéas regarde sous le capot et là, oh surprise (oh rage, oh désespoir !), il s’aperçoit que la batterie n’a plus une goutte de liquide. Il remarque aussi, par la même occasion, que le niveau de liquide de refroidissement est en-dessous du minimum. (Troisième et quatrième surprises du matin, ça craint !)
La probabilité de cumuler autant de pannes en même temps est faible. Alors, vu le climat ambiant de jalousies et de convoitises, on aurait presque suspecté du sabotage.
Bref, au final, on n’a pas pu partir et on a passé notre dimanche à ruminer et maudire la terre entière.
Le lendemain, Philéas retourne au boulot, sans la bagnole donc, et explique ce qui s’est passé. Moi, je reste seule à la maison. Soudain, sans prévenir, je vois débarquer en fanfare deux sénégalais que je n’ai jamais vus auparavant. Ils rentrent comme des furies, sans m’en demander la permission, et sans même dire bonjour. Je ne suis vraiment pas rassurée par ces intrus à l’air très énervé. L’un porte à la main une sorte de cartable façon croco 100% plastique, l’autre est habillé d’un bleu de travail de mécano et tient quelques outils. Avant même que je puisse leur demander quoi que ce soit, le mécano se dirige vers la voiture et l’ouvre avec la clé qu’il a, pendant que l’autre se met à me hurler dessus en me parlant très mal. Il m’agresse verbalement en m’accusant d’avoir cassé leur véhicule. Là, je comprends que ces deux zigotos travaillent au même endroit que Philéas.
J’ai passé un sale moment où j’ai eu peur que ça dégénère. J’étais seule, complètement démunie et donc à leur merci. Je n’aurais pas pu faire grand-chose pour me défendre…
Quelques mois plus tard, à Thiès, on était allés dans un bar pour pouvoir regarder la soirée électorale à la télé. Là, soudain, à l’annonce des résultats de la présidentielle, un sénégalais manifestement bourré s’en est pris à notre tablée lorsque est apparu à l’écran le visage de Chirac. Pour une raison inconnue, il s’est mis à m’insulter car Jospin avait été battu !?!? Les patrons du bar ont dû intervenir pour évacuer l’individu en plein délire…

 

Les joies extrêmes des visites à domicile

Dans la vie, il y a toujours une première fois. Et bien notre baptême de cambriolage s’est déroulé en pleine nuit, pendant qu’on dormait. Pour s’assurer de leur tranquillité, les voleurs nous ont gazés pour nous neutraliser au fond de notre lit, dans les bras de Morphée.

Retour, façon ≪Carnet de bord≫, sur cet épisode pas très agréable…

 

Kaolack. Fin juin 1994.

Cela fait quelques jours qu’on a comme un mauvais pressentiment. On se sent suivis, espionnés. En plus, depuis plusieurs nuits, je dors très très mal ; je me réveille constamment avec l’impression d’être épiée et de voir passer des ombres devant notre chambre. Le peu que je dors, je ne fais que des cauchemars.
Le Sénégal commencerait-il à me rendre complètement dingue ?
Ou alors ne serait-ce pas le harcèlement et les menaces des voisins d’en face qui me tapent sur le système ?
On vire limite parano, on ne se l’explique pas vraiment, c’est irrationnel, la dose d’emmerdes et de contrariétés quotidiennes est pourtant toujours la même.
La seule chose qui pourrait éventuellement justifier ce malaise, c’est le déménagement pour Thiès qui approche à grand pas. Comme on veut s’épargner le plus longtemps possible les inévitables prises de têtes qu’il va falloir gérer (notamment avec notre Fatou et notre gardien, qui font déjà tout pour savoir), on ne donne pas de date précise de départ. Mais on sent bien que notre environnement est aux aguets !

Kaolack. Vendredi 1er juillet 1994.

Notre Fatou n’est pas venue aujourd’hui, chose plutôt improbable le jour où je lui paye son mois. C’est d’autant plus bizarre que, d’habitude, elle envoie toujours quelqu’un me prévenir si jamais elle doit être absente. Et puis elle a oublié toutes ses affaires ici, ce qui n’arrive jamais !?!?
Ce doit être le jour des comportements étranges car notre gardien non plus n’était pas  comme d’habitude. Lui, pourtant si familier (un peu trop même d’ailleurs), il était distant, fuyant. Quand on est rentrés le soir, les voisins d’en face ne nous attendaient pas comme à chaque fois pour nous gueuler de rouler phares éteints comme d’habitude.  Le gardien n’était pas là pour ouvrir le portail, comme il le fait systématiquement avec enthousiasme dès qu’il entend la voiture arriver. On a cru qu’il était carrément parti car il a fallu que j’aille ouvrir. Mais il est réapparu en courant quelques instants après, essoufflé. On n’a pas réussi à savoir ce qu’il trafiquait, il a juste été évasif et s’est étonné qu’on soit déjà de retour, alors qu’il est plutôt du genre à avoir hâte qu’on rentre !?!? Quand on lui a payé son mois, il nous a littéralement fait passer un interrogatoire pour savoir ce qu’on avait fait, ce qu’on compte faire précisément, où et à quelles heures, si on allait se coucher de suite, etc.
Philéas a trouvé ça louche. Alors en allant refermer le portail, il a aussi verrouillé la grille d’entrée en se disant 《 on ne sait jamais, si on nous vole… 》. Venant de lui, c’est plutôt surprenant (il zappe très régulièrement de tourner la clé dans les serrures…). Bon, il a quand même oublié de fermer la porte de derrière (donnant uniquement sur une petite cour emmurée. Derrière ces hauts murs, il y a un terrain vague jonché de détritus).

Kaolack. Samedi 2 juillet 1994.

Fatou était aux abonnés absents aujourd’hui encore. Même malade, elle serait au moins venue chercher sa paie. C’est vraiment curieux.
Sinon, encore un pépin ! Décidément, le sort s’acharne sur nous…
Cette nuit on s’est fait cambrioler pendant notre sommeil.
Ce matin, à 7h30, on a entendu des gens frapper comme des malades contre le portail en gueulant comme des hystériques. On n’était pas encore réveillés à cette heure-là (?!?!), après avoir dormi d’une traite comme une masse depuis la veille (?!?!) ; ça ne nous était jamais arrivé, ça tient vraiment du miracle ! On se sent dans les vapes, la bouche toute pâteuse. Chose encore plus étrange, même notre petite chatte dormait encore à poings pattes fermées après 8h (?!?!), alors que d’habitude, dès 6h du matin, elle nous miaule dans les oreilles comme un fauve enragé jusqu’à ce qu’on lui ouvre.
Philéas se lève, groggy, et sort, furax, pour voir ce qui se passe.
《 – Non mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ?
– Toubab, donne-moi 500 francs !
– De quoi ? Non mais ça va pas de me réveiller à une heure pareille le week-end ! Foutez-nous la paix à la fin ! 
Il revient se coucher, mais les gens continuaient à tambouriner contre le portail.
Philéas y retourne, encore plus énervé, et quand il ouvre, cette fois c’est un vieux qui lui dit calmement :
《 – On a retrouvé des bagages à vous, venez vite ! 
Philéas revient dans la chambre en trombe, enfile un pantalon et repart comme une bombe. Moi, j’avais peur, je pensais que c’était un traquenard. Je suis allée me planquer derrière le mur du portail, tendant l’oreille pour essayer de comprendre ce qui pouvait bien se passer dans la rue. Impossible de capter quoi que ce soit, jusqu’à ce que j’entende Philéas hurler :
《 – Mais comment voulez-vous que je vous donne de l’argent, on nous a tout pris !!! 
Un attroupement de gamins surexcités l’accompagne. Il revient rouge vif de colère, avec, sous le bras, sa sacoche de travail en cuir, ma ceinture “banane” (accessoire très moche du siècle dernier, mais pourtant indispensable dans le contexte. On me dit dans l’oreillette que ça reviendrait à la mode ?), et dans la main, nos cartes consulaires de résident, cartes d’identité, permis de conduire internationaux et autres papiers.
Sur le coup, je me suis dit qu’on avait dû les oublier au Cercle la veille. Mais ça ne tient pas la route. J’ai eu du mal à comprendre, jusqu’à ce qu’on aille dans le salon et qu’on découvre qu’il avait été visité !
On nous a volé tous les francs CFA changés quelques jours auparavant (presque la moitié du salaire), le portefeuille de Philéas (après l’avoir vidé de ses papiers sur le tas d’ordures d’à côté), mes lunettes de vue (super pratique quand on en a vraiment besoin… #MyopeCommeUneTaupe), nos lunettes de soleil, deux petits ciseaux à manucure dorés (?!?!). Bizarrement, ils ont laissé plein d’autres objets très facilement monnayables au marché local (sacoche en cuir, montres, calculatrices, radio K7/CD, appareil photo). Ils n’ont pas pris non plus ni les clés de la voiture ni celles de la maison.
Ce qui nous intrigue c’est que l’agenda de Philéas a manifestement été passé au peigne fin, que seul le petit meuble du séjour dans lequel on range nos affaires a été fouillé de fond en comble. Il est clair que nos visiteurs nocturnes savaient exactement où trouver ce qu’ils venaient chercher !
#LesDesperateExpatMènentL’enquête ??
Sans compter que pour accéder audit séjour, en passant par la fameuse porte de derrière restée ouverte, il faut parfaitement connaître les lieux pour ne pas se cogner, trébucher et tomber sur le parcours semé d’embûches…
Oui, parce que pour atteindre le séjour, dans l’obscurité la plus totale, c’est un peu une mission impossible à la Tom Cruise.
Déjà, il faut savoir que la porte de derrière n’est pas toujours fermée à clé.
Ensuite, il faut savoir que pour franchir cette porte, sans faire un vacarme à réveiller un mort, il faut enjamber un tas de planches posées en équilibre précaire sur le perron (ces planches étaient censées empêcher les eaux diluviennes des jours de pluie d’inonder le couloir).

Tout au bout du couloir, la porte de derrière. À droite au 1er plan, les volets métalliques du séjour…

Une fois ce piège déjoué, il faut obligatoirement passer devant notre chambre (de laquelle on peut voir à travers la “porte-métallique doublée d’une porte-moustiquaire-farcie-de-trous” et par la “fenêtre-grille-moustiquaire-sans-vitres” donnant sur le couloir.) dont la porte s’ouvre vers l’extérieur(dans le couloir), empêchant du coup le passage. La nuit, on la bloque toujours avec une cale pour la laisser grande ouverte, histoire d’essayer de faire entrer (en vain) de l’air moins bouillant. Pour pouvoir passer, il faut être mince pour pouvoir se faufiler de profil, en rentrant le ventre et les fesses, et ne pas la faire grincer sur ses gonds rouillés. Sans savoir ça, on se la prend forcément de plein fouet en alertant toute la maison.
Après avoir esquivé ces premiers obstacles, il faut avancer à tâtons jusqu’au bout du couloir pour ouvrir la porte-fenêtre métallique du séjour. Là encore, pour ne pas ameuter tout le quartier avec le grincement strident des charnières grippées, il faut connaître la manœuvre permettant une ouverture (presque) silencieuse.
Puis, toujours dans le noir des nuits hyper sombres, en rentrant dans le séjour, il faut savoir exactement comment est agencé et meublé la pièce pour aller directement là où tout est rangé, sans se vautrer au passage contre la table et les chaises.
Le pillage réalisé, il ne reste plus aux voleurs qu’à repartir, les bras chargés du butin, en empruntant obligatoirement en sens inverse le même trajet semé des mêmes embûches !
La probabilité pour que le cambriolage ait été réalisé par des voleurs lambda de passage est donc infime… D’autant plus qu’une dernière information devait être connue de ce gang de Rapetou : notre sommeil est toujours très léger et perturbé, nos réveils nocturnes sont nombreux et réguliers. Les cambrioleurs ont réussi à contrecarrer ça aussi puisque cette nuit, on a dormi à poings fermés comme des bébés, même la petite chatte ne s’est pas réveillée une seule fois…
L’énigme a été résolue lorsque l’on est allés au Cercle le soir suivant. D’autres expat’ nous ont raconté qu’en Afrique, pour éviter tout risque d’affrontement direct lors de vols à domicile, les cambrioleurs neutralisent leurs victimes en leur projetant du gaz soporifique. Avec le recul, je préfère cette méthode à celle, plus radicale, du bon coup de machette fatal…
#VoirLeCôtéPositifDansChaqueSituation

La quantité de coïncidences troublantes nous a posé questions… Mais sans preuves tangibles, on s’est bien gardés d’accuser qui que ce soit. On a porté plainte au commissariat local (un sketch surréaliste digne d’une caméra cachée…) mais au final, les coupables n’ont jamais été clairement identifiés (???#OmertaSauceSénégalaise).

Pure coïncidence, le même week-end de cette mésaventure à Kaolack, un collègue de boulot de Philéas, expat’ aussi, s’est fait voler sa voiture à Thiès alors qu’il venait tout juste d’y emménager.

Nous avons déménagé à Thiès à notre tour quelques jours après.
Notre nouveau logement était situé dans un quartier soi-disant “haute sécurité” car proche d’un camps de militaires. Le propriétaire de la maison nous rabâchait qu’il était impossible d’y entrer par effraction et que le gardien, qu’il nous avait imposé, était irréprochable et infaillible. Devenus de plus en plus méfiants, on a pourtant catégoriquement refusé de lui laisser un trousseau de clés : il devait se contenter de garder la maison en restant à l’extérieur, pas en la squattant avec toute sa marmaille. Tels deux obsessionnels paranoïaques, on fermait tout systématiquement à double tour.
Pourtant, ça n’a pas empêché que, quelques mois plus tard, on a subi un nouveau cambriolage.
Cette fois-là, ça s’est passé en notre absence, en plein jour, pendant qu’on était au boulot.

En rentrant le soir, j’ai trouvé bizarre que mon vanity soit posé sur le lit et l’armoire ouverte avec tous les pulls dehors. J’ai d’abord pensé que c’était notre petite chatte qui avait mis la pagaille comme à son habitude, mais pour le vanity ? Philéas a alors tilté et inspecté la maison.
Les deux uniques portes d’entrée étaient pourtant bien fermées : par la serrure et par un cadenas rajouté. On remarque que la moustiquaire de la porte de derrière est éventrée, le loquet a été traficoté, ils ont dû essayer de passer par là, sans succès.
Au salon, il manque le poste radio-K7-cd, les montres, mon appareil photo et son étui (avec, dedans, la pellicule des seules photos que j’ai prises pendant l’hivernage?. Je n’en ai plus aucune de cette saison des pluies si particulière et radicalement différente. Mon grand désespoir…). Les cambrioleurs se sont généreusement servis. Les lunettes de soleil ont disparu, des affaires de toilette et des serviettes aussi. Il manque deux paires de chaussures à Philéas et tous ses bermudas. Il me manque plein de fringues et ma ceinture en cuir.  Ils ont aussi pris nos deux sacs de voyage, certainement pour tout embarquer.
On n’a pas compris comment les voleurs avaient pu rentrer jusqu’à ce qu’on aille dans la cuisine et qu’on y découvre que le volet métallique d’une des fenêtres avait été sauvagement arraché du mur. Il y avait une paire de tongs abandonnée au milieu de la pièce. Ils ont emporté de la bouffe, l’ouvre-boîte, le décapsuleur et les allumettes.

Pour ce cambriolage-ci, on a eu droit au grand jeu : flics (de passage à Thiès ce jour-là) venus faire les constatations, relever les indices, procéder à des interrogatoires et enquêtes de voisinage, bref la totale “made in Sénégal”. #LesExpertsÀThiès

Petite parenthèse : le lendemain, à mon travail, pour justifier de mon arrivée en retard, j’ai dû raconter nos mésaventures de la veille. Mon patron, compatissant et consterné par la situation, s’est alors mis à me parler, un chouïa embarrassé, de toutes les croyances et coutumes locales. Il m’a expliqué qu’on est tous entourés de petits êtres invisibles qui nous jugent et s’occupent de notre sort. Ces sortes de “lutins” sont bienveillants et nous aiment tous à la base, mais ils cherchent à nous tester pour savoir si on est dignes de leur amour. C’est pour ça que quand quelqu’un débarque au Sénégal pour y vivre, s’il ne lui arrive que des emmerdes, alors c’est très bon signe. Ça signifie qu’il connaîtra beaucoup de bonnes choses par la suite, qu’il aura beaucoup de chance, de réussite et de bonheur.

(Alors… autant dire que je n’ai pas du tout été convaincue ! M’imaginer que des petits gnomes sadiques se soient pris d’une passion dévorante pour nous, tellement fous d’amour que ces malicieux farfadets invisibles nous pourrissent la vie avec délectation, ça ne me convenait absolument pas… Et quand bien même j’y aurais cru, après 6 mois de galères non-stop, il aurait peut-être fallu que les lutins grognons songent à enfin nous lâcher la grappe !)

Devant l’accumulation sans fin de nos soucis, il m’a vivement recommandé certains cultes que je ferais mieux d’accomplir pour conjurer le mauvais sort s’acharnant sur nous. Voici son “ordonnance de gourou-grand-marabout-désenvoûteur” :
➥ avaler trois pincées de terre.
#ÊtreÀJourDeSonVaccinContreLeTétanos
➥ dans un seau, faire tremper dans de l’eau des noix de cola (stimulant local (pour ne pas dire drogue) très amer aux effets anti-fatigue et coupe-faim (et aussi aphrodisiaques) que les sénégalais croquent jour et nuit),
➥ dormir avec cette mixture au pied du lit,
➥ le lendemain, se laver avec le tout.
➥ verser un peu d’eau devant notre maison à chaque fois qu’il nous arrive une tuile.
➥ toujours me déplacer avec quelque chose de blanc sur moi, tels que des morceaux de sucre ou un œuf (les œufs sont blancs au Sénégal). Envisager, du coup, d’avoir une poule pour plus de praticité.
➥ faire régulièrement quelques aumônes, mais pas forcément de l’argent ; morceau de pain ou autre chose à manger par exemple.

Je n’ai évidemment rien fait de tout cela. Mais en le racontant aujourd’hui, j’en viendrais presque à me demander si je n’aurais peut-être pas dû, étant données toutes les saloperies que la vie m’a réservées par la suite…

De son côté, Philéas a eu la visite impromptue d’un marabout qui avait opportunément appris la nouvelle. Il est passé le voir à son boulot. Comment a-t-il su pour le cambriolage ? Et pour l’adresse professionnelle ? Mystère et boule de gomme…
#MagieDuTéléphoneArabe
Ce mystérieux devin a proposé ses services pour conjurer le mauvais sort (en Afrique, un marabout est communément consulté en cas de problème) en demandant de lui acheter un poulet à sacrifier, de lui donner de l’argent ou de lui faire d’autres dons.

Nous n’avons pas eu d’autre cambriolage avec effraction, seulement quelques petits vols. Lunettes (décidément !) mystérieusement disparues. Du linge étendu dehors le matin dans le “jardin-terrain-vague” emmurée de la maison, qu’on ne retrouvait pas le soir. Après ça, on n’étendait plus qu’à l’intérieur. La corde à linge dehors (dont on ne se servait plus) a d’ailleurs été aussi volée un jour.
Tous les autres expat’ ont eu des soucis à Thiès : l’un d’eux s’est fait agresser à son domicile par un homme masqué. Le fait divers a fait l’objet d’un article dans la presse locale. Le principal suspect était le propre gardien du patron de Philéas… Vachement rassurant !
Les Bureaux où bossait Philéas ont été visités aussi. De temps en temps, leurs véhicules de fonction étaient dépouillés de quelque chose ; une fois, c’était la batterie, démontée par en-dessous du moteur (?!?!).

Durant tout le reste de notre parenthèse expatriée, la sensation d’être épiés, espionnés ne nous a plus jamais quittée.

 

Le bonheur indicible de devoir subir

Lors d’une précédente édition des #HistoiresExpatriées consacrée à la vie professionnelle, j’avais évoqué le fait de devoir me résigner à être cataloguée “femme étrangère blanche immigrée” :

Une des choses qui m’aura beaucoup marquée (et blessée aussi) durant ma parenthèse expatriée c’est de prendre conscience un beau jour que, là-bas, je n’étais “qu’une femme blanche, étrangère et immigrée” qui n’était pas chez elle.
Littéralement, ce n’était pas faux bien-sûr. Mais au pays de la teranga (= art de l’accueil bienveillant et de l’hospitalité chaleureuse inscrit dans les gènes des sénégalais), je ne m’attendais pas du tout à ça. Aussi bien d’un point de vue professionnel que dans la vie de tous les jours, finir par y ressentir assez rapidement de la suspicion, de la méfiance, parfois même de l’animosité et du rejet (du racisme ?), et ce bien malgré moi, c’était plus qu’un paradoxe, c’était un comble !

À cette étiquette collée dans mon dos, je pourrais aussi rajouter “non musulmane”, mais je préfère éviter tout malentendu ou polémique… Je me contente donc juste de raconter une petite expérience qui m’a ouvert les yeux sur une réalité qui me dépassait (et sur laquelle je ne porte plus aucun jugement de valeur).

Un client ayant fait appel à mon boss pour assurer une mission de formation à destination de “musulmans très puristes”, a catégoriquement interdit que j’intervienne, après avoir d’abord refusé de simplement me rencontrer. Ne comprenant pas spontanément pourquoi, j’ai alors demandé des explications à mon patron (assez ouvert d’esprit et plutôt tolérant). Il m’avait dit, embarrassé, que c’était parce que j’étais une femme, blanche, et surtout que je n’étais pas voilée. Et que si j’avais dû prendre en charge les séances, il aurait fallu que je me voile intégralement. Très gêné, il avait alors préféré refuser pour moi sans me le dire…

Tout au long de notre tranche de vie expatriée, il y a eu beaucoup (trop) de situations où l’on s’est sentis impuissants et où l’on n’a guère pu faire autre chose que subir. Se plaindre, oser critiquer, dénoncer, c’était plutôt très mal perçu :《 Toubab ! Si ça te va pas, si t’es pas content, tu quittes ici et tu rentres chez toi dans ton pays ! 》. On a beau s’habituer (plus ou moins bien, plus ou moins vite) à tout, à la longue, il faut reconnaître que c’est vraiment usant…

Florilège d’évènements et autres anecdotes qui nous ont bien pourri la vie, au point de définitivement nous dissuader d’envisager une prolongation d’expatriation…

 

Renoncer à avoir une vie privée…

Que ce soit à Kaolack ou à Thiès, on a toujours habité dans un quartier plus ou moins éloigné du centre-ville, parmi les autochtones, jamais dans un quartier dédié aux toubabs expat’. Et à chaque fois, l’expérience n’a pas été de tout repos, c’est le moins que l’on puisse dire.
Les concepts “être chez soi, dans l’intimité” et “respect de la vie privée” n’existent pas au Sénégal. Vivre parmi la population locale implique de s’adapter du mieux possible en supportant :

➥ de vivre plus ou moins en communauté. #LesRoisDeLincruste Il fallait s’accommoder de la présence, parfois au-delà de leurs heures de travail, de notre fatou et de notre gardien (pour un expat’, embaucher du personnel de maison est une contrainte à laquelle on est obligés de se soumettre). De temps en temps, ils étaient accompagnés de membres de leur famille respective : enfants, cousins, frères ou sœurs. Pour eux, rien d’anormal, c’est naturel, ça se passe comme ça. Ils considéraient que chez nous c’était un peu chez eux, donc qu’il était inutile de nous demander si potentiellement ça pouvait nous déranger d’avoir des gens (qu’on n’avait pas conviés) à la maison.
À Kaolack, parfois notre fatou faisait suivre quelques-uns de ses enfants, dont son dernier né de quelques mois à peine, qu’elle allaitait en même temps qu’elle travaillait (sinon, un autre de ses enfants plus grand lui emmenait le nourrisson à chaque heure de tétée). Quant au gardien, il restait avec nous et s’installait au salon pour discuter, même quand il avait terminé son service. Parfois, il invitait même un de ses frères à le rejoindre.
À Thiès, un des gardiens qu’on avait eus, avait carrément emménagé dans notre garage avec une partie de ses gosses très bruyants (on ne pouvait presque plus y garer la voiture tellement il avait envahi les lieux avec ses affaires). Les gamins n’étaient pas du tout, mais alors pas du tout discrets lorsqu’ils se disputaient pour nous espionner derrière la porte du garage ou à travers la serrure. Un jour, était arrivé le moment du rituel de la circoncision (à la méthode traditionnelle, pas celle médicalisée… Je ne fais pas un dessin.) pour les plus jeunes garçons de la fratrie… En allant prendre la voiture au garage le matin, on s’est retrouvé nez-à-nez avec une ribambelle de schtroumpfs blancs. Les garçons portaient une sorte de tunique blanche et un capuchon assorti sur la tête (tenue typique qu’ils doivent garder jusqu’à leur guérison totale). Le soir quand on est rentrés, les gamins étaient toujours là, allongés en rang d’oignons au fond du garage, mais chacun avait de belles tâches sanguinolentes sur la tunique au niveau de la zone tout juste décapsulée… Bonjour le malaise chaque jour quand on entendait les cris de douleur des gosses quand c’était l’heure de désinfecter à l’alcool leur popol fraîchement épluché à vif avant de leur remballer le black mamba supplicié dans un pansement !

➥ d’être épiés en permanence, où que l’on soit, quoi que l’on fasse. Impossible de passer incognito dans la vie de tous les jours, même chez soi. Deux petites anecdotes pour donner une idée de l’étendue du phénomène.
Une fois, à Kaolack, alors que j’étais à la maison pas très en forme, j’ai été prise d’une forte poussée de fièvre. Philéas (qui n’était pas encore au courant de cette “alerte info”) a appris la nouvelle à son boulot par quelqu’un qui est venu exprès le lui dire !?!? 《 Ta femme, elle est souffrante. Elle a un palu.
Quand on était à Thiès, on a découvert avec stupéfaction que nos poubelles étaient minutieusement inspectées à la loupe. C’est ainsi qu’un bout de papier destiné à notre fatou, sur lequel on lui avait griffonné quelques consignes et écrit qu’elle ne devait pas laisser rentrer le proprio (un peu trop envahissant), s’est retrouvé comme par magie entre les mains dudit proprio. Il n’a pas manqué de venir nous l’agiter sous le nez d’un air passablement contrarié, en nous menaçant de s’en servir comme moyen de pression.

➥ d’être sollicités constamment. #PlumerDuPigeon On est toubab, donc forcément nanti… On est perçus comme des porte-monnaies sur pattes. Avec le simple statut de C.S.N. (=Coopérant du Service National), on était très très loin d’avoir la situation confortable et les privilèges de tous les autres expatriés (d’ailleurs, on n’avait aucun privilège, et pas beaucoup de confort). Malgré ça, on n’a pas échappé aux préjugés. Pour tenter de nous soutirer le maximum de pognon possible, c’était le défilé à la maison, quels que soient le jour ou l’heure : demandes d’aumônes, vendeurs ambulants en tout genre (mention spéciale “prise de tête” à ceux de la catégorie “brocanteur escroc pot-de-colle”), jeunes filles passant proposer leurs services sexuels à domicile (ça rapporte plus que les tupperware…). Je reconnais que c’était parfois bien pratique que viandes, poissons et crustacés, volailles et œufs, fruits et légumes devancent l’appel en venant directement à nous. Mais pour le reste, franchement c’était insupportable.

➥ de devenir l’objet de toutes les curiosités, mais aussi de toutes les crispations si jamais on ose tenter de mettre des limites…
On avait l’impression d’être des bêtes de foire lorsqu’on devait par exemple supporter, sans rien pouvoir dire ni l’empêcher, que des gamins grimpent sur les murs de clôture de la maison, s’y assoient à califourchon et passent leur temps à nous regarder vivre en commentant, hilares, nos moindres faits et gestes. Ils étaient comme au spectacle. Il n’y avait guère que dans la salle-de-bain/wc qu’on était vraiment à l’abri des regards indiscrets. Partout ailleurs dans nos logements successifs, pas de vitres ni rideaux, uniquement des portes et des fenêtres avec (morceaux de) moustiquaires (farcies de trous) et barreaudages métalliques. On était un peu comme en vitrine (mais sans vitrine). C’était extrêmement gênant, et très pénible.
Là où je travaillais, j’ai également eu droit à une phase d’observation irrationnelle, mais de la part de mon propre entourage professionnel. Il y a eu toute une période très compliquée de suspicion et de méfiance à mon égard. Je devais vraiment prendre sur moi pour ne pas craquer lorsqu’on surveillait le moindre de mes mouvements, jusqu’à carrément me suivre jusqu’aux toilettes. La collègue chargée de ne pas me lâcher d’une semelle, attendait devant la porte des wc dans le couloir (limite en sifflotant pour faire diversion, comme si elle prenait juste l’air), avant de me suivre à nouveau pour s’assurer que je retournais bien m’asseoir à mon bureau.

 

Ambiances de voisinage

Dès le départ, on a compris que devoir subir la vie de nos chers voisins allait nous taper sur le système. Outre l’ambiance sonore incontournable et la cohabitation inévitable avec les animaux domestiques dont j’ai déjà parlées, il y avait tout un tas d’autres choses qui nous irritaient.

À Kaolack, par exemple, une famille habitant près de chez nous, s’acharnait à nous harceler systématiquement quand on rentrait en voiture une fois la nuit tombée. La femme sortait de chez elle comme une furie en nous insultant car les phares la dérangeaient. Elle exigeait qu’on roule tous feux éteints, en pleine nuit, dans les rues sablonneuses non éclairées, sans rien y voir, tout en évitant de se ramasser sur le capot une chèvre, un mouton, un âne, un chien, un cochon ou pire une bande de gosses jouant en plein milieu. On devait se démerder pour avancer à l’aveugle, en se guidant au pif ou à la lueur de la lune et des étoiles certains soirs.

Toujours à Kaolack, derrière un mur de clôture, il y avait un chantier avec des maçons. Raconter les techniques de constructions locales mériterait presque un article dédié… Pour un occidental, ça dépasse l’entendement et ça défie les lois de la gravité… Vu de loin, en passant, c’est plutôt cocasse. Mais le vivre, au plus près de l’action, c’est autre chose !

Quand les ouvriers s’affairaient sur le rez-de-chaussée, on ne recevait que quelques gouttes de béton, le mur de clôture nous protégeant. Mais quand ils en ont été au toit-terrasse, ils travaillaient au même niveau que le haut de la clôture, et alors là, on s’en est pris plein la gueule ! Les maçons déversaient de grandes brouettes de béton, éclaboussant au passage une première fois notre cour, là où était garée notre voiture. Ils avaient ensuite étalé, égalisé et nivelé tout ça à l’aide de grandes planches qu’ils faisaient glisser à plat, ce qui avait eu pour effet de projeter des vagues de béton chez nous. On était à l’intérieur et on entendait de grands SPLATCH impressionnants. On était alors sortis dans le couloir (le long couloir grillagé sur la photo plus haut. La cour en question est sur la gauche.) pour voir ce qui se passait, et là ce fut la stupéfaction puis la consternation. Une déferlante de béton s’était soudain abattue devant nous, dans le couloir et contre le mur intérieur de notre logement ; à quelques secondes près, on se la prenait en pleine poire. Là, c’étaient les portes, les fenêtres, les volets et les moustiquaires qui étaient copieusement mouchetées. Dehors, la cour était méconnaissable : ensevelie sous les giclées incessantes de béton et de ciment.

notre magnifique cour, avant le désastre du tsunami de béton.

Philéas avait alors poussé une gueulante contre les ouvriers, mais comme ils ne comprenaient pas le français, ça n’avait pas servi à grand-chose. Jusqu’à ce qu’une nouvelle vague de projections atterrisse dans un fracas au son différent : on était sorti en courant, la découverte de la voiture nappée de béton sur tout l’arrière, pare-brise compris, nous avait achevés ! Philéas était alors allé chercher notre fatou, pour qu’elle traduise aux maçons notre colère. Philéas avait demandé à voir le patron du chantier. L’individu, vêtu d’un grand boubou, était arrivé nonchalamment dans la cour (où une quinzaine de gosses s’étaient engouffrés, à peine le portail ouvert, pour se défouler chez nous) pour constater les dégâts. Au bout de longues palabres et autres salamalecs d’usages, il avait consenti à tout remettre en état (bon, on n’a pas tout-à-fait la même définition de la notion “remettre en état”, mais parfois, il faut savoir se contenter de ce qu’on obtient). Il avait alors réquisitionné la horde de mioches (qui, tels des Attilas, étaient en train de dévaster les quelques malheureuses plantes qui gisaient par-ci par-là dans les carrés de terre de la cour) et ses ouvriers qui s’étaient exécutés, ventre à terre, munis de pelles, de truelles, de seaux, d’éponges et de brosses.

À Thiès, les problèmes de voisinage étaient principalement des nuisances sonores. Difficiles de retranscrire en mots les bruits concernés, il faut y avoir déjà été confronté pour réaliser ce que ça peut vraiment représenter. Toujours est-il qu’on était cernés.
D’un côté, on avait un éleveur de moutons dont les troupeaux bêlaient jour et nuit. Le seul répit qu’on avait eu, c’était lors de la Tabaski, la fête du sacrifice du mouton : le cheptel avait été décimé puisque lors de cette grande fête, les familles les avaient sacrifiés (oui, je sais, c’est glauque, mais ce sont les traditions locales.).
D’un autre côté, il y avait une concession familiale avec de nombreuses femmes pilant le mil toute la journée, avec vigueur et en cadence. Les boum-boum des pilons, entrecoupés des frappements de mains des femmes pour garder le rythme, provoquaient des vibrations sourdes. On aurait dit qu’elles tapaient directement contre notre mur avec un bélier (et pas un mouton ?).
Encore d’un autre côté, il y avait un centre d’entraînement sportif avec un “stade” (c’est-à-dire un vaste terrain vague de terre et de sable, sans la moindre touffe de gazon). Le moins que l’on puisse dire c’est que les footballeurs et autres athlètes ne s’entraînaient jamais en silence, et ils étaient toujours entourés de supporters et autres spectateurs s’époumonant à cœur joie. Petit bonus olfactif de nos chers voisins ruisselant de sueur : les entêtants effluves et puissants fumets musqués flottant dans l’air ambiant, un pur ravissement pour nos narines non initiées…
En face, il y avait une famille sénégalaise plutôt “aisée” (par rapport à la moyenne locale) qui ne manquait pas une occasion de le faire ostensiblement remarquer. #CultureDuParaître Famille bruyante sans gênes. Leurs gamins étaient de vrais petits monstres capricieux qu’on entendait hurler dans tout le pâté de maisons. Ils avaient des jeux électroniques sonores dont les bruits stridents et répétitifs étaient si insoutenables que même leurs parents les envoyaient jouer dehors pour ne pas avoir à les supporter (au lieu de leur confisquer) : tout le voisinage pouvait ainsi en profiter au maximum… Crises de nerfs assurées.

 

Aléas et petits tracas du quotidien…

La SENELEC (équivalent sénégalais d’EDF), manquant cruellement de capacités de production, saturait vite, ce qui avait pour conséquences de provoquer chroniquement une multitude de délestages sauvages. Les coupures d’électricité intempestives étaient récurrentes (c’est toujours le cas de nos jours). On était obligés de faire avec, donc on s’était habitués à devoir s’éclairer à la bougie.
Mais un beau jour, à Thiès, on n’a plus eu d’électricité du tout à la maison (super pratique pour le frigo/congélo, tout partait régulièrement à la poubelle). Et pour cause : l’installation électrique, pourtant flambante neuve, n’était pas “conforme” et tout a fini par péter. On avait découvert sur le toit un câble pendouillant au bout d’un scotch, provoquant des étincelles. Un électricien était venu pour chercher l’origine du problème, il avait grimpé sur le toit sans échelle (il avait escaladé par les barreaux des fenêtres).  Il s’était brûlé la paume de la main aux fils à moitié dénudés. D’après ce qu’il nous avait expliqué, le moindre court-circuit aurait pu faire sauter tout le pâté de maisons.
C’est d’ailleurs à cette occasion qu’on avait découvert les branchements clandestins du voisinage. On fournissait en électricité plusieurs familles. C’était normal, c’est Sénégal. Comme un toubab a autant d’argent qu’il veut (grâce à son fameux arbre produisant des billets…), il a les moyens de se payer l’électricité, il doit donc être généreux et partager avec tout le monde. Pas moyen d’y échapper, que ça nous plaise ou non. On avait essayé de mettre un peu le holà, mais on s’était attirés les foudres des principaux intéressés…

Lorsqu’on a emménagé à Thiès, on s’est fait installer une ligne téléphonique à la maison. Quelques temps après, suite à plusieurs jours de panne de téléphone, Philéas contacte la SONATEL (équivalent sénégalais de France Telecom) pour signaler que notre ligne est en dérangement. La réponse du “service clients” est à peine croyable :
《 – Évidemment que ça ne marche plus ! On vous a coupé la ligne car vous n’avez pas payé votre facture.
– Comment ça je n’ai pas payé ? Mais je n’ai jamais reçu de facture moi ! Vous l’avez envoyée où ?
– Et bien chez vous ! Mais personne n’a réussi à trouver votre maison. Donc personne n’a pu vous laisser la facture et on nous l’a ramenée. Donc elle est impayée ! Donc un de nos techniciens est allé chez vous pour vous couper la ligne ! Et depuis, on n’arrive pas à vous joindre par téléphone pour vous le signaler.
Adresse introuvable pour déposer une facture, mais trouvée du premier coup sans aucun problème pour venir suspendre le téléphone ?!?! Chercher l’erreur…

Toujours à Thiès, on avait aussi découvert les joies des pénuries de bouteilles de gaz. Comment préparer à manger en cas de gazinière hors service ? Grâce au système D. J’avais alors expérimenté la cuisine sur feu au charbon✌ ! On utilisait le petit brasero qu’on s’était achetés pour le rituel des trois thés, et on s’armait de patience (obtenir des charbons ardents puis y faire bouillir une casserole d’eau posée en équilibre précaire, c’est loin d’être rapide…).
Les jours où il y avait, en plus de ça, des pannes de courant, on avait un peu l’impression de vivre au moyen âge : éclairage aux chandelles et repas préparés sur les braises (lessives à la main, douches à l’eau froide)… #RetourÀLaViePrimaire

Encore à Thiès (on aura vraiment tout essayé !), on avait également eu une fuite d’eau à l’extérieur devant la maison, transformant le lieu en marigot où la vie s’était rapidement organisée : des gens venaient y faire leur vaisselle et leurs lessives, d’autres y jetaient leurs poubelles, des bestiaux venaient s’y ébrouer, des gamins y faisaient trempette en chahutant bruyamment, sans compter l’afflux massif de moustiques affamés nous dévorant goulument de la tête aux pieds. Une canalisation avait éclaté.  On avait beau l’avoir signalé immédiatement à la SONEES (équivalent sénégalais de La Lyonnaise des Eaux) pour éviter de gaspiller le précieux liquide, personne n’était intervenu en urgence. La situation était devenue telle qu’au bout de quelques jours, on ne pouvait même plus accéder à la maison en passant par le portillon d’entrée, il fallait contourner le marécage pour pouvoir rentrer en passant par le garage (après s’être quand même trempé les godasses).
Autre histoire de flotte, à l’intérieur de la maison cette fois. Le toit-terrasse, pourtant neuf, n’était pas étanche. On s’en était rendus compte lorsque la saison des pluies était arrivée : il y avait des infiltrations partout. Pendant des semaines, on a vécu là-dedans avec de l’eau qui ruisselait sur les murs, trempant tous les plâtres, faisant des grosses tâches brunâtres, décollant la peinture laquée qui tombait par plaques entières, laissant la place à de la moisissure et de la mousse. Les menuiseries métalliques intérieures rouillaient. Au plafond, l’eau s’infiltrait par les fils des ampoules électriques. D’ailleurs, on s’en était aperçus en allumant la lumière : tout avait sauté, j’avais failli m’électrocuter à l’interrupteur. Dans le salon, il y avait une sorte de “lustre” en verre en forme de globe qui s’était rempli d’eau : on aurait dit un bocal à poissons rouges, sauf qu’à la place des poissons, il y avait des insectes morts qui flottaient à la surface.

 

Maison neuve (à finir) et proprio envahissant

En déménageant à Thiès, ce fut un réel soulagement dans un premier temps. La ville était moins sale, plus agréable à vivre et arborée, moins éloignée de la mer et de la capitale, les températures ambiantes y étaient moins infernales. Il y avait même une supérette, avec caissières et mini caddies, ainsi qu’une salle de cinéma, et puis une poignée de vrais médecins et pharmaciens. On ne pouvait que gagner au change.
De plus, le logement de fonction était beaucoup moins “glauque” et spartiate qu’à Kaolack. En découvrant qu’on allait habiter une maison flambante neuve (normes locales…), un spacieux plain-pied nous étant entièrement dédié, on était enchantés ravis.
Mais à cause du propriétaire des lieux (un enseignant sénégalais plutôt vaniteux, hautain et à l’égo surdimensionné), le scénario a vite tourné au mauvais film…

En arrivant dans notre nouveau “chez nous” le jour du déménagement, j’ai cru défaillir : la maison, censée être neuve ET terminée, était en réalité au stade d’achèvement de travaux avant dernières finitions. C’est la vie de chantier qui nous attendait ! Les ouvriers étaient encore sur place, en train de soi-disant tout nettoyer (on n’avait pas tout-à-fait la même définition du mot “nettoyer”…). Il m’avait fallu le reste de la semaine pour tout décaper.
De leur côté, les déménageurs s’étaient perdus en chemin. Une fois la nuit tombée, il nous avait fallu aller les chercher à l’entrée de la ville pour guider leur camion jusqu’à la maison.
Entre temps, alors qu’il n’était pas du tout prévu au programme de cette longue journée, le propriétaire de la maison avait débarqué et s’était incrusté là au milieu. En lui demandant des explications sur l’état assez déplorable des lieux, il nous avait alors annoncé dans le plus grand des calmes qu’il n’avait plus d’argent pour terminer la maison (malgré les six mois de loyers payés d’avance), mais que, de toute façon, ce n’étaient que quelques petits détails n’empêchant pas d’y vivre. Il nous avait demandé de lui préparer une liste de tout ce qui n’était pas terminé selon nous ou qu’il manquait, et de la lui faire passer pour qu’il programme les interventions.
Il nous avait précisé par ailleurs, sans aucune vergogne, qu’en ce moment sa voiture était en panne, qu’il n’avait pas les moyens de la faire réparer, mais qu’il était quand même venu exprès jusqu’ici en taxi, rien que pour nous accueillir et nous être agréable !?!? (euh… on n’a absolument rien demandé nous !), et que donc il fallait qu’on le ramène chez lui à l’autre bout de la ville, dans un quartier pas très accessible.

On avait alors compris qu’on allait devoir subir l’individu et ses revendications…
Pour la faire courte, son objectif était parfaitement clair et totalement assumé : nous faire payer la fin des travaux de construction, pour lui valoriser encore un peu plus son bien immobilier (qui avait déjà une plus-value rien que par le fait que ce soit des toubabs qui y habitent).

Pendant les mois qui avaient suivi, il n’avait cessé de venir nous harceler, sans prévenir, quel que soit le jour de la semaine ou l’heure de la journée, aussi bien à la maison qu’au boulot de Philéas. Il refusait d’avoir à faire à moi car 《 Ici chez nous, ça se passe pas comme chez vous avec les femmes. Je ne veux parler qu’avec votre mari. 》. Il n’acceptait de m’adresser la parole que lorsqu’il s’agissait de rabâcher qu’on lui devait une éternelle reconnaissance car il avait réalisé de gros investissements pour nous mais qu’on devrait lui rembourser d’une manière ou d’une autre.
Évidemment, on ne lui a rien remboursé. De toute façon, comme c’était un logement de fonction, c’était l’entreprise où bossait Philéas qui payait les loyers (loyers desquels le patron de Philéas, lui aussi harcelé par l’individu, déduisait systématiquement les diverses factures de réparations qu’il avait fallu financer).

Philéas et son patron se disputaient très souvent avec ce proprio véreux qui exigeait toujours plus. Le point de non-retour avait été atteint lorsqu’on s’était fait cambrioler. Il avait alors eu le culot de nous accuser d’être responsable du vol car on empêchait le gardien de faire son boulot !?!? Selon lui, il aurait fallu qu’on lui laisse le libre accès à l’intérieur de la maison pour qu’il puisse aller et venir à sa guise (et finir par s’y installer comme dans le garage ?…). Il fallait aussi qu’en plus de verrouiller les portes d’entrée, on ferme à clés toutes les portes intérieures de chaque pièce (la moitié n’avait même pas de serrure).
Bref, il avait dépassé les bornes, on lui avait mis les points sur les i.
Par la même occasion, on avait viré ce gardien prétendu irréprochable qu’il nous avait imposé.
La rupture était consommée. En guise de mea culpa, le proprio avait consenti à s’occuper de faire réparer tout ce qui avait été fracturé pendant l’effraction.

 
R12 break : micmac et arnaque

À peine quelques jours après avoir débarqué au Sénégal, Philéas s’est rendu à l’évidence : étant donnés le lieu et le contexte dans lesquels on allait être amenés à vivre, avoir un véhicule personnel nous simplifierait pas mal la vie. Sauf que sans rien connaître des formalités administratives locales, et sans suffisamment de moyens pour se payer quelque chose de convenable, le projet s’annonçait compliqué à concrétiser. Mais c’était sans compter la magie de l’Afrique où tout est possible (dommage que, parfois, on réalise, après coup, que ça a quand même des limites…).
Peu de temps après, Philéas rencontre par hasard un couple de jeunes français comme nous. Une aubaine : ils quittent prochainement le Sénégal et souhaitent revendre leur voiture avant de rentrer en France. Il s’agit d’une Renault 12 break blanche, “superbe” char d’assaut en pas trop mauvais état, n’ayant appartenu qu’à des coopérants, et surtout rompu aux chaotiques routes et pistes sénégalaises. En bonus, il y a deux roues de secours dans la malle : détail qui a toute son importance en Afrique. On va faire un tour avec pour l’essayer. L’affaire semble assez bonne. On tombe d’accord sur un prix raisonnable compatible avec nos maigres moyens (c’est là que ça aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. On était encore trop jeunes et trop naïfs…), et sur une date de “livraison” deux semaines plus tard, à condition qu’on leur prête la voiture 2 ou 3 jours au début du mois suivant. Affaire conclue !

Le jour de la remise de notre carrosse arrive. Les papiers présentés (il en manquait toutefois un, le plus important, mais on ne le savait pas encore…) par les vendeurs semblent en règle (en tout cas, c’est ce qu’on croyait. Ne jamais se fier aux apparences !), la voiture n’étant pas “sénégalisée” mais détaxée et immatriculée “en TT” (immatriculation temporaire). Les formalités de transfert de propriétaire sont une telle usine à gaz qu’on décide d’attendre d’avoir déménager à Thiès pour nous y coller et nous éviter ainsi une procédure supplémentaire pour changement d’adresse.
On est contents d’avoir enfin un moyen de locomotion rien qu’à nous. Mais on va rapidement déchanter… Certes c’était loin d’être une première main, m’enfin quand même, beaucoup trop de choses se sont mises à déconner. Jauge d’essence HS (on ne le savait pas, on a failli tomber en panne sèche dès le lendemain). Plus une goutte d’huile (la dernière vidange devait dater de l’antéchrist…), plus de liquide de refroidissement non plus. Batterie défectueuse ne se rechargeant pas, alternateur nase. Freins qui lâchent. Courroies et roulements à billes à l’agonie. Pot d’échappement qui se dessoude et traîne lamentablement par terre. Essuie-glaces HS (idéal en pleine saison des pluies diluviennes…). Bref, cascades d’avaries en tout genre apparues progressivement après avoir pris possession de notre épave véhicule. La bonne affaire s’est transformée en gouffre financier pour remettre tout en état.
Le pompon a été quand on a appris qu’en fait, on ne pourrait jamais régulariser les papiers… La vérité c’est que l’on s’est bêtement faits escroquer : on pensait naïvement qu’on pouvait avoir confiance en des compatriotes. Quand ils nous ont vendu leur bagnole, ils nous ont montré tout un tas de papiers pour justifier que la situation était en règle. On ne connaissait pas encore toutes les ficelles du système, on les a crus spontanément sur parole. Mais en réalité, ils n’avaient fait aucune des démarches nécessaires pour obtenir l’autorisation légale de vendre le véhicule. Ils auraient dû payer la TVA et les droits de douanes avant de quitter le Sénégal.
On s’est ainsi retrouvés dans une situation ubuesque insoluble. Impossible de régulariser les papiers en l’état. Il aurait fallu “sénégaliser” la voiture mais il était hors de question qu’on paye ce qu’auraient dû payer nos escrocs de vendeurs. On était en possession d’un véhicule qui n’était pas officiellement à nous (on a vécu de véritables sketchs surréalistes lors d’arrêts policiers pour contrôles de papiers…), et qu’on ne pouvait donc pas revendre lors de notre départ… Mais comme au Sénégal, rien n’est impossible et, qu’en plus, “amoul solo” (=il n’y a pas de problème), on a réussi à dépatouiller ce sac de nœuds grâce à un garagiste sénégalais qui nous a racheté la R12 malgré son état de délabrement avancé et le micmac sur les papiers. Au royaume du système D, une telle épave ne peut faire que des heureux ! Même si la bagnole finit par ne plus pouvoir rouler, elle constitue de toute façon un formidable stock de pièces détachées et de fournitures recyclables.
Si on n’avait pas rencontré ce garagiste providentiel, on avait décidé de carrément laisser la voiture, avec les clés sur le contact, sur le parking de l’aéroport le jour où on a quitté le pays…

 

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L’intégration au Sénégal ne faisait pas partie de nos objectifs au départ puisqu’on n’y partait que pour une durée déterminée. Les choses auraient probablement pu se passer autrement mais, étant donné le contexte compliqué (doux euphémisme) dans lequel nous avons (sur)vécu (pour ne pas dire subi) cette tranche de vie tempétueuse, poursuivre l’expérience de vie ailleurs et s’intégrer nous semblait au-delà des maigres forces (physiques et mentales) qu’il nous restait à la fin.

Histoire de (mal)chance ? Question de (mauvais) karma ? Erreur de casting et de timing : mauvaises personnes au mauvais endroit au mauvais moment ?
Même plus de vingt ans après, je suis bien incapable de trouver une raison rationnelle au fait que nous n’ayons eu pour ainsi dire que des galères et des emmerdes, et que nous ayons accumulé et enchaîné les soucis de santé (Philéas est quand même passé à deux doigts du rapatriement sanitaire à deux reprises, pendant que moi j’ai échappé de peu à la dépression).
Notre parenthèse expatriée n’a tellement pas été un long fleuve tranquille que lorsque Philéas a eu l’opportunité de devancer de plus d’un mois la date du retour définitif en France, il ne s’est pas fait prier pour partir dans la foulée à Dakar faire modifier nos billets d’avion. Moi, dès le lendemain de la nouvelle de notre prochaine “libération”, j’informais mon patron de ma démission anticipée. Les semaines qui avaient alors suivi nous ont paru des années jusqu’au jour de la délivrance…

J’ai longuement hésité à publier ces quelques épisodes (et ce ne sont que des extraits de certaines de nos mésaventures…). Il y en a même dont je n’avais pas parlé à l’époque, pour ne pas inquiéter mes parents à qui j’envoyais régulièrement la retranscription de mes carnets de bord dans de longues lettres fleuve manuscrites de 10/15 pages à chaque fois.

Je n’en parlais pas trop non plus car au Sénégal, il ne fallait pas raconter ce genre de choses. Ça ne se faisait pas. Il fallait encaisser en silence, s’écraser d’autant plus qu’on était des étrangers là-bas… Se plaindre de certaines situations, dénoncer certaines façons de faire, révéler des comportements, ne pas vouloir se laisser faire, pouvait nous attirer des ennuis et le mauvais sort.
Il m’arrive de penser que c’est peut-être ce qu’il s’est passé finalement. Car la scoumoune ne nous a jamais quittés en réalité après notre retour au bercail… Je suis plutôt cartésienne, mais une anecdote assez récente m’a fait me poser beaucoup de questions. Philéas s’est un jour entendu dire par un “magnétiseur/médium/énergéticien”, qui ne savait pas du tout qu’on avait vécu au Sénégal, qu’il fallait qu’il fasse très attention car il avait été marabouté par quelqu’un en Afrique !?!?

Je suis consciente que lire pareil témoignage n’est pas très vendeur pour le Sénégal. Mais j’insiste à nouveau sur le fait qu’il ne s’agit là que de nos expériences personnelles. Il ne faut surtout pas en faire une généralité. Il y a beaucoup d’expatriés au Sénégal pour lesquels ça se passe bien. Pour ma part, je ne suis pas entièrement convaincue qu’ils soient réellement intégrés, en tout cas ils cohabitent paisiblement avec une population plutôt attachante qui, la plupart du temps, est bienveillante.

Le Sénégal mérite vraiment d’être découvert, à plus d’un titre. Alors si l’occasion se présente, ne surtout pas hésiter à y partir en voyage (mais au-delà des zones dédiées artificiellement à l’industrie du tourisme).
Le seul gros risque est d’être piqué par le virus envoûteur de l’Afrique et d’en revenir ensorcelé à jamais avec une seule idée en tête : y retourner…

 

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Toutes les autres participations abordant ce thème sont listées en fin d’article ici.

 

 

4 Comments on “[ #HistoiresExpatriées ] Mon intégration…

  1. Ne sois pas refroidie, il ne faut surtout pas généraliser pour l'Afrique. Le Sénégal mérite vraiment d'aller l'explorer !!! C'est d'ailleurs le pays idéal pour s'initier à l'Afrique de l'Ouest. C'est juste qu'on a eu un mauvais karma là-bas à cette époque?… Et puis, d'une manière générale, il ne faut pas perdre de vue qu'aller en vacances dans un pays est toujours TRÈS différent que partir y vivre… A chaque fois que je suis retournée en vacances au Sénégal, je n'ai jamais eu toutes ces galères, je te rassure !!!

  2. Wouahou, je n'ai pas de mots! Ma vie d'expat c'est de la crème à côté de celle que tu décrit �� j'étais déjà pas super fan de l'Afrique, ça me refroidi direct… sacrée expériences. Quel courage…

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